Les dermatophytes provoquent des infections de la peau libre, des ongles ou des cheveux. T. rubrum et T. interdigitale sont les dermatophytes les plus courants, sont anthropophiles et sont responsables de tinea pedis, de mycoses des ongles et parfois de tinea corporis. La tinea capitis touche principalement les enfants prépubères et est causée par des agents zoophiles ou anthropophiles. Une augmentation a été observée ces dernières années. La préparation en microscopie directe et la culture sont les principales méthodes de diagnostic, la culture durant trois à quatre semaines. Il est important de communiquer au laboratoire les diagnostics suspects et les informations telles que les antécédents de voyage, les maladies de base, les contacts avec les animaux, etc.
Les infections fongiques de la peau peuvent être causées par des dermatophytes, des levures et des moisissures. Les dermatophytes représentent la part la plus importante en nombre. L’infection est alors appelée dermatophytose ou tinea (en anglais “ringworm”). Les dermatophytoses font partie des infections les plus courantes dans le monde et touchent entre 2 et 20% de la population selon les études [1,2].
Il s’agit de champignons kératinolytiques qui peuvent vivre exclusivement sur des structures contenant de la kératine et qui ne peuvent donc s’attaquer qu’à la peau libre et à ses annexes comme les follicules pileux, les cheveux et les ongles. En raison de leur habitat naturel, on distingue parmi les dermatophytes les espèces géophiles, naturellement présentes dans le sol, les espèces zoophiles, présentes sur les animaux, et les espèces anthropophiles, présentes uniquement sur l’homme.
Les paragraphes suivants présentent brièvement les différentes manifestations cliniques, expliquent les tendances épidémiologiques intéressantes en Suisse et dans le monde, expliquent les changements taxonomiques et présentent les aspects importants et nouveaux du diagnostic.
Clinique
Les dermatophytoses (tinea) sont appelées, selon leur localisation, tinea pedis (pied), tinea capitis (cuir chevelu), tinea faciei (visage) ou tinea corporis (corps), par exemple. En dehors des ongles, la tinea se présente typiquement sous la forme d’un érythème squameux arrondi à bords accentués, d’une pâleur centrale et d’une extension centrifuge (Fig. 1) [3].
Des foyers satellites et une distribution asymétrique peuvent être des indices supplémentaires de l’infection. La forme interdigitale fréquente de tinea pedis se caractérise par des rougeurs, des desquamations, des fissures et une macération dans et autour des espaces interdigitaux (fig. 2). Lorsqu’il y a une atteinte de la plante des pieds et des bords latéraux du pied avec hyperkératose et rougeur partielle, on parle de “type mocassin”. Une tinea inguinalis et une tinea glutealis peuvent se développer par auto-inoculation (en particulier lors de l’enfilage et du retrait des pantalons et des slips) (Fig. 3). Le diagnostic différentiel d’une tinea corporis doit être envisagé avec un eczéma nummulaire, une dermatite atopique, un parapsoriasis, un psoriasis, un lupus érythémateux subaigu ou un impétigo.
En cas de mycose des ongles (onychomycose), les ongles des pieds sont cinq fois plus souvent touchés que les ongles des mains. La manifestation la plus fréquente est la forme distale sous-unguéale avec un épaississement de la tablette unguéale (hyperkératose) et un changement de couleur qui peut être blanchâtre, jaunâtre ou brunâtre (Fig. 4). Dans de rares cas, on observe une infection dans la zone proximale de l’ongle ou ce que l’on appelle une onychomycose blanche superficielle.
La tinea capitis, qui survient surtout chez l’enfant, affecte les cheveux et le cuir chevelu. Selon les espèces, les champignons pénètrent dans la tige du cheveu (forme endotriche) ou envahissent la partie extérieure du cheveu et s’y multiplient (forme ectotriche). Les formes légères de tinea capitis se manifestent par des modifications circulaires et squameuses accompagnées d’une chute de cheveux (fig. 5). La maladie due à des agents zoophiles est généralement plus sévère et peut se caractériser par de fortes réactions inflammatoires pouvant aller jusqu’au kérion celsi. Suite à l’inflammation des follicules, une cicatrisation irréversible peut se produire si le diagnostic est posé trop tard.
