Les patients psychiatriques sont également hospitalisés pour des maladies somatiques et, inversement, un traitement par psychotropes est souvent nécessaire chez les patients présentant des troubles somatiques primaires. La prise en charge des patients concernés peut être facilitée par une bonne collaboration entre les psychiatres, les médecins généralistes et les spécialistes d’autres disciplines. Cette thématique était au cœur de la 12e réunion annuelle de la Société suisse pour la sécurité des médicaments en psychiatrie (SSMSP), le 2 octobre 2014. Plus de 120 participants ont pris part aux discussions à l’Hôpital universitaire de Zurich.
Les patients qui suivent un traitement à base de psychotropes souffrent souvent aussi de maladies somatiques chroniques ou aiguës. Si ces derniers sont également traités par des médicaments, il n’est pas rare que l’on assiste à une polypharmacie dont les effets et les effets secondaires sont difficiles à maîtriser. En particulier, il existe un certain nombre de combinaisons avec des risques qui nécessitent des contrôles spécifiques ou qui doivent être explicitement évités.
Il est cependant très difficile, voire impossible, pour les spécialistes de toutes les disciplines de connaître suffisamment les spécificités de la pharmacothérapie d’autres spécialités, avec ses nombreux risques d’interaction et les contrôles nécessaires. C’est pourquoi l’échange d’informations entre les psychiatres et les médecins généralistes et autres spécialistes revêt une importance particulière pour les patients psychiatriques. Tous les médecins sont également tenus de déclarer les effets indésirables suspectés aux autorités compétentes en matière de médicaments. En Suisse, cela se fait par le biais d’un système de pharmacovigilance très bien établi (Fig. 1), activement soutenu par la SSAMSP. En outre, les médecins devraient également se pencher sur les possibilités innovantes d’améliorer la sécurité des médicaments grâce à la prescription électronique. De tels systèmes permettent d’identifier les problèmes potentiels de la pharmacothérapie, d’évaluer leur pertinence clinique et d’avertir à temps des situations critiques.
Psychiatrie et médecine générale
Si un hôpital psychiatrique fait partie d’un hôpital de médecine générale, les conditions sont a priori favorables à une étroite collaboration interdisciplinaire. Le professeur Josef Jenewein, de la clinique de psychiatrie de l’hôpital universitaire de Zurich, a indiqué que la prévalence des troubles mentaux chez les patients hospitalisés dans les hôpitaux “normaux” est estimée à environ 25-60%. Ces troubles se répartissent dans des proportions à peu près similaires entre la dépression, les addictions et les troubles psycho-organiques. D’une part, les psychiatres peuvent offrir un service de consultation “externe” à d’autres cliniques. En outre, la psychiatrie peut, si nécessaire, faire partie d’une équipe multidisciplinaire pleinement intégrée, dans le cadre d’une activité de liaison. Les interventions peuvent alors concerner non seulement les patients, mais aussi, dans des cas spécifiques, l’équipe soignante. Dans tous les cas, la collaboration interdisciplinaire permet aux psychiatres et aux autres médecins d’échanger et d’élargir leur expertise sur les effets, les effets secondaires et les interactions de la pharmacothérapie interdisciplinaire, pour le bénéfice de tous.
Les demandes de consultation concernent souvent le délire et la dépression
Le délire mérite une attention particulière. En particulier dans les cas de démence préexistante, l’hospitalisation des patients pour des maladies somatiques est souvent une complication typique. Dans environ un tiers des cas, le delirium n’est pas reconnu comme tel. Le professeur Jenewein a notamment fait référence aux benzodiazépines, un facteur de risque fréquent et souvent facilement évitable. Dans le meilleur des cas, les antipsychotiques utilisés pour traiter le délire, qui sont susceptibles d’interagir avec d’autres médicaments, ne doivent pas être utilisés du tout. En revanche, les benzodiazépines sont utilisées avec succès dans le traitement du délire de sevrage alcoolique.
La dépression est également un motif très fréquent de pharmacothérapie psychiatrique chez les patients somatiques. La nouveauté ici est l’utilisation possible de psychostimulants comme le méthylphénidate ou le modafinil dans des cas particuliers, par exemple chez les patients oncologiques. Les interactions et les effets indésirables doivent toutefois faire l’objet d’une attention particulière.
