Antécédents : le garçon, qui n’avait pas encore deux ans, était assis sur les genoux de sa mère pendant un trajet en voiture et a reçu un bonbon à sucer. En quelques minutes, un gonflement massif du visage et des lèvres, de l’urticaire dans la gorge ainsi que des difficultés à avaler et des signes d’œdème laryngé avec stridor inspiratoire sont apparus. A son arrivée aux urgences, on a constaté un visage œdémateux avec des contours effacés, des lèvres gonflées et rouges et un œdème massif dans la gorge et le larynx.
La pression artérielle était de 100/60 mmHg et le pouls de 98/min. Après l’administration d’un traitement intraveineux à base de stéroïdes et d’antihistaminiques, le garçon est resté hospitalisé pour surveillance et a pu quitter l’hôpital le lendemain, après la disparition des symptômes et en bon état général.
Une consultation au service d’allergologie de la clinique dermatologique de l’hôpital universitaire de Zurich a été organisée afin de déterminer plus précisément la cause.
Bilan allergologique
L’anamnèse familiale n’a révélé aucun signe de maladie atopique ; le métier du père était boulanger/pâtissier et le garçon fréquentait régulièrement le fournil. Depuis un an, le garçon souffrait de crises de difficultés respiratoires.
A l’examen clinique, l’auscultation pulmonaire était alors normale, les joues étaient rouges et infiltrées, le dos des mains et les poignets présentaient de discrètes efflorescences eczémateuses, correspondant à un eczéma atopique (Fig. 1).
Un diagnostic d’allergie in vitro réalisé lors de la première consultation a révélé un taux d’IgE totales élevé à 575 U/ml (norme jusqu’à 50 U/ml) et, au RAST, une augmentation des IgE spécifiques de classe 3 pour les acariens de la poussière de maison (Dermatophagoides pteronyssinus), l’épithélium de chat et la farine de blé, et de classe 2 pour le gluten et la farine de seigle.
Le bonbon sucé était une “pièce de 10”. (Fig.2). Après demande, la confiserie nous a communiqué la composition exacte : Sucre, sirop de glucose, graisse végétale, acide citrique, monoester de stéarate de glycéryle (GMS), arôme de framboise, rouge fraise (E 124), lécithine et Hyfoama 88. Nos soupçons se sont portés sur le colorant alimentaire E 124, mais nous avons demandé à l’entreprise de nous envoyer des échantillons des différents ingrédients. La réalisation des prick-to-prick tests avec tous les ingrédients du bonbon a donné un résultat surprenant pour nous : seul l’Hyfoama 88 en poudre a donné lieu à une quadruple réaction claire, comparable au contrôle de l’histamine (fig. 3).
Le sérum du garçon ainsi que l’échantillon Hyfoama (aimablement fourni par le fabricant PPF International, Pays-Bas) ont été envoyés au Pr. Johansson (Karolinska Institute, Department of Clinical Immunology, Stockholm), qui a réalisé un disque RAST. Le dosage des IgE spécifiques a donné un résultat positif de classe RAST 3.
Le prospectus du produit Hyfoama 88 indique qu’il s’agit d’une poudre de protéines solubles, fabriquée à partir de protéines de blé et de gluten après action d’hydroxyde de calcium. Il en résulte un mélange de polypeptides de gluten.
Diagnostic
- Œdème aigu de Quincke en cas d’allergie médiée par les IgE au polypeptide de gluten Hyfoama ;
- Allergie respiratoire aux acariens, à l’épithélium de chat et aux farines ;
- Dermatite atopique.