Taxonomie
Traditionnellement, les dermatophytes étaient divisés en trois genres, Trichophyton, Microsporum et Epidermophyton. Les nouvelles données de séquences combinées à des critères écologiques et phénotypiques conduisent à une nouvelle nomenclature, certes plus complexe, mais aussi plus claire [4]. Les principaux changements sont les suivants :
- On distingue désormais sept genres : Trichophyton, Epidermophyton, Microsporum, Nannizzia, Paraphyton, Lophophyton et Arthroderma.
- Seuls les quatre premiers genres sont cliniquement pertinents
- T. interdigitale reste le nom de l’espèce pour les souches anthropophiles (provoque généralement une mycose des ongles et une tinea pedis).
- Les soucheszoophiles de T. interdigitalesont, comme auparavant, regroupées sous le nom de T. mentagrophytes
- Les espèces rares de Microsporum, principalement géophiles, sont regroupées sous Nannizzia
Le tableau 1 donne un aperçu de tous les genres, de leurs principaux représentants et de la clinique typique.
Épidémiologie
Au cours des 100 dernières années, le spectre des dermatophytes a connu des changements marquants. Au début du 20e siècle, Microsporum audouinii et Trichophyton schoenleinii (tous deux tinea capitis), Epidermophyton floccosum (tinea corporis) et Trichophyton interdigitale (mycose des ongles, tinea pedis et tinea corporis) étaient les espèces dominantes [2,5]. Parallèlement à l’augmentation des activités sportives dans les gymnases et les piscines couvertes et à l’accroissement des migrations après la Seconde Guerre mondiale, la prévalence de la tinea pedis a également fortement augmenté, tandis que l’amélioration de l’hygiène et l’utilisation de la griséofulvine ont fait reculer le nombre de cas de tinea capitis. Dans la foulée, le spectre des agents pathogènes a également changé ; T. rubrum est devenu l’espèce dominante dans le monde entier pour les mycoses des ongles et des pieds et pour la tinea corporis, suivie par T. interdigitale. En ce qui concerne la tinea capitis, l’Europe a connu une forte croissance de l’utilisation d’animaux domestiques dans la seconde moitié du 20e siècle, probablement en raison de l’augmentation de la population. siècle, l’espèce zoophile M. canis est dominante.
Les données de notre laboratoire spécialisé en dermatomycologie sur tous les échantillons envoyés ces deux dernières années montrent également une nette prédominance de T. rubrum ; 68,5% de tous les dermatophytes isolés concernent cette espèce (tab. 1). 20% sont dus à T. interdigitale. 85% des échantillons contenant T. rubrum et T. interdigitale proviennent de mycoses du pied (ongles et tinea pedis), le reste concerne des tinea corporis et des mycoses de la main (ongles et tinea manuum).
L’analyse des cas de tinea capitis est intéressante : Dans l’ensemble, nous avons observé une augmentation au cours des dernières années [6]. Cela s’explique notamment par une augmentation des infections à T. violaceum chez les enfants issus de l’immigration. Environ trois quarts des cas de tinea capitis sont causés par des agents anthropophiles (T. violaceum, M. audouinii, T. tonsurans, T. soudanense). Dans les cas zoophiles, transmis principalement par des animaux domestiques, les agents pathogènes sont M. canis, T. mentagrophytes et T. benhamiae (tab. 1).
