Le dosage sanguin de médicaments psychotropes sert à révéler des particularités pharmacocinétiques chez les patients sous médication et donc à optimaliser leur traitement pharmacologique. Le groupe AGNP-TDM vient de publier une nouvelle version de leurs Recommandations basées sur un consensus. Il s’agit ici d’une version abrégée et illustrée par la présentation d’une situation clinique.
Le dosage sanguin de médicaments psychotropes sert à révéler les caractéristiques pharmacocinétiques chez le patient individuel et il représente donc un outil pour l’optimisation de la thérapie. Les recommandations publiées ces dernières décennies à propos du dosage sanguin de médicaments psychotropes à des fins thérapeutiques (Therapeutic Drug Monitoring, TDM) proviennent essentiellement du groupe TDM de l’Association de neuropsychopharmacologie et pharmacopsychiatrie (Arbeitsgemeinschaft für Neuropsychopharmakologie und Pharmakopsychiatrie, AGNP). Après les recommandations publiées en 2004 [1] et 2011 [2], le groupe AGNP-TDM a proposé en 2017 une nouvelle mise-à-jour, enrichie par l’inclusion de nombreux médicaments additionnels. La version complète est disponible en langue anglaise [3] et allemande [4], dont il existe également une version courte [5]. La version courte proposée ici se présente en allemand sous forme imprimée et électronique, et en français sous forme électronique. Elle encourage le lecteur à se référer à la version anglaise complète [3], qui est librement accessible sur internet (www.agnp.de). Elle permet d’améliorer l’efficacité et la tolérance d’une neuropsychopharmacothérapie à l’aide du TDM pour le bénéfice immédiat du patient et de réduire ainsi le coût d’une thérapie. Afin d’illustrer l’utilisation pratique de ces Recommandations basées sur un consensus du groupe AGNP-TDM, une situation clinique originale y est présentée (Patient A., voir encadré).
Indications pour le TDM
Le dosage sanguin de médicaments à des fins thérapeutiques ne devrait pas être envisagé en l’absence d’indication précise. Le tableau 1 présente une sélection de situations, dans lesquelles le TDM s’avère utile.
Chez le patient A., le TDM est indiqué pour plusieurs raisons: «Effets indésirables à des doses recommandées du médicament», «état infectieux aigu et traitement avec un substrat de CYP1A2 (olanzapine, dans cette situation)» et «suspicion d’une interaction médicamenteuse» (suite à l’arrêt de fumer). D’ailleurs, un dosage plasmatique de l’olanzapine aurait déjà été recommandé avant le passage de 20 à 40 mg/j, suite à la «réapparition de la symptomatologie sous dose adéquate». |
Niveaux de recommandation du TDM
En clinique, il y a unanimité sur la nécessité des dosages sanguins pour le lithium, car il présente une marge thérapeutique étroite. Des taux trop bas ont comme conséquence une inefficacité du médicament tandis que des taux trop élevés présentent un risque de toxicité. Pour d’autres médicaments comme l’agomélatine, qui se distingue par une demi-vie d’élimination très courte, le TDM est peu utile. Le groupe AGNP-TDM a ainsi défini 4 niveaux de recommandation:
- Niveau 1: «fortement recommandé» (p.ex. le lithium)
- Niveau 2: «recommandé» (p.ex. la rispéridone)
- Niveau 3: «utile» (p.ex. la fluoxétine)
- Niveau 4: «potentiellement utile» (p.ex. l’agomélatine)
Le niveau 1 (fortement recommandé) s’applique à 19 des 154 médicaments examinés.
Patient A.: Le TDM d’olanzapine est «fortement recommandé» (niveau 1) (tabl. 2). Dans le cas de ce médicament, il peut aussi être utile d’inclure le dosage de son métabolite actif, la désméthylolanzapine. |
Cependant, vu la difficulté à se procurer des substances de référence, rares sont les laboratoires qui offrent son dosage sanguin.
Marges thérapeutiques de référence et marges de référence en relation avec la dose
Deux questions sont primordiales pour l’interprétation des résultats du TDM:
- Est-ce que la concentration sanguine mesurée se situe dans ce qu’on désigne comme marges thérapeutiques de référence?