Risques cardiaques de la psychopharmacothérapie
Les maladies cardiovasculaires sont l’une des principales causes de décès dans le monde occidental. Parallèlement, les maladies cardiovasculaires présentent une association frappante à la fois avec les diagnostics psychiatriques et avec leur pharmacothérapie. Le Dr Alice Walder a présenté les données du projet AMSP, où l’on constate que les effets indésirables des psychotropes sont particulièrement importants, avec près de 10% d’événements cardiovasculaires.
Dans la pratique clinique quotidienne, deux situations de risque en particulier doivent être anticipées et surveillées de près. Premièrement, pratiquement tous les antipsychotiques, ainsi que la plupart des antidépresseurs, y compris le citalopram, sont connus pour allonger l’intervalle QT, augmentant ainsi le risque de torsade de pointe et de mort cardiaque subite (Fig. 2) .
Dans un hôpital somatique, il peut typiquement y avoir des interactions dangereuses avec de nombreux autres médicaments qui allongent également l’intervalle QT. Il s’agit notamment des antibiotiques clarithromycine, moxifloxacine et co-trimoxazole, de l’ondansétron, un antiémétique puissant, ou encore de la méthadone. Les mesures préventives essentielles consistent ici à éviter la combinaison de plusieurs médicaments allongeant l’intervalle QT (contrôle des interactions, par exemple sur www.mediq.ch) et à contrôler régulièrement l’ECG.
Le deuxième problème typique est le syndrome métabolique associé aux antipsychotiques, un facteur de risque d’événements ischémiques cardio- et également cérébrovasculaires. Il est donc recommandé de surveiller étroitement les paramètres métaboliques, y compris les valeurs de référence, avant même le début du traitement. En cas de valeurs élevées, des mesures appropriées peuvent alors être prises après une évaluation minutieuse des risques et des avantages : un changement de traitement antipsychotique, des programmes d’amélioration de l’alimentation et de l’activité physique et, en dernier lieu, une réduction médicamenteuse supplémentaire de la pression artérielle, du cholestérol et de la glycémie.
Deux nouvelles études sur les risques cardiaques
Les risques cardiaques liés à l’administration d’antipsychotiques ont été discutés de manière plus approfondie dans un atelier interactif, animé par le professeur Waldemar Greil, Sanatorium Kilchberg et Ludwig-Maximilians Universität München, et le docteur François Girardin, Hôpitaux universitaires de Genève. Le professeur Greil a fait référence à une nouvelle étude de l’AMSP qui a révélé environ 200 cas d’effets secondaires cardiovasculaires graves sur environ 160 000 prescriptions d’antidépresseurs. Pour les antidépresseurs tricycliques, les effets secondaires cardiaques ont été rapportés environ deux fois plus souvent, soit 0,15% contre 0,08% pour les ISRS [1].
Le Dr Girardin a présenté son travail récemment publié sur 6790 patients psychiatriques [2]. Il a constaté que le risque d’arythmie lors de la prise d’antipsychotiques était particulièrement élevé chez les patients souffrant d’hypokaliémie, de modifications préexistantes des ondes T sur l’ECG et d’infections par le VHC et le VIH. Dans la pratique clinique quotidienne, une surveillance particulière est donc nécessaire en présence de ces facteurs de risque.
Nouvelles méthodes de suivi thérapeutique
Les analyses systématiques et les systèmes d’information clinique peuvent contribuer de manière significative à l’identification des combinaisons de médicaments dangereuses, voire contre-indiquées, et à la mise en garde en temps utile. En tant que pharmacologue clinique et épidémiologiste, le PD Dr Stefan Russmann s’intéresse à ce sujet à l’Hôpital universitaire de Zurich. Avec son groupe de travail, il a créé ces dernières années une base de données locale contenant environ 7 millions de prescriptions. Grâce au programme de “pharmacoépidémiologie interventionnelle” qu’il a développé, les erreurs de médication dans un hôpital peuvent être identifiées, quantifiées et leur pertinence clinique évaluée en très peu de temps (fig. 3). Les connaissances acquises permettent ensuite d’intégrer des alertes automatisées ciblées dans la prescription électronique de médicaments.
En psychiatrie, il apparaît ainsi que les associations dangereuses avec d’autres médicaments sont particulièrement fréquentes, notamment avec la clozapine, la fluvoxamine et le lithium, mais aussi avec l’amiodarone, un antiarythmique [3]. Mais à l’avenir, les erreurs de médication les plus graves pourront être évitées de manière efficace et efficiente grâce à des algorithmes appropriés. Les messages d’alerte hautement spécifiques doivent alors être affichés au moment de la prescription du médicament. Cela suppose un dossier médical électronique, mais celui-ci s’impose de toute façon actuellement comme norme au niveau international.
