Depuis son saut quantique en 2014, le traitement de l’hépatite C est en constante évolution. Le Prof. Dr. med. Dr. h.c. Darius Moradpour, Lausanne, a emmené l’auditoire du congrès de la SSAIM dans un voyage à travers les principales étapes du diagnostic et du traitement de cette maladie infectieuse fréquente. Beaucoup a été fait, beaucoup reste à faire. La sensibilisation de la population générale est justement encore peu développée, contrairement au VIH, où des progrès décisifs ont été réalisés grâce à de grandes campagnes d’information.
“Il y a environ 80 à 180 millions de personnes dans le monde qui souffrent d’une infection chronique par le virus de l’hépatite C (VHC)”, a déclaré le Pr. Darius Moradpour du CHUV à Lausanne en guise d’introduction. En Suisse, on estime que ce nombre s’élève à environ 80 000 personnes, soit 1% de la population. Plus de la moitié d’entre eux ne sont pas conscients de leur infection. De plus, comme elle est généralement asymptomatique pendant de nombreuses années, le pic des complications tardives ou de la charge de morbidité n’est pas attendu avant 2030. En termes de mortalité, le VHC a depuis longtemps dépassé le VIH. “On peut donc mettre fin au mythe largement répandu dans la population générale selon lequel l’hépatite virale est une maladie rare avec laquelle on n’entre normalement pas en contact. Au contraire, les hépatites virales chroniques B et C font partie des maladies infectieuses les plus fréquentes au monde. Une personne sur douze est touchée”, a averti le professeur Moradpour. Les conséquences sont graves : dans 50 à 80% des cas, l’hépatite C aiguë évolue vers une forme chronique. Après environ 30 ans, une cirrhose du foie menace dans 15 à 30 % des cas, qui peut à son tour évoluer vers un carcinome hépatocellulaire (CHC) chez 1 à 6 % des patients par an. D’où proviennent tous ces cas ?
Outre les signes cliniques ou les symptômes d’hépatite, les facteurs de risque suivants doivent être pris en compte pour le dépistage d’une hépatite chronique à VHC.
Infection :
- médicales (principalement les receveurs de transfusions sanguines ou d’organes solides avant 1992, mais aussi les personnes infectées par le VHB ou le VIH ou sous hémodialyse)
- démographiques (par exemple, pays d’origine : Égypte ou déjà Italie du Sud)
- profession ou comportement (par exemple, contact professionnel avec des personnes infectées ; consommation de drogues par voie intraveineuse ou intranasale ; hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes ; changement fréquent de partenaires sexuels)
- d’autres facteurs tels que les longues peines de prison, les piercings ou les tatouages, les enfants nés de mères infectées par le VHC.
Les trois quarts des infections par le VHC aux États-Unis concernent des personnes nées entre 1945 et 1965, ce qui correspond à une prévalence de 3,5% dans ce groupe. Le fait que la génération du baby-boom soit la plus souvent infectée a entraîné une augmentation des efforts de dépistage [1] (en Suisse, les personnes nées entre 1951 et 1985 sont les plus touchées).
Staging et nouveaux médicaments
Pour la stadification de la fibrose hépatique, le score METAVIR est généralement utilisé en Suisse (biopsie du foie). Le Fibroscan est également de plus en plus utilisé. Il s’agit d’une méthode pratique et non invasive qui donne une indication sur la rigidité du foie : plus la valeur kPa enregistrée est élevée, plus le foie est dur. La mesure montre par conséquent une corrélation avec la fibrose. Elle est reconnue dans le remboursement des nouveaux médicaments contre l’hépatite C. “Ces derniers ont fait l’objet de nombreux articles dans la presse spécialisée et non spécialisée”, a fait remarquer le professeur Moradpour. “Parfois, face au débat (certes justifié) sur les coûts et les limites, on oublie un peu la portée du succès médical. Il faut se rendre compte de l’incroyable progrès que représentent ces antiviraux à action directe (AAD) pour le traitement de l’hépatite C. Nous obtenons aujourd’hui des taux de guérison (‘sustained virological responses'[SVR]) 12 ou 24 semaines après le traitement de plus de 90%”.
