L’intérêt pour l’utilisation médicale des cannabinoïdes a considérablement augmenté ces dernières années en raison de leurs larges possibilités d’utilisation et des nombreux rapports sur les traitements réussis. Depuis le 1er août 2022, les médicaments à base de cannabis contenant du THC peuvent également être prescrits par les médecins sans autorisation de l’OFSP, mais l’utilisation du cannabis à des fins non médicales reste interdite.
Jusqu’à récemment, le cannabis contenant au moins 1% de THC faisait partie des stupéfiants interdits en Suisse. Jusqu’à présent, une autorisation exceptionnelle de l’Office fédéral de la santé publique (OFSP) était nécessaire pour la prescription médicale. Cela a maintenant changé. La modification de la loi sur les stupéfiants (LStup) adoptée par le Parlement en mars de cette année facilite considérablement l’accès aux médicaments à base de cannabis [1]. La modification de la loi*, entrée en vigueur le 1.8.2022, implique que le cannabis avec une teneur totale moyenne en THC d’au moins 1%, destiné à des fins médicales ou à la production pharmaceutique, sera désormais classé parmi les stupéfiants contrôlés à commercialisation restreinte (qui comprennent également la morphine ou la méthadone) [2,3].
* OCStup-DFI RS 812.121.11
Augmentation de la demande dans plusieurs domaines d’indication
Il existe de nombreuses preuves de succès thérapeutiques dans l’utilisation des cannabinoïdes. Ces dernières années, la demande pour les préparations correspondantes n’a cessé de croître : entre 2012 et 2019, l’OFSP a accordé environ 15 000 autorisations exceptionnelles [2]. Comme ce nombre ne correspondait plus au caractère exceptionnel au sens de la LStup et qu’il s’accompagnait d’une charge administrative importante pour toutes les parties, une révision de la loi a été jugée nécessaire. Selon les décisions de l’OFSP documentées pour la période 2008-2021, les états douloureux (par exemple les douleurs tumorales) sont le domaine d’indication le plus fréquent des médicaments à base de cannabis contenant du THC, suivis par la spasticité, les neuropathies et la sclérose en plaques (SEP). En outre, des ordonnances ont été délivrées dans les domaines de l’augmentation de l’appétit/cachexie, du RLS et des tics. Les substances bioactives Δ9-tétrahydrocannabinol (THC) et cannabidiol (CBD) déploient leurs effets dans ce que l’on appelle le système endocannabinoïde. Il s’agit d’un système de régulation propre à l’organisme qui joue un rôle important dans le système nerveux central et le système immunitaire. Les effets pharmacologiques du THC et du CBD sont notamment dus à leur liaison aux récepteurs cannabinoïdes (CB)-1 et CB2 [4].
Déclaration médicale obligatoire à des fins d’évaluation Afin d’observer l’évolution de la prescription de médicaments à base de cannabis et d’obtenir davantage de preuves sur leurs effets, une collecte de données concomitante sera effectuée. Les médecins prescripteurs sont tenus de transmettre à l’Office fédéral de la santé publique des informations sur le traitement pendant les premières années suivant l’entrée en vigueur de la modification de la loi (déclaration obligatoire). La collecte de données servira de base à l’évaluation scientifique de la révision, ainsi que de guide pour les organes d’exécution cantonaux compétents et les médecins prescripteurs. |
Développer la base de données scientifiques
La modification de la loi ne change pas les conditions de remboursement des médicaments à base de cannabis [1]. Actuellement, les traitements ne sont qu’exceptionnellement remboursés par l’assurance obligatoire des soins. Le Conseil fédéral a fait examiner s’il y avait lieu d’agir. Cependant, les preuves disponibles sur l’efficacité et l’économicité des médicaments à base de cannabis sont actuellement insuffisantes pour justifier un remboursement général. Les mécanismes pharmacologiques et les effets du THC et du CBD – les deux substances les plus concentrées de la plante de cannabis – sont particulièrement intéressants [5]. Le THC est un agoniste partiel des récepteurs CB1/CB2 qui, d’après les connaissances actuelles, possède des propriétés enivrantes, antispasmodiques, antiémétiques, analgésiques et apéritives [6]. Le CBD (cannabidiol) est un agoniste-antagoniste/modulateur des récepteurs CB1/CB2 [6]. Contrairement au THC, le CBD n’a pas d’effet enivrant ou addictif, mais a surtout des effets anti-inflammatoires, antiépileptiques, antipsychotiques et analgésiques.
