Les dysfonctionnements manifestes de la thyroïde sont considérés comme des facteurs de risque établis pour les maladies graves du système cardiovasculaire. En revanche, en cas de dysfonctionnement léger, la situation restait floue. Une analyse systématique de 32 études portant sur 1,3 million de participants apporte désormais des éclaircissements : même de légères anomalies de la fonction thyroïdienne peuvent augmenter le risque de maladies cardiovasculaires graves.
Les hormones thyroïdiennes sont des régulateurs importants de la croissance, de la différenciation et de l’homéostasie énergétique intégrative. Ils orchestrent le compromis entre les exigences souvent contradictoires de l’approvisionnement en énergie et en substrat, de l’ontogenèse, de la thermorégulation et des réactions de combat et de fuite. En tant que médiateurs lents de la charge allostatique, ils constituent le quatrième niveau de la réponse au stress après le système nerveux sensorimoteur et autonome, la libération de catécholamines et la sécrétion de glucocorticoïdes. Il n’est donc pas surprenant que leur rôle de commutateur entre les fonctions anaboliques et cataboliques englobe également le système cardiovasculaire.
Facteurs de risque de maladies cardiovasculaires
Au total, 32 publications ont été identifiées comme examinant un lien potentiel entre des variations minimes de la fonction thyroïdienne et des critères cardiovasculaires importants. Plusieurs études portant sur de larges échantillons ont montré qu’une concentration réduite et/ou élevée de TSH prédisait la mortalité cardiovasculaire, la mortalité totale ou les critères d’évaluation composites MACE#. Deux études ont même décrit une corrélation positive entre la concentration de TSH* dans la plage de référence et les événements cardiovasculaires. Cependant, plusieurs études, même sur de grands échantillons, n’ont pas établi de lien entre la concentration de TSH et les principaux critères d’évaluation. Les méta-analyses ont montré une association négative entre la concentration de TSH et les ratios de risque d’événements cardiovasculaires, mais pas d’association claire avec la MACE.
* TSH = hormone de stimulation thyroïdienne
# MACE = événements cardiovasculaires majeurs adverses
La situation était plus claire pour la concentration de thyroxine libre (FT4). Dans six études avec une grande taille d’échantillon cumulative, une association positive significative a été observée entre le FT4 et les événements cardiovasculaires, y compris les critères d’évaluation composites, la mortalité et les défibrillateurs cardioverteurs implantables (DAI) appropriés. Dans deux études, cette association était également présente lorsque la concentration de FT4 était limitée à l’intervalle de référence. Une seule étude a associé des concentrations de FT4 à la fois faibles et élevées à des événements cardiovasculaires. Cette étude incluait des sujets recevant un traitement de substitution à la lévothyroxine et pourrait donc être due à des mécanismes physiopathologiques légèrement différents. La méta-analyse a mis en évidence une association positive entre le FT4 et le MACE, ainsi qu’une tendance aux maladies cardiovasculaires.
La disparité entre ces résultats, avec un modèle prédictif monotone fort pour la FT4, mais une association beaucoup moins claire de la TSH avec les principaux critères d’évaluation, peut être attribuée à plusieurs causes. L’une d’entre elles pourrait être l’hétérogénéité considérable des résultats dans les études incluses, de sorte que des modèles moins puissants avec des effets aléatoires ont dû être préférés à des modèles avec des effets fixes, en particulier pour l’association de la concentration de TSH avec MACE. Une autre explication pourrait être une relation en forme de U entre la concentration de TSH et le risque d’événements cardiovasculaires. Cette forme d’interaction non linéaire a été observée dans quatre études dans lesquelles une diminution et une augmentation de la TSH prédisaient toutes deux la mortalité. Les études dont les résultats sont négatifs peuvent avoir négligé cette association complexe en raison de l’utilisation de modèles statistiques trop simplifiés. Elle est toutefois confirmée par les méta-analyses qui montrent que l’hypothyroïdie infraclinique et l’hyperthyroïdie prédisent toutes deux la mortalité cardiovasculaire.
Deux modèles différents
Les preuves cliniques indiquent une relation monotone et univoque entre la concentration de FT4 et les arythmies cardiaques, qui semble être l’un des principaux médiateurs des critères d’évaluation cardiovasculaires. La relation entre les niveaux de TSH et les arythmies cardiaques, la mortalité et d’autres critères est moins claire et s’explique mieux par une relation en U qui pourrait refléter le chevauchement de deux scénarios différents : un type dyshoméostatique d’arythmie cardiaque thyrogénique résultant d’une thyrotoxicose primaire et une réaction allostatique avec une valeur de consigne élevée de la boucle de rétroaction.
Prévention et traitement personnalisés
La nouvelle compréhension de la double étiologie de la jonction thyréo-cardiaque a des implications thérapeutiques importantes. Tout d’abord, le seuil de traitement de la thyrotoxicose pourrait être adapté à l’avenir afin d’inclure l’hyperthyroïdie (SH) subclinique. Cette décision pourrait être étayée par les résultats d’une méta-analyse qui montre une augmentation de 24% du risque global de mortalité en cas de SH. Cependant, les effets potentiellement positifs d’une correction plus intensive d’une thyrotoxicose de bas grade doivent être mis en balance avec les risques d’un traitement par thyréostatiques et d’un traitement définitif. L’Association européenne de la thyroïde recommande le traitement de la SH chez les personnes âgées de 65 ans et plus et chez les personnes plus jeunes présentant une maladie cardiovasculaire concomitante.
Pour le traitement de l’hypothyroïdie, la situation est moins compliquée. Dans ce cas, il peut être avantageux que les algorithmes de titration de la dose de lévothyroxine s’approchent de la cible par le bas et empêchent la concentration de T4 libre de pénétrer dans la zone du quartile le plus élevé de la plage de référence. Ce raisonnement s’applique également à la prophylaxie secondaire du cancer différencié de la thyroïde (DTC). En conséquence, les dernières lignes directrices ont également pris en compte les préoccupations cardiovasculaires en supprimant la recommandation antérieure d’une suppression universelle de la TSH dans les TTT à risque faible et modéré.
Source : Müller P, et al : Minor perturbations of thyroid homeostasis and major cardiovascular endpoints-Physiological mechanisms and clinical evidence. Front Cardiovasc Med 2022 ; doi : 10.3389/fcvm.2022.942971.
CARDIOVASC 2022 ; 21(4) : 38