Dans le sens d’un exemple unique parmi d’autres, l’orateur a montré les résultats des études ASTRAL avec le sofosbuvir et le velpatasvir : dans tous les groupes (génotypes 1-6 du VHC), les SVR12 frôlent ou atteignent la barre des 100% [2,3]. Alors que pour le VHB ou le VIH, l’objectif est la suppression virale (c’est-à-dire qu’un traitement à vie, voire pendant des années, est nécessaire), pour le VHC, l’élimination du virus et donc la guérison sont envisageables. Après une RVS, il n’y a donc plus de réactivation possible du virus, mais le risque de réinfection reste bien sûr présent.
Un développement rapide
Pendant longtemps, l’interféron-α (pégylé) et la ribavirine ont été considérés comme la norme, permettant d’atteindre des taux de guérison de près de 50% pour les infections de génotype 1 et de 70 à 80% pour les infections de génotype 2/3, et ce avec un potentiel d’effets secondaires considérable. La grande percée a eu lieu en 2014 avec les nouvelles combinaisons d’AAD sans interféron par voie orale, qui permettent un traitement extrêmement efficace pour tous les génotypes, associé à une durée de traitement plus courte et à une bonne tolérance. Ces derniers ont été précédés par la mise en place d’un système de réplication du virus en 1999, une étape cruciale vers le développement des nouvelles substances.
“Nous avons donc accompli beaucoup de choses. Et cela se poursuit à un rythme effréné. Les recommandations thérapeutiques sont en constante évolution. Pour les médecins généralistes, il est probablement presque impossible de garder une vue d’ensemble, et même pour nous, les spécialistes, cela s’avère parfois difficile. Je ne peux donc que vous donner l’état actuel des choses à la fin mai 2016”, a souligné l’orateur. Les substances autorisées à cette date sont présentées dans le tableau 1. On peut les distinguer en tant qu’inhibiteurs de protéase (avec le suffixe -previr), inhibiteurs de NS5A (-asvir) et inhibiteurs de polymérase (-buvir).
Questions non résolues
Bien que les nouveaux médicaments contre l’hépatite C aient le potentiel d’éliminer l’épidémie, cet objectif est encore loin d’être atteint (en Suisse également). La tarification n’est pas le seul problème, le dépistage et la sensibilisation de la population générale doivent également être améliorés. La révolution du traitement de l’hépatite C ne se traduit pas spontanément par une amélioration des soins. Au contraire, en raison des limites du remboursement et des taux de dépistage et d’investigation qui doivent encore être améliorés, le nombre de traitements continue d’être très en retard sur le nombre de maladies.
“Il va de soi que le problème s’aggrave considérablement pour les pays pauvres. Même la Suisse, pays riche, peut difficilement supporter une politique de prix aussi agressive. Il est donc urgent de créer un meilleur accès à la prévention, au diagnostic et au traitement pour les plus de 80% de personnes moins privilégiées dans le monde”, conclut-il. Il ne faut pas non plus perdre de vue le problème de la résistance chez les patients qui ne répondent pas aux nouveaux médicaments (par exemple en raison de schémas thérapeutiques non optimaux, etc.) “Les virus sont intelligents, il ne faut jamais sous-estimer leur capacité d’adaptation”, a conclu le professeur Moradpour.
Source : Congrès de la SSAI, 25-27 mai 2016, Bâle
Littérature :
- Smith BD, et al : Recommandations pour l’identification de l’infection chronique par le virus de l’hépatite C chez les personnes nées pendant 1945-1965. MMWR Recomm Rep 2012 Aug 17 ; 61(RR-4) : 1-32.
- Feld JJ, et al : Sofosbuvir and Velpatasvir for HCV Genotype 1, 2, 4, 5, and 6 Infection. N Engl J Med 2015 Dec 31 ; 373(27) : 2599-2607.
- Foster GR, et al : Sofosbuvir and Velpatasvir for HCV Genotype 2 and 3 Infection. N Engl J Med 2015 Dec 31 ; 373(27) : 2608-2617.
PRATIQUE DU MÉDECIN DE FAMILLE 2016, 11(7) : 37-38