Diagnostic
Le diagnostic de laboratoire est essentiel pour détecter une infection fongique. Une préanalytique correcte est une condition préalable à la réussite d’un examen de laboratoire. Il est particulièrement important que la détection des champignons soit explicitement demandée et que des informations supplémentaires soient fournies. Les médecins envoyeurs sont priés de communiquer les diagnostics suspects et les informations telles que les antécédents de voyage, les maladies sous-jacentes, les contacts avec les animaux, etc. Ces informations sont importantes pour le traitement correct des échantillons et pour l’interprétation des résultats. Par exemple, il est important de préciser que le patient atteint de Tinea corporis est un agriculteur ; dans ce cas, on recherche en particulier T. verrucosum, ce qui implique des milieux de culture supplémentaires et une incubation plus longue.
Pour le prélèvement d’échantillons, la règle est [7] :
- Nettoyer la lésion/le site de prélèvement avec de l’alcool à 70% si possible.
- En cas de mycose de l’ongle, prélevez les copeaux d’ongle et le matériel sous-unguéal friable aussi loin que possible dans la zone proximale.
- En cas de tinea corporis, grattez les squames de la zone périphérique de la lésion cutanée,
- En cas de tinea capitis, prélevez les pellicules et les poils épilés avec la racine.
- Conserver les échantillons dans un endroit sec et les envoyer dans les emballages d’expédition prévus à cet effet (par ex. Dermapak®).
Il faut toujours insister sur le fait que les échantillons doivent être prélevés généreusement, sinon la sensibilité de l’examen ne peut pas être garantie.
En laboratoire, une microscopie directe est effectuée et une culture est réalisée sur plusieurs milieux de culture. La préparation par microscopie directe est peu coûteuse et le résultat est disponible en peu de temps. La détection d’éléments fongiques (hyphes, arthroconidies) prouve une infection fongique (Fig. 6). La sensibilité est de l’ordre de 75-80% et un résultat négatif n’exclut donc pas une infection fongique. De plus, la microscopie seule ne permet pas de déterminer la nature de l’agent pathogène, ce qui est important dans la perspective d’examens plus approfondis, par exemple pour les agents zoophiles. Les cultures mises en place doivent être incubées pendant trois à quatre semaines, car les dermatophytes se développent lentement [8]. Si T. verrucosum est l’agent pathogène en question, il est même recommandé de l’incuber pendant six à huit semaines. Dans certains cas, si la suspicion persiste et que la culture et la microscopie sont négatives, un examen histologique avec coloration PAS peut être utile. Dans les années à venir, on utilisera probablement de plus en plus de méthodes de biologie moléculaire, qui sont certes rapides et sensibles, mais aussi coûteuses.
Littérature :
- Havlickova B, Czaika VA, Friedrich M : Epidemiological trends in skin mycoses worldwide. Mycoses 2008 ; 51(Suppl 4) : 2-15.
- Hayette MP, Sacheli R : Dermatophytose, tendances de l’épidémiologie et approche diagnostique. Curr Fungal Infect Rep 2015 ; doi:10.1007/s12281-015-0231-4.
- Borelli S, Lautenschlager S : Infection de la peau et des ongles par des dermatophytes. Ther Umsch 2016 ; 73 : 457-461.
- de Hoog GS, et al. : Toward a Novel Multilocus Phylogenetic Taxonomy for the Dermatophytes. Mycopathologia 2016 ; doi:10.1007/s11046-016-0073-9.
- Zhan P, Liu W : The Changing Face of Dermatophytic Infections Worldwide (Le nouveau visage des infections dermatophytiques dans le monde). Mycopathologia 2016 ; doi:10.1007/s11046-016-0082-8.
- Kieliger S, et al. : Tinea capitis and tinea faciei in the Zurich area – an 8-year survey of trends in the epidemiology and treatment patterns. J Eur Acad Dermatol Venereol 2015 ; 29 : 1524-1529.
- Bosshard PP : Diagnostic des infections fongiques. Ther Umsch 2016 ; 73 : 449-455.
- Bosshard PP : Incubation de cultures fongiques : quelle est la durée suffisante ? Mycoses 2011 ; 54 : E539-E545.
DERMATOLOGIE PRATIQUE 2017 ; 27(1) : 10-15