Depuis avril, les personnes souffrant de pollinose peuvent soutenir la plus grande étude jamais réalisée en Suisse sur l’allergie au pollen : L’application “Ally Science” recueille des informations sur les symptômes et fournit des prévisions polliniques aux personnes concernées. Elle est au cœur de la nouvelle étude épidémiologique et fonctionne selon le principe de la “science citoyenne”.
Démangeaisons oculaires et nasales, éternuements, rhinorrhée et respiration nasale réduite sont les symptômes de la rhinite allergique, cette “maladie populaire” qui touche près d’une personne sur cinq en Suisse. Environ 20% de la population souffre de ce que l’on appelle le “rhume des foins”, une allergie au pollen (pollinose) [1]. Dans cette réaction excessive du système immunitaire, les protéines du pollen, inoffensives en soi, sont considérées comme des agresseurs. Le corps réagit en produisant des anticorps IgE spécifiques à l’allergène qui, lors d’un nouveau contact avec l’allergène, déclenchent les symptômes connus en libérant des médiateurs chimiques (dont l’histamine). Bien que la pollinose soit souvent observée chez les enfants et les adolescents, elle peut en principe toucher tout le monde. Et le nombre de personnes concernées augmente : il y a 100 ans, elles ne représentaient que 1% [2]. Cette augmentation est due à un changement de mode de vie, avec une modification des contacts microbiens, ainsi qu’à l’augmentation de la pollution, qui a un impact sur l’agressivité des pollens allergènes d’une part et sur la sensibilité des voies respiratoires d’autre part. Le rapport du projet FP7-EU “Atopica” souligne également l’importance du changement climatique. L’étude achevée en 2015, qui a examiné l’impact du changement climatique sur l’allergie au pollen, prévoit un doublement des sensibilisations au pollen d’ambroisie pour la période 2041-2060 [3]. Compte tenu du nombre croissant de personnes touchées, il est urgent de mener des recherches sur la rhinite allergique associée au pollen.
Nouveau projet de recherche sur la pollinose
Bien que la pollinose touche de nombreuses personnes, son recensement scientifique est difficile. “Les symptômes ne sont souvent que légers à modérés”, explique le professeur Peter Schmid-Grendelmeier, responsable du service d’allergologie de l’hôpital universitaire de Zurich. “Dans ce cas, on va à la pharmacie et peut-être chez le médecin de famille, mais rarement chez le spécialiste ou à l’hôpital. Contrairement aux maladies malignes comme les maladies cardiaques ou le cancer, on ne fait pas l’objet d’une étude” ; en effet, selon le professeur Schmid-Grendelmeier, environ 70% des patients se font suivre en pharmacie, 25% consultent leur médecin de famille et le reste va chez le spécialiste. L’étude de cohorte épidémiologique suisse SAPALDIA est en cours depuis 20 ans. Il s’agit de la plus importante étude à long terme en Suisse. Elle examine l’effet de la pollution atmosphérique, du mode de vie ainsi que d’autres facteurs environnementaux sur la santé de la population [4]. Depuis le printemps 2018, un nouveau projet de recherche se consacre désormais spécifiquement à l’étude de l’allergie au pollen.
Le plus grand projet de recherche sur la pollinose mené à ce jour en Suisse vise à déterminer combien de personnes souffrent du rhume des foins et quels sont les symptômes allergiques les plus fréquents. Les personnes qui suivent déjà un traitement sont également examinées. Jusqu’à présent, on n’a pas non plus étudié dans quelles régions (cantons, ville vs campagne) les symptômes se manifestent le plus et quelle est l’influence du pollen, de la pollution atmosphérique et d’autres facteurs tels que la météo. “Serge Bignens, directeur de l’institut d’informatique médicale de la Haute école spécialisée bernoise.
Collecte de données par “Ally Science
Une nouvelle application devrait aider à collecter des données pertinentes pour les études. “Ally Science” a été conçu et développé par la Haute école spécialisée bernoise en coopération avec la société informatique ELCA. La fondation Aha ! Centre d’Allergie Suisse est impliqué. L’application, qui fonctionne sur iOS et Android, permet aux utilisateurs d’enregistrer les symptômes en un clin d’œil. “Il était important pour nous que l’application soit graphiquement attractive et intuitive”, souligne le professeur Bignens ; il faut moins de 20 secondes aux utilisateurs pour effectuer une saisie. L’objectif est de garantir que la charge de travail reste faible et que le plus grand nombre possible de personnes intéressées utilisent l’application. En effet, plus la participation est élevée, plus l’enquête scientifique est pertinente. L’application est donc disponible dans les quatre langues nationales et en anglais.
Avec “Ally Science”, les utilisateurs deviennent des scientifiques citoyens (encadré) : En tant que personnes directement concernées, ils tiennent un registre de leurs symptômes. Un régulateur permet de déterminer à quel point les yeux piquent, si le nez coule ou si les poumons sifflent. MétéoSuisse fournit des prévisions polliniques qui peuvent être consultées via une carte. Les points rouges indiquent le niveau actuel de pollen de platane à Berne (figure 1). Les utilisateurs peuvent consulter l’évolution de leurs symptômes personnels au cours des derniers jours grâce à la fonction de synthèse.
