La prévalence ponctuelle du prurit chronique est d’environ 13,5% dans la population générale et de 16,8% dans la population active. L’incidence est d’environ 7% par an. En raison de la grande variabilité des causes, il est difficile de les classer. Deux approches ont fait leurs preuves : classer selon les symptômes neurophysiologiques ou selon les symptômes de diagnostic clinique. Une anamnèse minutieuse, un examen clinique approfondi et des analyses de laboratoire approfondies devraient permettre de déterminer les causes possibles avant le traitement. L’objectif principal du traitement est de soulager le prurit le plus rapidement possible. L’adaptation individuelle se fait par étapes et est décrite dans des lignes directrices. Le prurit étant purement subjectif, des “outils” spécifiques ont été développés pour évaluer le bénéfice du traitement et validés par des essais cliniques contrôlés. On distingue les outils qui évaluent le prurit dans son intensité de ceux qui évaluent la qualité de vie.
Le prurit peut ne toucher qu’une seule zone de la peau, comme dans le cas des piqûres d’insectes ou des quintes, ou se manifester sur tout le corps, comme dans le cas d’une peau sèche pendant la saison hivernale. Dans ces cas, on parle de prurit aigu comme expression des mécanismes de défense interne du corps. Outre la douleur, le prurit aigu est également un système d’alarme permettant d’éliminer de la peau d’éventuelles substances nocives ou même toxiques.
Dans ces cas, se gratter apporte généralement un certain soulagement. Cependant, chez certaines personnes, le prurit persiste pendant une période prolongée, parfois sans cause apparente.
Si le prurit persiste au-delà de six semaines, il est qualifié de chronique selon la nomenclature internationale [1–3]. Contrairement à la fonction de protection ou de défense du prurit aigu, le prurit chronique (CP) représente un impact significatif sur la qualité de vie en raison du besoin compulsif de se gratter.
Occurrence
Il existe désormais des données fiables sur l’incidence et la prévalence de la PC, qui sont résumées dans le “Guide du prurit chronique” : La prévalence ponctuelle est d’environ 13,5% dans la population générale et de 16,8% dans la population active – l’incidence est d’environ 7% par an [1].
Le CP est l’une des plaintes dermatologiques les plus courantes (tab. 1), surtout chez les patients atopiques et gériatriques : 20-33% des personnes de plus de 85 ans se plaignent de CP [3] – nous vous renvoyons à l’article sur le “Prurit chez les personnes âgées” dans DERMATOLOGIE PRAXIS 2/2014 [4].
Classification et physiopathologie
En raison de la grande variabilité des causes, il est difficile de classer les CP. Deux approches ont fait leurs preuves : Classification selon les symptômes neurophysiologiques ou selon les symptômes de diagnostic clinique (tab. 2) [1–3,5,6].
La physiopathologie du prurit dépasse le cadre de ce texte et est décrite en détail dans d’autres publications [2,3,7].
Diagnostic
En raison de la diversité des causes du CP, il ne peut y avoir de plan de traitement unique. Au préalable, une anamnèse minutieuse, un examen clinique approfondi et des analyses de laboratoire doivent permettre de déterminer les causes possibles, telles que les maladies existantes, l’allergie, l’atopie, la prise de médicaments, etc. [1,7]. L’examen approfondi de l’ensemble de la peau révèle des abrasions, des ulcérations, des érythèmes, des changements de pigmentation, des cicatrices, une lichénification ainsi que des infections ou des parasitoses pouvant entraîner une PC.
Il est important de prendre en compte les méthodes de grattage utilisées par le patient pour soulager le prurit (par ex. l’utilisation de brosses). On trouve également le “signe du papillon”, qui se caractérise par des lésions de grattage sur l’ensemble du dos, à l’exception d’une encoche, car la personne concernée ne peut pas y accéder [7]. En raison des nombreuses causes systémiques de la PC, il est essentiel de procéder à un dépistage approfondi et complet des maladies potentielles. Chez les patients âgés, il faut également tenir compte du fait qu’ils sont souvent multimorbides.
