Le traitement des troubles bipolaires est l’un des défis cliniques du psychiatre. Outre un traitement aigu efficace, les évolutions chroniques récurrentes nécessitent une stratégie durable à long terme. Les dernières directives des sociétés savantes germanophones fournissent les preuves actuelles pour la pratique clinique.
Les troubles affectifs bipolaires se caractérisent par des épisodes dépressifs et (hypo)maniaques récurrents. Ce trouble, qui débute souvent chez le jeune adulte, est associé, en l’absence de traitement, à des limitations sociales pertinentes, à un risque élevé d’invalidité et à des modifications neurotrophiques cérébrales à long terme. La thérapie est exigeante et nécessite une approche intégrative : outre une psychoéducation approfondie, il s’agit de stratégies de traitement qui traitent à la fois l’épisode aigu et agissent de manière prophylactique. Il faut tenir compte du caractère bipolaire du trouble. Compte tenu de l’évolution chronique récurrente, le traitement à long terme nécessite non seulement des agents efficaces, mais également des agents à faible effet secondaire à long terme.
La Société Suisse des Troubles Bipolaires (SSBD) et la Société Allemande des Troubles Bipolaires (DGBS) ont toutes deux récemment publié des directives actualisées sur le traitement professionnel des troubles bipolaires [1, 2]. Alors que les lignes directrices S3 allemandes comprennent des recommandations sur toutes les questions de soins en raison d’un processus de consensus tripartite largement soutenu, les recommandations de traitement suisses se concentrent sur les traitements de “première ligne” actuellement fondés sur des preuves. Les auteurs ne proposent pas de traitements en cas d’échec des thérapies de première intention. Les principales recommandations des lignes directrices suisses sont reprises ci-dessous. Les divergences avec les lignes directrices allemandes sont signalées au cas par cas.
Phases du traitement
Le traitement débute par une évaluation minutieuse qui doit aboutir à l’estimation du danger potentiel et à l’indication d’éventuelles mesures d’urgence. La base de la poursuite du traitement est l’établissement d’une relation thérapeutique, l’implication de l’environnement social et la psychoéducation. Un plan de traitement doit être élaboré avec le patient, qui comprend les trois phases suivantes (figure 1) :
- L’objectif du traitement aigu est la disparition complète des symptômes.
- Il est suivi d’un traitement d’entretien : la poursuite du traitement efficace en phase aiguë pendant environ six mois afin d’éviter une rechute.
- Enfin, la prophylaxie des récidives vise à prévenir la survenue de futurs épisodes.
Selon la phase aiguë ou dominante, la thérapie s’adresse à des phases de la maladie de nature opposée : Dans la manie, la thérapie médicamenteuse est au premier plan au début, alors que dans la dépression bipolaire, les approches psychothérapeutiques et pharmacothérapeutiques sont utilisées dès le début.
Psychoéducation et psychothérapie
La psychoéducation enseigne un modèle bio-psycho-social des troubles qui prend en compte les facteurs génétiques, les interactions gènes-environnement ainsi que les influences sociales et psychologiques sur le déclenchement et l’évolution du trouble. Cette approche sert de base à une approche thérapeutique multidimensionnelle, idéalement dans le cadre d’un modèle de “soins collaboratifs” [4]. L’objectif est d’optimiser l’adhésion (“observance” du traitement), qui doit être considérée comme un facteur déterminant pour l’évolution et le taux de récidive. Les éléments importants de la psychoéducation sont l’acquisition d’une compréhension de la maladie, l’explication des effets et des effets indésirables des médicaments, la reconnaissance et la réaction aux signes d’alerte précoces et le rythme du mode de vie. La psychoéducation peut se faire en individuel ou en groupe. L’implication des proches a fait ses preuves. Une psychoéducation systématique permet de réduire significativement le risque de rechute [5].
La thérapie du rythme interpersonnel et social, la thérapie cognitivo-comportementale et la thérapie centrée sur la famille se sont révélées être des méthodes de psychothérapie efficaces [6]. Ces méthodes peuvent améliorer les compétences interpersonnelles, la gestion personnelle du stress et la gestion fonctionnelle du trouble et avoir un effet positif sur l’évolution aiguë et à long terme.
