Antécédents : la patiente, âgée de 19 ans et sans antécédents familiaux ou personnels de maladies allergiques, a présenté au cours des trois derniers mois des poussées d’œdème de Quincke au niveau du visage, accompagnées de nausées, de légers vertiges, d’une respiration nasale difficile et d’une dyspnée.
H.P. Baumgartner, dermatologue FMH, Zoug), les tests d’inhalation de routine et les allergènes alimentaires se sont révélés négatifs. Les examens sérologiques ont montré un taux d’IgE élevé à 374 U/ml et, lors de deux dosages, une légère diminution de la protéine inhibitrice C1 à 0,1 et 0,14 g/l (valeur normale 0,15-0,35). Le diagnostic différentiel était donc un angio-œdème héréditaire (HAO), de sorte que le médecin généraliste (Dr M. Giger, Menzingen) a envoyé la patiente au service d’allergologie de la clinique universitaire de dermatologie pour un examen complémentaire.
Autres investigations et évolution
Le nouveau dosage de l’inhibiteur C1 a de nouveau montré une valeur basse de 0,08 g/ml (Laboratoire d’immunologie clinique, USZ), mais un taux normal de C4 de 0,21 g/l (norme 0,14-0,30) a été trouvé. La détermination de la fonction inhibitrice C1 (Dr P. Späth, Service de transfusion sanguine CRS, Berne) a donné une valeur normale de 129% (norme 60-140%), ce qui a permis d’exclure un angio-œdème héréditaire. L’enquête allergologique a certes permis de confirmer l’augmentation des IgE sériques à 325 U/Ml, mais un large prick-test et des tests intradermiques avec des allergènes inhalés et alimentaires sont restés infructueux.
La patiente est sortie de l’hôpital avec un diagnostic d’œdème de Quincke allergique, un œdème de Quincke d’origine hématogène (lors de l’ingestion d’un certain aliment) étant suspecté en raison de la symptomatologie associée (nausées, vertiges, dyspnée). Outre la remise d’un kit d’urgence composé de comprimés de prednisone et d’antihistaminiques dosés à 50 mg et d’un spray adrénaline-Medihaler encore disponible à l’époque, la patiente a reçu pour instruction de tenir un journal précis des repas pris précédemment en cas de nouvelle récidive.
La patiente s’est présentée quelques semaines plus tard en indiquant qu’après un “goûter” composé de croissants aux noix et d’Ovomaltine avec du lait, elle avait à nouveau souffert d’un grave œdème de Quincke au visage. Comme la patiente avait toléré le lait à plusieurs reprises sans réaction – même le matin à jeun – et qu’elle avait elle-même effectué une réexposition avec un croissant aux noix fait maison, il ne restait que l’Ovomaltine comme cause suspecte de cette poussée d’œdème de Quincke.
A la recherche de l’allergène dans l’Ovomaltine
Un test de scarification avec l’Ovomaltine ou la barre Ovo-Sport (Fig. 1) s’est en effet révélé positif, de même qu’avec une autre boisson chocolatée (Hacosan).