Identifier les différences régionales
Les plantes allergisantes sont principalement des plantes anémophiles. Les allergènes sont classés en trois groupes principaux : Arbres, Graminées et Herbes. En Suisse, sur plus de 3000 espèces de plantes, seules une quinzaine d’espèces de pollen sont allergènes. Environ 70% des personnes allergiques réagissent aux pollens de graminées, les allergies croisées étant fréquentes au sein des principaux groupes. Les personnes qui présentent des symptômes au pollen de bouleau réagissent probablement aussi au noisetier ou à l’aulne. La saison pollinique commence dès le mois de janvier, lorsque les premiers arbres et arbustes fleurissent. En été, diverses graminées sont ajoutées, et en automne, quelques herbes. Le moment où une personne présente des symptômes est donc indicatif pour une première détermination de l’allergie. La période de floraison des différentes plantes d’un groupe principal dépend de l’évolution des températures des mois précédents et peut donc varier ; pour le noisetier et l’aulne, la production de pollen débute entre janvier et mars [2]. Ainsi, il est possible que certains soient en proie à des crises d’éternuement, alors que d’autres ne ressentent même pas de chatouillement.
En tenant un journal des symptômes, les utilisateurs de l’application peuvent suivre l’évolution des réactions allergiques au pollen en temps réel et de manière spécifique à chaque région. Dans les villes, par exemple, la pollution est sensiblement plus élevée. “Ce n’est pas nécessairement que la teneur en pollen par mètre cube est plus élevée”, précise le professeur Schmid-Grendelmeier. “Mais la teneur en allergènes est plus élevée, par exemple pour le pollen de bouleau, dont le principal allergène est une protéine de stress que le bouleau produit lorsqu’il manque d’espace ou d’eau, par exemple”. Ces protéines allergènes sont également libérées en plus grande quantité, car le pollen éclate plus rapidement au contact des polluants. La circulation de l’air dans les ruelles des maisons et les muqueuses irritées par les gaz d’échappement et les attaques virales sont d’autres facteurs de pollution. Les informations que les personnes souffrant d’allergies collectent via “Ally Science” peuvent notamment aider à l’aménagement et à la plantation des villes.
Soutenir la recherche de manière anonyme
Dans l’idéal, jusqu’à 100 000 personnes allergiques devraient participer à l’étude. Quelques milliers le sont déjà. Les données sont stockées sur MIDATA. Ils sont cryptés individuellement et stockés sur le compte privé de l’utilisateur. La plateforme a été cofondée en 2015 par les professeurs de l’ETH Ernst Hafen et Donald Kossmann. Elle est organisée en tant que coopérative à but non lucratif et sert au stockage de données de santé à caractère personnel. Ceux qui le souhaitent peuvent mettre à la disposition de la recherche médicale des ensembles de données individuels sous forme anonymisée. Cela est possible en séparant la plate-forme informatique et les applications mobiles, qui peuvent être proposées par des groupes de recherche, des start-ups ou des fournisseurs de services informatiques. Chaque utilisateur de MIDATA peut devenir membre de la coopérative et contribuer au contrôle et au développement de la plate-forme. Un comité d’éthique élu vérifie que les projets de recherche lancés via MIDATA respectent les normes d’éthique des données.
“MIDATA a déjà réalisé plusieurs projets où les patients documentent leur état de santé à l’aide d’une application mobile et mettent ces données à la disposition de la recherche”, explique le professeur Bignens, “par exemple dans le domaine de la sclérose en plaques ou des opérations de pontage gastrique”. Avec “Ally Science”, l’objectif est d’impliquer une plus grande partie de la population dans la recherche – et ainsi de mieux cerner la “maladie populaire” qu’est la pollinose.
Littérature :
- Ballmer-Weber B, et al. : Rhinite allergique. Une maladie populaire du 20ème siècle. Swiss Med Forum 2017 ; 17(8) : 179-186.
- Helbling A, et al. : Allergie au pollen. “Le rhume des foins”. Dossier de aha ! Centre d’Allergie Suisse. Novembre 2017.
- Lake IR, et al : Climate change and future pollen allergy in Europe. Environ Health Perspect 2017 ; 125 : 385-391.
- SAPALDIA : description de l’étude. 2011. www.sapaldia.ch/de/die-sapaldia-kohorte-menu/studienbeschreibung
- Science et Cité : La Suisse appelle les jeunes. 2018. Disponible sur www.schweiz-forscht.ch. Accessed May 2018.
DERMATOLOGIE PRATIQUE 2018 ; 28(3) : 33-36
PRATIQUE DU MÉDECIN DE FAMILLE 2018 ; 13(7) : 9-12