Commentaire
Le garçon, sans antécédents atopiques familiaux, s’est apparemment sensibilisé aux farines par inhalation lors de son séjour dans le fournil de ses parents et aux acariens et à l’épithélium de chat à la maison. Les symptômes asthmatiques, qui sont apparus de manière intercurrente dès l’âge d’un an, n’étaient apparemment pas liés à une allergie. Jusqu’à l’événement aigu, aucun symptôme d’allergie alimentaire n’avait jamais été observé auparavant, même après avoir mangé du pain, des céréales ou d’autres produits de boulangerie. L’Hyfoama 88, fourni par la société productrice, est une poudre de protéines végétales de couleur crème, soluble et de goût neutre, obtenue à partir de protéines de gluten de blé après action de l’hydroxyde de calcium. Il est donc constitué d’un mélange de polypeptides de gluten. Avec ces caractéristiques, Hyfoama, en tant que protéine alimentaire, appartient au groupe des émulsifiants, stabilisants et épaississants. Ces produits ne sont pas considérés comme des additifs selon les directives de la CE. Hyfoama est largement utilisé en pâtisserie et en confiserie, par exemple comme ingrédient dans le nougat, le caramel, les frappés, les oursons gélifiés, les barres ou les fraises enrobées de sucre. Sur les emballages correspondants, Hyfoama est déclaré comme protéine de blé. Avant notre communication de cas à l’époque, aucune réaction allergique n’avait été décrite ni par les fabricants ni par les consommateurs [1]. Lors d’une recherche récente sur Google, notre étude de cas est citée à plusieurs reprises, mais aucun nouveau cas n’a été décrit. On peut toutefois supposer qu’une sensibilisation latente à Hyfoama est également présente chez une partie des personnes sensibilisées aux IgE au blé et au gluten. Le professeur Johansson a alors découvert, grâce au test RAST, que deux tiers des personnes sensibilisées au gluten présentaient également des résultats positifs à l’hyfoama.
La question de l’épitope déclencheur dans Hyfoama se pose. On sait maintenant que dans l’allergie ingestive au blé chez l’enfant ou dans l’anaphylaxie induite par l’effort liée à la farine de blé, l’allergène principal de la farine de blé est la rTri-α19-omega-5-gliadine et que le RAST f416 est donc considéré comme un marqueur pathognomonique de l’allergie ingestive à la farine de blé [2,3]. Dans l’asthme du boulanger, les principaux allergènes du blé sont les inhibiteurs de l’α-amylase/trypsine, d’un poids moléculaire de 15 à 17 kDa, que l’on retrouve dans les trois fractions protéiques du blé cru et cuit. La sensibilisation IgE à un inhibiteur dimérique de la α-amylase du blé (Tri α28) a été le plus souvent observée [4]. L’α-amylase ajoutée aux farines est également un déclencheur important de l’asthme du boulanger [5].
Littérature :
- Varga EM, Wüthrich B : Œdème aigu de Quincke chez un garçon de deux ans après avoir mangé un bonbon à sucer en cas d’allergie de type I au polypeptide de gluten Hyfoama 88. Allergologie 1995 ; 18 : 331-333.
- Wüthrich B : Quel est votre diagnostic ? (quiz). Anaphylaxie alimentaire induite par l’effort en cas de forte sensibilisation aux protéines des céréales, en particulier à la rTri α19-omega-5-gliadine. DERMATOLOGIE PRAXIS 2013 ; 1 : 25 et 32-33.
- Wüthrich B : Quel est le point commun entre une pizza, des biscuits et une dinde avec garniture ? DERMATOLOGIE PRATIQUE 2014 ; 24(2) : 26-27.
- Sander I, Raulf-Heimsoth M : Sur la piste des causes de l’asthme du boulanger. Journal de l’IPA 2011 ; 2 : 20-21. www.ipa.ruhr-uni-bochum.de/pdf/IPA_Journal_11_02_Baecker.pdf.
- Wüthrich B, Baur X : Les agents de cuisson, en particulier l’α-amylase, comme allergènes professionnels d’inhalation dans l’industrie de la boulangerie. Schweiz Med Wochenschr 1990 ; 120 : 446-450.
DERMATOLOGIE PRATIQUE 2016 ; 26(2) : 34-36
DERMATOLOGIE PRAXIS 2018 édition spéciale (numéro anniversaire), Prof. Brunello Wüthrich