Dans le cadre de la recherche de l’ingrédient déclencheur de l’Ovomaltine, des tests intradermiques ont ensuite été effectués avec des extraits d’allergènes (malheureusement plus disponibles aujourd’hui !) de levure de boulanger, de levure de bière, de cacahuètes, de noix, de cacao, d’amandes, de malt et de chocolat, mais ils se sont révélés négatifs. J’ai donc écrit à WANDER LTD, Berne, pour savoir s’ils pouvaient m’aider à clarifier cette allergie à l’Ovomaltine et me faire parvenir les différents composants du produit fini. À ma grande surprise, j’ai reçu la lettre suivante de WANDER LTD : “Nous ne pouvons pas imaginer qu’un des composants de l’OVOMALTINE puisse provoquer une allergie, d’autant plus que ce serait le premier cas en 79 ans de consommation d’OVOMALTINE. Il ne serait d’ailleurs guère utile que nous vous envoyions des échantillons de toutes les matières premières de l’OVOMALTINE, car un certain nombre d’entre elles sont des produits alimentaires du commerce que l’on peut tester en les consommant directement”. On m’a cependant joint quelques matières premières d’Ovomaltine et, plus loin dans la lettre, il est dit ceci : “Nous aimerions vous aider à clarifier l’allergie éventuelle de votre patiente, et nous vous fournirons d’autres matériaux si l’allergène ne figure pas dans la première sélection de matières premières”. Une instruction a ensuite été donnée : “L’œdème de Quincke peut également être provoqué par des médicaments. De plus, certains shampooings sont allergènes. Récemment, une connaissance du soussigné a eu une forte rougeur au visage chaque fois qu’il a utilisé Selsun, un shampooing contenant du disulfure de sélénium. Le SeS2 n’est pas nécessairement le facteur allergène. Il peut tout aussi bien s’agir d’un autre ingrédient. Les shampooings utilisés par la patiente devraient donc être pris en compte dans l’enquête”. Et maintenant la “littérature clé” pour l’allergologue ( !): “Dans le livre de Richard Mackarness [remarque BW : fondateur de l'”écologie clinique” alternative] : Allergie aux aliments et aux produits chimiques. Troubles physiques et psychologiques. Paracelsus Verlag, Stuttgart, 1980, 154 pages, SFr. 22.80, de rares cas d’allergies alimentaires sont décrits. Ces informations vous seront peut-être utiles. Sig. WANDER LTD”.
Quoi qu’il en soit, l’extrait de malt séché d’orge germé fourni avec l’appareil a produit une réaction de quadrupture très fortement positive (figure 2) (les scratch-tests réalisés sur des sujets témoins se sont révélés négatifs), mais pas la levure nutritionnelle ni la poudre de cacao. L’extrait de malt constitue les deux tiers de l’Ovomaltine.
Après avoir été interrogée, la patiente a déclaré qu’elle avait déjà eu des gonflements de la peau et des réactions similaires après avoir consommé d’autres produits de snacking contenant des extraits de malt, comme Malteser et Mars, mais qu’elle n’avait pas fait le lien. Elle n’avait jamais bu de bière.
Autres examens allergologiques
Comme il n’existait pas à l’époque de réactifs disponibles dans le commerce pour le diagnostic in vitro des anticorps IgE spécifiques contre l’extrait de malt, le sérum du patient et l’extrait de malt ont été envoyés au Prof. S.G.O. Johansson (Karolinska Institutet, Stockholm), le découvreur des IgE, afin de produire un disque RAST. Le test RAST contre l’extrait de malt effectué par la suite était positif avec 1,2 PRU/l (Phadebas-Rast-Unit), correspondant à la classe 2 du RAST. La farine d’orge était également positive en classe 2. Il était donc clair que le premier cas d’allergie à l’Ovomaltine avait été découvert après son introduction il y a 79 ans [1].
Diagnostic
Œdème de Quincke aigu récurrent avec fragments de choc dans le cadre d’une allergie médiée par les IgE à un extrait de malt d’orge germé chez une personne non atopique.
Suite de la procédure
Lors d’un suivi neuf mois après le diagnostic, la patiente a indiqué qu’elle n’avait plus eu de poussées d’œdème de Quincke après avoir éliminé les produits contenant du malt, à une exception près, lorsqu’elle avait à nouveau consommé une tablette d’Ovo-Sport. Au bout de cinq minutes, elle avait déjà ressenti des nausées, puis un œdème de Quincke du visage était apparu, qui a pu être immédiatement coupé grâce au traitement d’urgence.