Traitement médicamenteux
Traitement aigu de la manie : ces dernières années, les antipsychotiques atypiques mentionnés dans le tableau 1 se sont révélés efficaces dans le traitement de la manie aiguë.
Les doses sont les mêmes que pour le traitement de la schizophrénie. La quétiapine et l’olanzapine ayant également démontré leur effet de prophylaxie de phase, ces antipsychotiques présentent des avantages en termes de traitement à long terme, même s’il convient de tenir compte du risque de syndrome métabolique. Le lithium présente un effet antimaniaque similaire. Dans le traitement aigu, un taux plasmatique >0,8 mmol/L peut être nécessaire. Le valproate présente des avantages par rapport au lithium en raison de sa rapidité d’administration et de l’apparition rapide de son effet antimaniaque dans la manie aiguë. Le valproate fonctionne également bien dans les épisodes mixtes. Il ne devrait toutefois pas être utilisé chez les femmes en âge de procréer en raison des risques tératogènes. Enfin, les thérapies combinées mentionnées dans le tableau 1 se sont révélées efficaces. La préférence doit toutefois être donnée à une monothérapie efficace.
Traitement aigu de la dépression bipolaire : la quétiapine ou la quétiapine XR s’est avérée, selon plusieurs études, être le traitement de première intention de la dépression bipolaire. La dose recommandée est de 300-600 mg par jour. En outre, le lithium ou une combinaison avec un antidépresseur sont recommandés. L’utilisation d’antidépresseurs dans les troubles bipolaires fait l’objet de controverses. La probabilité d’induire un switch vers l'(hypo)manie semble plus faible que ce que l’on pensait jusqu’à présent. Les antidépresseurs tels que les ISRS ou le bupropion sont considérés comme sûrs et efficaces. Selon des revues récentes, l’efficacité antidépressive de la lamotrigine ne semble être démontrée que dans les épisodes dépressifs majeurs [7]. Sa lenteur d’administration le rend impraticable pour les traitements aigus.
prévention des récidives (tableau 2) : L’efficacité du lithium dans le traitement à long terme est bien établie. Dans les lignes directrices S3 allemandes, le lithium est le seul médicament avec une recommandation “A” (classe de recommandation la plus élevée) pour la prévention des récidives. En monothérapie et en association avec le valproate, le lithium est supérieur à une monothérapie par valproate [8]. Un taux plasmatique de lithium de 0,6-0,8 mmol/L a un effet prophylactique à la fois sur les épisodes maniaques et dépressifs. Un autre avantage du lithium est son effet préventif contre le suicide.
Parmi les antipsychotiques atypiques, la Suisse a enregistré une augmentation de la consommation de ces médicaments. Recommandations de traitement la quétiapine a obtenu une recommandation de “première ligne” pour la prophylaxie à long terme. Les lignes directrices S3 ne tiennent pas encore compte de la dernière étude à long terme sur la quétiapine [9], raison pour laquelle la quétiapine n’est recommandée qu’en association avec le lithium ou le valproate en cas de réponse dans la phase de traitement aigu, et pas encore en monothérapie. Selon les critères de décision des lignes directrices S3, une monothérapie par quétiapine en prévention des récidives serait désormais également recommandée sur la base de cette étude. Parmi les autres antipsychotiques atypiques, les deux guidelines recommandent l’aripiprazole, l’olanzapine et les injections à libération prolongée de rispéridone, surtout en prophylaxie des épisodes maniaques. Dans les lignes directrices suisses, l’olanzapine n’est mentionnée qu’avec une recommandation de niveau 2 en raison du risque de prise de poids et d’effets métaboliques.
Le valproate n’a reçu qu’une recommandation de grade 2 dans les lignes directrices CH en raison de la comparaison avec le lithium mentionnée ci-dessus [8]. En Allemagne, en raison du manque d’études à long terme, le valproate n’est recommandé en prévention des récidives qu’en cas de bonne réponse dans la manie aiguë. Le valproate ne doit être administré aux femmes en âge de procréer qu’en cas d’indication stricte, car il peut entraîner des malformations et une diminution de l’intelligence chez l’enfant.