- Correspond-elle à celles qui sont mesurées chez des patients sans comédication et sans particularité génétique, et qui étaient traités à la même dose?
Le tableau 2 montre les taux thérapeutiques de référence de quelques médicaments sélectionnés. Ces concentrations devraient garantir une réponse thérapeutique favorable et une bonne tolérance au médicament.
Chez le patient A. traité avec 40 mg/j d’olanzapine, la concentration d’olanazpine mesurée dans le sang est 118 ng/mL (marges thérapeutiques de référence: 20–80 ng/mL). Le taux est donc plus élevé que celui qui détermine la limite supérieure des marges recommandées. Il est même plus haut que celui défini comme «seuil d’alerte communiqué par le laboratoire» (100 ng/mL). Celui-ci donne une mesure du seuil de la zone à risques toxiques et s’il est atteint, le laboratoire en informe le médecin traitant par téléphone. D’ailleurs, le laboratoire l’a aussi informé que le taux sanguin du médicament avait probablement atteint 200 ng/mL au moment de l’accident. |
Le tableau 3 présente des données pharmacocinétiques d’une sélection de médicaments antidépresseurs et antipsychotiques. Sur la base des doses prescrites et des facteurs DRC («dose related concentration»), il est possible de calculer la zone de taux sanguins normalement attendus pour une dose donnée précise. Les facteurs DRC ont été calculés à partir de données pharmacocinétiques (clearance, biodisponibilité, demi-vie d’élimination), tirées de la littérature actuelle. Sont indiquées la moyenne («moyen»), les valeurs limites «basses» et «hautes», qui correspondent à + ou – un écart-type (sd, standard deviation). La zone comprend ainsi 68% des valeurs d’une distribution normale des facteurs DRC. Le DRC (moyen, bas, haut) doit être multiplié par la dose que le patient a reçu, afin d’obtenir la moyenne ainsi que les valeurs de la limite inférieure et supérieure, c.-à-d. les marges de référence liées à la dose.
Le patient A. a été traité avec 40 mg/j d’olanzapine. Les marges de référence liées à la dose ont été calculées à l’aide des facteurs DRC et se situent donc entre 1,19 × 40 = 48 ng/mL (bas) et 2,50 × 40 = 100 ng/mL (élevé) (tabl. 3). Le taux sanguin d’olanzapine mesuré (118 ng/mL, 48h après l’interruption du traitement) est ainsi clairement supérieur à la concentration habituellement attendue. Cela d’autant plus que le laboratoire a calculé que le taux devait se situer autour de 200 ng/mL au moment de l’accident. |
Interprétation des résultats
L‘interprétation des résultats constitue une étape importante du processus de TDM, afin de bénéficier au maximum des avantages liés à cet outil. Elle représente un défi particulier, car elle exige de bonnes connaissances théoriques de la pharmacocinétique et de la pharmacodynamique des médicaments, comme l’illustre la situation clinique du patient A.
Plusieurs causes peuvent expliquer l’augmentation du taux d’olanzapine chez le patient A.:
- L’augmentation de sa dose
- Le CYP1A2, induit par la fumée, est l’enzyme principale responsable de la dégradation d’olanzapine. Une fois que le patient a arrêté de fumer [6], cette induction a dû disparaître après quelques jours [7], ce qui a dû provoquer une diminution de la clairance d’olanzapine.
- Son état infectieux a pu provoquer une inhibition du CYP1A2 par une augmentation d’immunomédiateurs. Cependant, pour l’instant, une inhibition du CYP1A2 par des infections et ses conséquences sur le métabolisme d’antipsychotiques n’ont été décrites que pour la clozapine et pas pour l’olanzapine.
Le résultat du TDM d’olanzapine fait penser que le patient a probablement subi son accident à cause d’un délire causé par l’olanzapine. Ses concentrations sont de l’ordre de celles qui sont observées lors d’un syndrome post-injection au cours d’un traitement à l’olanzapine administrée sous forme dépôt [8]. Il n’y avait pas d’indice qui permet de soupçonner une suicidalité chez ce patient. Après la chute du taux sanguin d’olanzapine en dessous de 100 ng/mL, le patient a été hospitalisé dans une clinique psychiatrique, puis déshospitalisé.