Commentaire
Environ deux tiers des cas d’œdèmes de Quincke aigus ou aigus récurrents (sans ou avec urticaire) peuvent être résolus par la cause. Les aliments peu consommés, les médicaments, les piqûres d’insectes, mais aussi les parasites jouent un rôle dans cette situation [2–4]. Sur le plan pathogénique, il faut envisager, outre une allergie de type immédiat médiée par les IgE, des réactions pseudo-allergiques ou d’intolérance aux anti-inflammatoires (AAS et AINS), aux IEC et (plus rarement) aux additifs [2]. L’identification de l’angio-œdème héréditaire ou acquis dû à une carence en inhibiteur de C1 est importante en raison de son évolution potentiellement létale [5,6]. En cas de suspicion clinique d’une HAO, le diagnostic de laboratoire se prête à la mesure immunologique des protéines du système du complément, de l’inhibiteur C1 et du facteur C4, qui est toujours diminué, même par intermittence ; en cas de crise aiguë, la valeur C4 peut ne pas être déterminable. Lors de la détermination de routine de l’inhibiteur C1 dans des laboratoires externes, il arrive souvent, comme dans le cas présent, que la valeur soit légèrement diminuée pour des raisons techniques, de sorte que seule une forte diminution simultanée du facteur de complément C4 permet de conclure à une HAO. La détermination fonctionnelle de l’activité de l’inhibiteur C1 dans un laboratoire spécialisé peut confirmer ou exclure définitivement le diagnostic de HAO [5,6]. L’œdème allergique de Quincke, contrairement à l’OHA, s’accompagne toujours de démangeaisons, de rougeurs et plus souvent d’autres symptômes de réaction allergique (rhinite, asthme, urticaire) et d’une augmentation du taux sérique d’IgE. Si l’enquête allergologique initiale n’est pas concluante, il est souvent possible – comme décrit ci-dessus – de trouver l’allergène déclencheur sur la base des notes du journal et de tests allergologiques ciblés. En revanche, les shampooings pour cheveux ne provoquent pas d’œdème de Quincke, mais un eczéma de contraction dû à une allergie de type tardif avec rougeurs, vésicules et gonflement collatéral [2].
En 1984, nous avons réussi pour la première fois (dans la littérature allergologique accessible à l’époque, y compris les manuels standard, les réactions allergiques après la consommation d’aliments contenant du malt n’étaient pas documentées) à décrire une allergie à l’ovomaltine due à une sensibilisation à l’extrait de malt d’orge germé et à établir, en collaboration avec le professeur Gunnar Johansson, la détermination spécifique des IgE dans le test RAST (f90) [1]. Il convient de mentionner dans ce cas que le test intradermique avec un allergène de malt disponible dans le commerce – contrairement au test de scarification fortement positif avec l’extrait de malt natif – s’est révélé “faussement négatif”. La patiente présentant une allergie acquise au malt sans antécédents atopiques est un type C de la classification des allergies alimentaires [7]. Ce type C est plus fréquent que ce que l’on pensait jusqu’à présent [8].
Par la suite, des allergies au malt d’orge ont été démontrées à plusieurs reprises. Elles sont apparues à la fois chez les personnes qui produisaient et transformaient le malt (allergie par inhalation) et sous forme d’allergie par ingestion, principalement chez les buveurs de bière [9–14] (fig. 3).
Le malt est une céréale germée puis séchée à haute température (touraille). D’un point de vue allergologique, le malt de brasserie doit être distingué du malt de boulangerie. Le malt de brasserie est fabriqué à partir d’orge, le malt de boulangerie à partir de blé. La production de malt à partir de seigle, d’avoine, de maïs et de riz est beaucoup plus rare. Le malt utilisé pour le brassage de la bière est obtenu à partir de grains d’orge. Le processus de maltage produit du sucre de malt, des protéines et de nombreux types d’enzymes. C’est pourquoi il est parfois si difficile d’identifier le véritable responsable ou l’allergène responsable de l’allergie au malt. Deux allergènes ont été caractérisés dans le malt d’orge : Hor v 1, une protéine de 14,5 kD, et Hor v 9, une protéine de 30 kD. Différents allergènes de 31-56 kDa se liant aux IgE ont été décrits dans le malt et l’orge. Une protéine majeure de 38 kDA a été isolée à partir d’un extrait de bière [10]. Des allergènes de 5 à 20 kDa ont également été isolés de la fraction protéique de la bière dans des sérums de patients atteints d’urticaire déclenchée par la bière [11]. L’allergène de l’orge dans la bière est différent de 16 kDa dans la farine d’orge. L’allergène majeur de l’orge, responsable de l’asthme du boulanger, est une protéine de l’orge de 16 kDa.