Planification de la thérapie
L’objectif principal du traitement est de soulager rapidement le prurit. La grande diversité des causes implique généralement un traitement adapté à chaque cas, et dans tous les cas, l’état de la peau doit être soigneusement surveillé. L’adaptation individuelle se fait par étapes et est décrite dans la ligne directrice (tab. 3) [1,7]. A tous les stades, un traitement concomitant des troubles du sommeil (s’il y en a), une prise en charge psychosomatique, une thérapie comportementale et éventuellement une désinfection de la peau ainsi que des glucocorticoïdes locaux en cas de lésions de grattage sont indiqués.
Les personnes souffrant de démangeaisons d’origine physique sont souvent soumises à un stress physique et mental important et doivent faire face à des problèmes psychologiques. Une approche thérapeutique multidisciplinaire est très avantageuse et de plus en plus recommandée [1,4].
Saisir le prurit
Le prurit est purement subjectif et le bénéfice d’un traitement ne peut pas être prouvé au sens classique du terme, par exemple en mesurant des paramètres physiologiques. De même, des variations intra-individuelles (dues par exemple à la fatigue, à l’anxiété ou au stress) peuvent influencer considérablement la perception du prurit [8–10]. C’est pourquoi des “outils” spécifiques ont été développés et validés par des études cliniques contrôlées. On distingue les outils permettant d’évaluer l’intensité du prurit et les outils permettant d’évaluer la qualité de vie.
Outils pour mesurer l’intensité
Questionnaires : des questionnaires ont été utilisés à plusieurs reprises pour évaluer le CP. Cependant, il n’existe pas encore de questionnaire standardisé au niveau international, des validations cliniques sont actuellement en cours [8–11].
EVA : l’échelle visuelle analogique (EVA) est l’outil de base le plus souvent utilisé. Elle a été développée à l’origine pour appréhender la douleur. Il s’agit d’une ligne de 10 cm de long (avec uniquement l’inscription des points d’extrémité 0 = pas de prurit et 10 = prurit le plus sévère imaginable). Le patient marque sur la ligne le point qu’il pense correspondre le mieux à son ressenti du prurit [8–10].
VRS : L’échelle de notation verbale (VRS) représente la sévérité du prurit par des adjectifs gradués (0 = pas de prurit, maximum 5 = prurit très sévère).
Outils pour évaluer la qualité de vie
PBI-P : Le “Patient Benefit Index” (version pour les patients souffrant de prurit, PBI-P) est un questionnaire standardisé [8,12]:
- La première version évalue, avant le traitement, la pertinence de différents bénéfices du traitement actuel pour le patient.
- La deuxième version recueille, après le traitement, dans quelle mesure les différents bénéfices de la thérapie actuelle ont été atteints.
DLQI : L’indice de qualité de vie en dermatologie (DLQI) mesure la qualité de vie liée à la santé. Le DLQI a été développé en 1994 et est désormais indispensable pour évaluer la souffrance. Il existe désormais une version pour les enfants [8,13].
Les PBI-P et DLQI sont mis à disposition par les auteurs moyennant le paiement de faibles droits de licence.
Enfin, l’activité de grattage est évaluée par l’examen approfondi de l’état de la peau, bien que ce paramètre soit considérablement influencé par des facteurs externes et ne soit pas nécessairement fiable [8].
Une approche multidisciplinaire est très avantageuse dans le traitement de la PC [1,4]. L’anxiété et la dépression sont évaluées chez les patients souffrant de prurit à l’aide de l’échelle “Hospital Anxiety and Depression Scale” (version allemande : HADS-D) [8]. Le HADS-D s’est révélé utile et montre une association significative avec l’EVA et le DLQI. Elle évalue ainsi le lien entre le prurit et l’anxiété ou la dépression [8].
