Lors de l’ASCO-GI à San Francisco, David Graham, MD, du Baylor College of Medicine, a fait une présentation sur le lien entre Helicobacter pylori et le cancer de l’estomac, soulignant notamment l’importance des programmes d’éradication préventive. Il a également décrit en détail la manière dont les bactéries sont liées à la pathogenèse et a donné un aperçu des principaux développements de ces dernières années à cet égard.
Selon David Graham, MD, Houston, les Helicobacter pylori (H. pylori) sont essentiels dans le cancer de l’estomac parce qu’il s’agit d’un cancer associé à l’inflammation, dans lequel l’inflammation est causée par une infection chronique de l’estomac par cette espèce de bactérie pathogène. L’inflammation induite par H. pylori provoque des dommages progressifs et cumulatifs à la muqueuse gastrique, ce qui se traduit cliniquement par une augmentation exponentielle de l’incidence du cancer de l’estomac (généralement après 50 ans). Plus de 95% de ces cancers sont dus à l’inflammation de H. pylori.
“Cette infection est une cause nécessaire, mais non suffisante, du cancer de l’estomac. D’importants progrès dans la compréhension de la physiologie, de l’histopathologie et de la microbiologie gastriques ont permis d’établir pour la première fois un lien entre le cancer de l’estomac et la gastrite atrophique à la fin du 19e siècle [1]”, a expliqué Graham. “Pour les chercheurs qui ont suivi, il était donc clair qu’ils devaient chercher la cause de la gastrite pour pouvoir théoriquement prévenir le cancer de l’estomac [2]. Après la première synthèse des nombreux progrès réalisés dans ce domaine en 1951 [3], une longue période d’attente de 35 ans s’est écoulée avant que l’on puisse affirmer avec certitude que H. pylori était l’une des principales causes de la gastrite. Il a toutefois fallu attendre près de trente ans supplémentaires pour que le Japon devienne le premier pays à autoriser enfin, en février 2013, un programme complet de prévention du cancer de l’estomac par l’éradication de H. pylori, consistant en une approche test-et-traitement [4]”.
Instabilité génétique
En plus de l’inflammation, le contact de H. pylori avec les cellules épithéliales de l’estomac peut directement entraîner une instabilité génétique [5]. Le plus souvent, c’est une combinaison de ces deux effets qui est responsable du cancer. Les instabilités associées à H. pylori se produisent dans toutes les infections à H. pylori, y compris celles qui évoluent sans grande augmentation du risque de cancer gastrique (comme la gastrite non atrophique ou l’ulcère duodénal). Normalement, les mécanismes de réparation cellulaire semblent donc pouvoir répondre de manière adéquate à ces dommages induits par H. pylori.
Le cancer de l’estomac étant associé à une perte de cellules épithéliales gastriques normales, il serait intéressant, selon Graham, de comparer les mécanismes de réparation de différents types d’épithéliums gastriques : “Les preuves que les dommages génétiques associés à H. pylori jouent un rôle dans la cancérogenèse proviennent d’une étude portant sur 544 patients qui présentaient un risque élevé de développer des cancers métachrones. Ici, un suivi de 3 ans a montré que l’éradication a permis de mieux prévenir l’interaction entre H. pylori et les cellules gastriques et donc la progression vers un carcinome chez 272 patients (9 contre 24 dans le groupe témoin) [6]”.
L’éradication, une prévention sûre ?
Selon Graham, l’éradication permet de s’attaquer à la cause principale du cancer de l’estomac. Néanmoins, les effets d’un tel programme ne seront pas immédiatement visibles, car dans les pays à haut risque, de nombreuses personnes continuent à vivre avec une gastrite déjà avancée au point où le risque de cancer gastrique reste élevé malgré l’éradication. Bien que l’éradication stoppe la progression à la fois du risque de cancer et des dommages, certains risques subsistent, après tout, selon Graham, certains dommages sont irréversibles. La progression varie en outre selon les individus. Elle est influencée par l’intensité de la réponse inflammatoire de l’hôte, qui est elle-même liée à des facteurs génétiques, environnementaux et diététiques.