Le tableau 1 présente une sélection de médicaments contenant du CBD/THC disponibles en Suisse. Les domaines d’application des médicaments contenant de l’extrait de THC, obtenus à partir de plantes de chanvre et produits de manière synthétique ou semi-synthétique, sont principalement le traitement des douleurs tumorales et le contrôle des symptômes dans les soins palliatifs, les nausées associées à la chimiothérapie ainsi que l’insuffisance pondérale chez les patients atteints de tumeurs et du SIDA, la spasticité douloureuse dans la sclérose en plaques ainsi que les douleurs neuropathiques chroniques. Les domaines d’application des préparations contenant du CBD sont les formes précoces et réfractaires d’épilepsie, certains problèmes psychiques et quelques autres indications. Le professeur Tibor Harkany, neurobiologiste et directeur du département de neurosciences moléculaires au Centre de recherche sur le cerveau de l’Université de médecine de Vienne, constate un phénomène contradictoire : “Nous savons que le cannabis pourrait être utilisé pour traiter de nombreuses maladies et nous connaissons également en partie son mode d’action. Mais à cause de ces nombreux produits, on a aussi l’impression qu’il aide à tout et à rien. Or, le cannabis n’est pas une plante miracle, son utilisation est très spécifique et nous avons besoin de toute urgence de plusieurs études cliniques scientifiques basées sur des preuves” [7].
Littérature :
- OFSP : modification de la loi sur les médicaments à base de cannabis, www.bag.admin.ch/bag/de/home/medizin-und-forschung/heilmittel/med-anwend-cannabis/gesetzesaenderung-cannabisarzneimittel.html, (dernière consultation 09.08.2022)
- Nouvelle procédure pour la prescription de médicaments à base de cannabis, modification de la loi sur les stupéfiants, OFSP, 29.07.2022.
- Swissmedic : Rapport explicatif sur l’adaptation de l’ordonnance du DFI sur les tableaux des stupéfiants, des substances psychotropes, des précurseurs et des adjuvants chimiques (Ordonnance sur les tableaux des stupéfiants, OTStup-DFI, RS 812.121.11), août 2021
- Grotenhermen F : Le chanvre comme médicament. Un guide pratique. Soleure : Nachtschatten Verlag, 2015, 40-52.
- Keimpema E, Di Marzo V, Harkany T : Base biologique des médicaments cannabinoïdes. Science 2021 ; 374(6574) : 1449-1450.
- Fankhauser M : Le cannabis comme médicament. Manfred Fankhauser, Langnau SRO AG, clinique de la douleur, Langenthal, 24.01.2019
- “Cannabis in the medicine : Enorme therapeutic potential, but essential studies are still missing”, MedUni Wien, 17.12.2021, www.meduniwien.ac.at/web/ueber-uns/news/2021/news-im-dezember-2021/cannabis-in-der-medizin-enormes-therapeutisches-potenzial-aber-wesentliche-studien-fehlen-noch (last call 09.08.2022)
- Société suisse pour le cannabis en médecine, www.sgcm-sscm.ch/sites/default/files/documents/patienteninformation-sgcm_final_0.pdf
- BAG : Medizinische Anwendung von Cannabis, (dernière consultation 09.08.2022) www.bag.admin.ch/bag/de/home/medizin-und-forschung/heilmittel/med-anwend-cannabis.html (dernière consultation 09.08.2022)
- Fankhauser M : Cannabis sur ordonnance – Situation en Suisse, 2021, www.swissmedic.ch/swissmedic/de/home/legal/pharmacopoea/wichtige-informationen/expertentagung-pharmakopoee-online.html (dernière consultation 09.08.2022)
PRATIQUE DU MÉDECIN DE FAMILLE 2022 ; 17(8) : 22-23