Collaboration interdisciplinaire : l’exemple des maladies chroniques douloureuses
Le Dr Esther Hindermann de la clinique Barmelweid a abordé les problèmes typiques de la polypharmacie et la nécessité d’une collaboration interdisciplinaire en prenant l’exemple de la gestion des maladies douloureuses chroniques. Environ 20% de la population européenne est en proie à des douleurs chroniques non tumorales. Il est très important de mettre en place une coopération précoce pour éviter la chronicité. Heureusement, il existe aujourd’hui une offre croissante de programmes multimodaux dont l’efficacité est scientifiquement bien établie. Les patients qui consomment des opioïdes, en particulier, peuvent bénéficier d’une prise en charge multidisciplinaire étroite.
Les erreurs fréquentes peuvent être évitées grâce à des soins compétents et hautement spécialisés, et le risque d’abus incontrôlé d’analgésiques est endigué. Les moyens pour y parvenir sont par exemple le choix de préparations à effet retard pour les opioïdes, l’évitement des formes en gouttes, des doses maximales strictes et une réponse proactive aux effets indésirables. Les services somatiques et psychologiques/psychiatriques s’efforcent simultanément d’identifier les causes et d’induire des changements de comportement. Ainsi, l’utilisation d’analgésiques peut être réduite à moyen terme et même, dans le meilleur des cas, totalement suspendue.
Risques et profils d’action des nouveaux psychotropes
Le PD Dr Daniel Schüpbach, de la clinique psychiatrique universitaire de Zurich, a présenté les nouveaux médicaments psychotropes. La recherche sur les futurs antipsychotiques continue de se concentrer sur les mécanismes d’action antidopaminergiques. La “liste de souhaits” concernant les propriétés des nouveaux antipsychotiques s’apparente toujours à la quadrature du cercle : une efficacité optimale, utilisable dans différentes indications, peu d’effets indésirables et un coût acceptable doivent être réunis dans un seul produit. Le Dr Schüpbach a présenté les données d’une méta-analyse très remarquée sur la comparaison des antipsychotiques, publiée dans le Lancet en 2013 [4]. Il est frappant de constater que, là encore, la bonne efficacité de la clozapine est soulignée.
Parallèlement, le Dr Girardin a indiqué que l’importance du risque d’agranulocytose dans la comparaison était peut-être plus historique que rationnelle [5]. Il existe des preuves que le risque n’est pas plus élevé que sous olanzapine, par exemple. L’évaluation du rapport risque/bénéfice des contrôles sanguins sous clozapine est désormais de plus en plus remise en question, et ceux-ci ne sont plus recommandés que tous les trois mois aux Pays-Bas, par exemple. En revanche, l’importance du risque élevé d’effets indésirables métaboliques sous clozapine est peut-être plutôt sous-estimée.
Les psychotropes, des “drogues de style de vie” ?
Les nouveaux antipsychotiques tels que l’aripiprazole et la lurasidone sont nettement plus avantageux en termes d’effets métaboliques. Mais leur perception comme des antipsychotiques mieux tolérés peut aussi contribuer à un élargissement des indications, jusqu’à une utilisation discutable comme “lifestyle drugs”. L’aripiprazole est déjà l’un des médicaments les plus vendus au monde, et le modafinil est souvent utilisé pour améliorer les performances sans indication psychiatrique. La prise de nouveaux médicaments psychotropes devrait donc devenir un sujet de plus en plus important pour les psychiatres, les médecins généralistes, les épidémiologistes et les payeurs du système de santé.
Littérature :
- Spindelegger C, et al : Int J Neuropsychopharmacology 2014, online first.
- Girardin F, et al : Am J Psychiatry 2013 ; 170(2) : 1468-1476.
- Haueis P, et al : Clin Pharmacol Ther 2011 ; 90(4) : 588-596.
- Leucht S, et al. : Lancet 2013 ; 382 : 951-962.
- Girardin F, et al : Lancet Psychiatry 2014 ; 1 : 55-62.
InFo NEUROLOGIE & PSYCHIATRIE 2015 ; 13(1) : 35-38