Perspectives thérapeutiques : nouveaux développements
L’approche par étapes prévoit d’abord un traitement topique qui doit être adapté au patient. Les alcaloïdes vanilloïdes appliqués par voie topique, comme la capsaïcine ou les inhibiteurs de calcineurine, sont très prometteurs. Les agonistes des récepteurs cannabinoïdes (CB) sont une nouveauté dans le traitement topique. L’un de ces agonistes des récepteurs CB est la N-palmitoyléthanolamine. Plusieurs études ont montré le bon effet antiprurigineux d’une crème contenant une faible concentration de N-palmitoyléthanolamine chez des patients atteints de dermatite atopique [14], de lichen simplex et de CP après hémodialyse et de cause inconnue [7].
En ce qui concerne le traitement systémique, de nouvelles données montrent que la substance P (SP) est un facteur important dans l’induction et le maintien du prurit. SP est un neuropeptide appartenant au groupe des neurokinines (anciennement appelées tachikinines). La SP se lie à trois récepteurs de neurokinine (NKR1-3), principalement au NKR-1. Par conséquent, un antagoniste hautement sélectif du NKR-1 (l’aprépitant, approuvé depuis 2003 pour la prévention des vomissements induits par la chimiothérapie) a été testé avec succès chez des patients atteints de CP réfractaire. Plusieurs études cliniques ont été menées depuis, qui ont confirmé l’efficacité de l’aprépitant dans la PC, par exemple suite à un lymphome à cellules T ou induit par un médicament. D’autres antagonistes du NKR-1 sont actuellement en cours de développement et feront l’objet d’essais cliniques dans la PC [15]. Vous trouverez des informations très utiles sur le site Internet du centre de compétence sur le prurit chronique de l’hôpital universitaire de Münster en Allemagne [16].
Littérature :
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- Cohen KR, et al. : Prurit chez les personnes âgées. Pharmacy and Therapeutics 2012 ; 37 : 227-239.
- Metz M, Ständer S : Prurit chronique – pathogenèse, aspects cliniques et traitement. J Europ Acad Dermatol Venereol 2010 ; 24 : 1249-1260.
- Bigliardi P : Prurit chez les personnes âgées : l’approche pluridisciplinaire est utile et gratifiante. Pratique de la dermatologie 2014 ; 24(2) : 10-16.
- Heyn G : Prurit : aide en cas de démangeaisons constantes. Pharmazeutische Zeitung online 2009 ; 43 (www.pharmazeutische-zeitung.de/index.php?id=31398 ; consulté en mars 2015).
- Ständer S : Prurit. UNI-MED Verlag D-28323 Bremen 2008.
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- Ständer S, et al. : Enregistrement du prurit – normes actuelles et implications pour la pratique. Hautarzt 2012 ; 63 : 521-531.
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- Weisshaar E, et al. : Questionnaires pour évaluer la dermatite chronique : un document de consensus du groupe d’intérêt spécial du Forum international pour l’étude de la dermatite. Acta Derm Venereol 2012 ; 92 : 493-496.
- Blome C, et al : Measuring patient-relevant benefits in prurit treatment : development and validation of a specific outcomes tool. Br J Dermatol 2009 ; 161 : 1143-1148.
- Finlay A, Khan G : Dermatology Life Quality Index (DLQI) – a simple practical measure for routine clinical use. Clin Exp Dermatol 1994 ; 19 : 210-216.
- Eberlein B, et al : Adjuvant treatment of atopic eczema : assessment of an emollient containing N-Palmitoylethanolamine (ATOPA study). J Eur Acad Dernatol Venereol 2008 ; 22 : 73-82.
- Lotts T, Ständer S : Reserach in practice : Substance P antagonism in chronic prurit. J Deutsch Dermatol Ges 2014 ; 12 : 557-559.
- Centre de compétence sur le prurit chronique de l’hôpital universitaire de Münster : http://klinikum.uni-muenster.de/index.php?id=kompetenzzentrum_pruritus.
PRATIQUE DU MÉDECIN DE FAMILLE 2015 ; 10(10) : 12-14