En cas d’allergie à la bière blanche, en particulier dans le sens d’une anaphylaxie induite par l’effort dépendant du blé [15], la détermination des sIgE pour l’oméga 5 gliadine (Tri a 19, allergène marqueur) est pathognomonique [16].
Littérature :
- Wüthrich B : Œdème de Quincke aigu et récurrent en cas d’allergie aux extraits de malt. Schweiz Med Wschr 1984 ; 114 : 269-271.
- Wüthrich B : Existe-t-il un œdème de Quincke ? Diagnostic différentiel avec l’angio-œdème. DERMATOLOGIE PRATIQUE 2012 ; 1 : 24-26.
- Wüthrich B : Quel est votre diagnostic ? (Quiz) : statut après une réaction allergique unique aux œdèmes de Quincke (lèvres, langue, mains) aux crustacés. DERMATOLOGIE PRATIQUE 2011 ; 3 : 38, 42.
- Wüthrich B : Quel est votre diagnostic ? (Quiz) : Angio-œdème récurrent en cas de strongyloïdose. DERMATOLOGIE PRATIQUE 2012 ; 1 : 7, 12.
- Wüthrich B : Quel est votre diagnostic ? (Quiz) : Angio-œdème héréditaire de type I.DERMATOLOGIE PRAXIS 2012 ; 2 : 25, 40.
- Wüthrich B, Scheidegger P : Le cas un peu différent. Démasqué : angio-œdème acquis dans le lymphome non hodgkinien. DERMATOLOGIE PRATIQUE 2013 ; 3 : 16-17.
- Pichler WJ : Allergies alimentaires à médiation IgE. Classification basée sur la voie de sensibilisation. Allergologie 1998 ; 21 : 441-450.
- Wüthrich B, Blötzer IC : Allergies alimentaires à médiation IgE de type C : le type d’allergie alimentaire le plus rare ? Une casuistique de 16 cas. Akt Dermatol 2004 ; 30 : 95-102.
- Bonadonna P, et al : Beer-induced anaphylaxis due to barley sensitization : two case reports. J Investig Allergol Clin Immunol 1999 ; 9 : 268-270.
- Figueredo E, et al : Beer-induced anaphylaxis : identification of allergens. Allergy 1999 ; 54 : 630-634.
- Curioni A, et al : Urticaria from beer : an immediate hypersensitivity reaction due to a 10-kDa protein derived from barley. Clin Exp Allergy 1999 ; 29 : 407-413.
- Garcia-Casado G, et al. : Isolation and characterization of barley lipid transfer protein and protein Z as beer allergens. J Allergy Clin Immunol 2001 ; 108(4) : 647-649.
- Neise U, Sennekamp J : Le malt d’orge – un allergène alimentaire rare ? Allergologie 1996 ; 19 : 135-138.
- Sieber W : Incident dans un Biergarten. Le médecin généraliste 2015 ; 37 : 49-50.
- Herzinger T, et al : Anaphylaxis to wheat beer. Ann Allergy Asthma Immunol 2004 ; 92 : 673-675.
- Wüthrich B, Hofer T : Anaphylaxie d’origine alimentaire, induite par l’effort, en cas de forte sensibilisation aux protéines des céréales, en particulier à l’oméga-5-gliadine, et en cas de syndrome douteux de croûtes d’acariens. Allergologie 2010 ; 33 : 205-210.
DERMATOLOGIE PRATIQUE 2015 ; 25(6) : 36-39
DERMATOLOGIE PRAXIS 2018 édition spéciale (numéro anniversaire), Prof. Brunello Wüthrich