La lamotrigine est mentionnée dans les lignes directrices suisses avec des restrictions, c’est-à-dire surtout pour la prophylaxie de la dépression chez les patients souffrant d’hypomanie. Selon les lignes directrices allemandes, elle est également recommandée en cas de “rapid cycling”.
Dans la prévention des récidives, les traitements combinés sont une pratique courante, même si les preuves ne sont pas très élevées. Il existe une étude naturaliste positive sur quatre ans concernant un traitement combiné par lithium ou valproate et quétiapine [10].
Une période d’au moins deux à trois ans est recommandée pour la durée de la prophylaxie des récidives, même si des traitements à vie peuvent être utiles.
Contrôles de laboratoire et examens de routine
Étant donné que le traitement médicamenteux des troubles bipolaires est souvent un traitement à long terme et que certaines substances actives peuvent avoir des effets indésirables graves à long terme, il est essentiel de procéder à un examen de base minutieux et à des contrôles réguliers des paramètres de risque. La figure 2 montre une compilation des contrôles de laboratoire recommandés [11].
Conclusions
Le lithium est le “gold standard” pour le traitement des troubles bipolaires, à la fois dans les recommandations de traitement CH et dans les lignes directrices S3 allemandes, avec de bonnes propriétés antimaniaques, antidépressives et prophylactiques du suicide, et de très bonnes preuves pour la prévention des récidives. Les antipsychotiques atypiques sont utilisés comme agents dans le traitement aigu des manies, dans les épisodes dépressifs (surtout la quétiapine) et dans la prévention des récidives. Les médicaments individuels ont une efficacité différentielle sur le pôle maniaque ou dépressif. Un concept thérapeutique intégratif incluant psychoéducation, des interventions psychothérapeutiques spécifiques et l’implication des proches peuvent améliorer considérablement le pronostic à long terme.
Dr. med. Thorsten Mikoteit
Littérature :
- Société suisse des troubles bipolaires. Hasler G, Preisig M, Müller T, Holsboer-Trachsler E, Conus P, Aubry JM, Greil W : Recommandations de traitement pour les troubles bipolaires. Forum Med Suisse (2011) ; 11 : 308-313.
- DGBS e.V. et DGPPN e.V. : Ligne directrice S3 sur le diagnostic et le traitement des troubles bipolaires. Version longue 1.0, mai 2012.
- Greil W, Giersch D : Thérapies de stabilisation de l’humeur dans les troubles maniaco-dépressifs (bipolaires). Un livre spécialisé pour les personnes concernées, leurs proches et les thérapeutes. Stuttgart : Thieme ; 2006.
- Yatham LN, Kennedy SH, O’Donovan C, Parikh S, MacQueen G, McIntyre R, et al : Canadian Network for Mood and Anxiety Treatments (CANMAT) guidelines for the management of patients with bipolar disorder : consensus and controverses. Bipolar Disord 2005 ; 7(Suppl 3) : 5-69.
- Rouget BW, Aubry JM : Efficacité des approches psychoéducatives sur les troubles bipolaires : une revue de la littérature. J Affect Disord 2007 ; 98 : 11-27.
- Miklowitz DJ : A review of evidence-based psychosocial interventions for bipolar disorder. J Clin Psychiatry 2006 ; 67(Suppl 11) : 28-33.
- Calabrese JR, Huffman RF, White RL, Edwards S, Thompson TR, Ascher JA, et al : Lamotrigine in the acute treatment of bipolar depression : results of five double-blind, placebo-controlled clinical trials. Bipolar Disord 2008 ; 10 : 323-333.
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- Weisler RH, Nolen WA, Neijber A, Hellqvist A, Paulsson B ; Trial 144 Study Investigators : Continuation of quetiapine versus switching to placebo or lithium for maintenance treatment of bipolar I disorder (Trial 144 : a randomized controlled study). J Clin Psychiatry 2011 ; 72 : 1452-1464.
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InFo Neurologie & Psychiatrie 2013 ; 11(1) : 13-16