Risque après une éradication
“Quel est le risque après une éradication de H. pylori ?”, s’est demandé Graham. “Bien entendu, cela est lié à l’étendue et à la gravité de la gastrite atrophique au moment de l’éradication : S’il s’agit par exemple d’une gastrite non atrophique, le risque est faible, s’il s’agit d’une pangastrite atrophique, il est élevé [1]”.
Dans les régions à forte incidence, il est donc recommandé de procéder à une stratification des risques en même temps que l’éradication afin d’identifier les patients susceptibles de bénéficier d’une surveillance du cancer après l’éradication. Comme mentionné ci-dessus, cette stratification est basée sur l’étendue et la sévérité de la gastrite atrophique (de manière non invasive par le biais de modifications du niveau de pepsinogène/gastrine sérique, ou par une biopsie de la muqueuse gastrique indiquant une atrophie) [7, 8]. Selon Graham, l’approche combine la prévention primaire (éradication de H. pylori) et secondaire (surveillance endoscopique), ce qui permet d’identifier les patients pour lesquels il est rentable de continuer à les surveiller. Cette forme de stratification a remplacé celle basée sur l’âge.
“La plupart du temps, seuls quelques pour cent des personnes traitées font partie du groupe de surveillance [1]”, explique Graham. “En conclusion, H. pylori est un agent pathogène humain important dont les effets positifs potentiels se sont avérés sans objet et qui devrait donc être éradiqué. Il reste à déterminer la fréquence et la durée de la surveillance, ainsi que les stratégies concrètes de réduction des risques : Éradication de H. pylori pour tous ? Régime alimentaire (fruits et légumes frais) ? Arrêt du tabac ? Médicaments (anti-inflammatoires, gastroprotecteurs) ? Dans tous les cas, il est urgent de réfléchir à ces questions”.
Source : Gastric Cancer – Etiology, Development, and Implication for Therapy, General Session 2 at ASCO GI – Gastrointestinal Cancers Symposium, 16-18 janvier 2014, San Francisco
Littérature :
- Graham DY, Asaka M : Eradication du cancer gastrique et surveillance plus efficace du cancer gastrique au Japon : deux pois dans un pot. J Gastroenterol 2010 ; 45 : 1-8.
- Massarrat S. Konjetzny : Un chirurgien allemand du siècle dernier et son hypothèse pionnière d’une étiologie bactérienne de la gastrite, de l’ulcère peptique et du cancer gastrique. Z Gastroenterol 2005 ; 43 : 411-413.
- Comfort MW : Gastric acidity before and after development of gastric cancer : its etiologic, diagnostic and prognostic significance. Ann Intern Med. 1951 ; 36 : 1331-1348.
- Asaka M : Une nouvelle approche pour l’élimination des décès dus au cancer gastrique au Japon. Int J Cancer 2013 ; 132 : 1272-1276.
- Shiotani A, Cen P, Graham DY : L’éradication du cancer gastrique est désormais à la fois possible et pratique. Semin Cancer Biol. 2013 (sous presse).
- Fukase K, et al : Effet de l’éradication d’Helicobacter pylori sur l’incidence du carcinome gastrique métachronique après résection endoscopique d’un cancer gastrique précoce : un essai contrôlé randomisé en ouvert. Lancet 2008 ; 372 : 392-397.
- Rugge M, et al : Gastritis staging in clinical practice : the OLGA staging system. Gut 2007 ; 56 : 631-636.
- Dinis-Ribeiro M, et al : Validity of serum pepsinogen I/II ratio for the diagnosis of gastric epithelial dysplasia and intestinal metaplasia during the follow-up of patients at risk for intestinal-type gastric adenocarcinoma. Neoplasia 2004 ; 6 : 449-456.
InFo Oncologie & Hématologie 2014 ; 2(3) : 38-39