Sur le chemin d’une thérapie personnalisée
Les Recommandations du groupe AGNP-TDM basées sur un consensus avaient pour but de présenter des marges de référence thérapeutiques et de marges en relation avec la dose, les seuils d’alerte signalés par le laboratoire, et les indications pour le TDM de plus de 154 médicaments neuropsychiatriques. Le tableau 4 présente une vue d’ensemble d’autres thèmes qui ont également été traités dans les Recommandations du groupe AGNP-TDM basées sur un consensus. Elles comprennent une quantité d’informations basées sur l’évaluation de 1350 références de la littérature scientifique et elles tiennent compte de l’expérience personnelle des auteurs. Elles contiennent d’ailleurs un grand nombre d’informations pratiques. Elles permettent ainsi une application appropriée du TDM pour une thérapie optimale et personnalisée du patient psychiatrique. En ce qui concerne la théorie et l’application de tests pharmacogénétiques, ce sujet n’est pas traité ici pour des raisons d’espace. Il est recommandé de lire une revue de littérature critique récemment publiée dans ce même journal (9). Il est évident que pour l’utilisation optimale du TDM en neuropsychiatrie, la collaboration entre le médecin traitant, le spécialiste du laboratoire et le spécialiste en pharmacocinétique est nécessaire.
Résumé
Le dosage sanguin de médicaments psychotropes (Therapeutic Drug Monitoring, TDM) sert à révéler des particularités pharmacocinétiques chez les patients sous médication et donc à optimaliser leur traitement pharmacologique. Le groupe AGNP-TDM (Arbeitsgemeinschaft für Neuropsychopharmakologie und Pharmakopsychiatrie) vient de publier une nouvelle version de leurs Recommandations basées sur un consensus, considérablement augmentée, mise à jour et librement accessible sur internet (www.agnp.de; www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/). Il s’agit ici d’une version abrégée et illustrée par la présentation d’une situation clinique. La traduction française est publiée en version électronique, tandis que la version allemande est disponible sous forme imprimée et électronique www.medizinonline.com/artikel/neue-konsensusleitlinien-der-tdm-arbeitsgruppe-der-agnp.
Littérature:
- Baumann P, et al.: The AGNP-TDM expert group consensus guidelines: therapeutic drug monitoring in psychiatry. Pharmacopsychiatry 2004; 37(6): 243–265.
- Hiemke C, et al.: AGNP consensus guidelines for therapeutic drug monitoring in psychiatry: Update 2011. Pharmacopsychiatry 2011; 44(6): 195–235.
- Hiemke C, et al.: Consensus guidelines for therapeutic drug monitoring in neuropsychopharmacology: Update 2017. Pharmacopsychiatry 2018; 51(1–2): 9–62.
- Hefner G, et al.: Konsensus-Leitlinien für Therapeutisches Drug-Monitoring in der Neuropsychopharmakologie: Update 2017. Psychopharmakotherapie 2017; 25(3): 92–140.
- Unterecker S, et al.: Therapeutisches Drug-Monitoring in der Neuropsychopharmakologie. Zusammenfassung der Konsensusleitlinien 2017 der TDM-Arbeitsgruppe der AGNP. Nervenarzt 2018.
- Faber MS, Fuhr U: Time response of cytochrome P450 1A2 activity on cessation of heavy smoking. Clinical Pharmacology and Therapeutics 2004; 76(2): 178–184.
- Ring BJ, et al.: Identification of the human cytochromes P450 responsible for the in vitro formation of the major oxidative metabolites of the antipsychotic agent olanzapine. J Pharmacol Exp Ther 1996; 276(2): 658–666.
- Sarangula SM, et al.: Postinjection delirium/sedation syndrome with olanzapine depot injection. Indian J Psychol Med 2016; 38(4): 366–369.
- Baumann P, et al.: Personalisierte Therapie bei Psychopharmaka: Grundlagen und praktische Hinweise für pharmakogenetische Tests. Info Neurol Psych 2017; 15(6): 21–30. Die französische Version finden Sie unter www.medizinonline.ch/artikel/baumann_pharmacogenomique_therapie, Stand 18.1.19.