Comme la population suisse vieillit, le nombre de personnes âgées atteintes d’un cancer sera encore plus élevé à l’avenir. Chez ces patients, les décisions thérapeutiques sont souvent complexes car, en raison de leur âge avancé, le risque de complications est généralement plus élevé et le bénéfice d’une intervention moins important. Le 22 novembre 2014, une session de formation continue sur le thème des “Défis de l’oncologie gériatrique” a été organisée à Zurich, au cours de laquelle les spécificités du traitement oncologique des patients âgés ont été discutées. Nous rendons compte de deux conférences sur le cancer de la prostate et le cancer colorectal.
Le Dr Martin Umbehr, Stadtspital Triemli, Zurich, a présenté des données épidémiologiques sur le cancer de la prostate. Le cancer de la prostate est le type de cancer le plus fréquent en Suisse – un homme sur six y sera confronté au cours de sa vie. L’incidence a triplé depuis les années 1990 grâce au dépistage par le test PSA, mais cela a également entraîné un changement de stade, de sorte que 90% des cancers sont aujourd’hui détectés à un stade localisé. L’incidence va continuer à augmenter en raison de l’évolution démographique.
Cancer de la prostate : chez les patients gériatriques, moins c’est souvent plus
Le spectre biologique de la maladie est très large et comprend des tumeurs “inoffensives” à très agressives. Dans la pratique clinique, le problème est qu’au moment du diagnostic, il est souvent impossible de dire avec précision quel type de tumeur existe chez le patient et comment (et si) la tumeur va évoluer au fil du temps. Actuellement, le score de Gleason reste le meilleur facteur pronostique. Pour les cancers localisés, un traitement curatif est possible, les options sont la surveillance active, la prostatectomie ou la radiothérapie. “L’âge, les comorbidités et les souhaits du patient doivent être pris en compte dans le choix du traitement”, a déclaré le Dr Umbehr. “Chez les patients gériatriques en particulier, moins est souvent plus, et tous les patients diagnostiqués avec un cancer de la prostate n’ont pas besoin d’un traitement immédiat”. La prise de décision individualisée est aujourd’hui le grand défi clinique du cancer de la prostate.
Surveillance active et attente vigilante
L’intervenant a insisté sur la différence entre la surveillance active et la veille, car ces deux termes sont souvent confondus ou utilisés comme synonymes. Dans le cas de la surveillance active, le médecin suspecte une tumeur peu agressive que l’on peut et que l’on veut traiter de manière curative. Cependant, en raison de sa faible agressivité, un traitement actif immédiat n’est pas nécessaire et le patient est contrôlé à intervalles réguliers. Un traitement actif (chirurgie ou radiothérapie) n’est mis en place qu’en cas de progression de la maladie. En revanche, l’attente vigilante est une stratégie palliative ; l’objectif n’est pas de guérir, mais d’atténuer les symptômes s’ils apparaissent au cours de l’évolution.
Il n’existe pas de normes internationales pour la surveillance dans le cadre de la surveillance active. En règle générale, il est impératif de réaliser des biopsies de contrôle au cours de l’évolution. Une première biopsie doit être réalisée dans les 3 à 6 mois suivant le diagnostic afin de réduire le risque d’erreur de classification. Des contrôles réguliers du PSA sont ensuite effectués et une biopsie est généralement pratiquée une fois par an. Lorsque les résultats sont disponibles, il est toujours décidé avec le patient si la stratégie de surveillance active peut être maintenue. Les tests PSA réguliers de contrôle ne suffisent pas, car les résultats de cet examen sont trop peu spécifiques.
Les données relatives à la surveillance active sont bonnes : les patients qui bénéficient d’un traitement curatif différé ont des résultats aussi bons que ceux qui sont traités immédiatement. Néanmoins, une telle approche doit être soigneusement discutée avec les patients, car recommander une attitude d’attente en cas de diagnostic de cancer est, de manière compréhensible, surprenant pour de nombreuses personnes concernées et nécessite une compréhension de la biologie de ce type de cancer. En outre, la surveillance active comporte un faible risque résiduel que l’agressivité de la tumeur soit sous-estimée ou qu’une progression ne soit pas détectée au cours de l’évolution et que l’on rate éventuellement le moment de mettre en place une intervention curative. La sélection correcte des patients est donc également de la plus haute importance pour la surveillance active.
Les chimiothérapies sont également efficaces chez les patients âgés
Le PD Dr Frank Stenner, de l’Hôpital universitaire de Bâle, a présenté les aspects spécifiques des patients gériatriques atteints d’un cancer de la prostate métastasé. L’âge moyen de survenue du cancer de la prostate est de 70 ans, c’est pourquoi les aspects gériatriques du traitement ont une grande importance. L’âge médian des hommes qui meurent d’un cancer de la prostate est de 80 ans. Mais cet âge correspond également à l’espérance de vie moyenne des hommes en Suisse. Il est donc important que le traitement d’un cancer de la prostate ne fasse pas plus de dégâts que la tumeur elle-même.
10 à 20 % des patients ont déjà des métastases (souvent dans les os) au moment du diagnostic, et ce chiffre atteint déjà 50 % chez les patients dont la maladie est au stade T3. Les métastases osseuses ont une grande influence sur la survie, car les patients présentant des fractures pathologiques survivent moins longtemps que les patients sans fractures. Le traitement des patients atteints d’un cancer de la prostate métastasé vise à prolonger la survie, à préserver la qualité de vie et à prévenir les complications, telles que les fractures pathologiques. Pour cela, toute une série de médicaments et de mesures sont aujourd’hui disponibles. Ces dernières années, les nouvelles options thérapeutiques ont considérablement amélioré les perspectives.
Les options de traitement suivantes sont actuellement disponibles :
- Traitement antihormonal : il s’agit initialement d’agonistes/antagonistes de la LHRH, de bicalutamide ou de flutamide, et en cas de résistance à la castration, d’abiratérone (Zytiga®), qui inhibe la synthèse des androgènes, ou d’enzalutamide (Xtandi®), qui empêche la fixation des androgènes. Ces deux médicaments prolongent la survie des patients, qu’ils soient utilisés avant ou après une chimiothérapie – la séquence thérapeutique optimale n’est pas encore connue à l’heure actuelle. Les patients de plus de 65 ans peuvent également bénéficier de ces deux options thérapeutiques pour le cancer de la prostate résistant à la castration.
- le dichlorure de radium (Xofigo®) : Chez les patients atteints d’un cancer de la prostate résistant à la castration et présentant des métastases osseuses, Xofigo® prolonge la survie.
- Bisphosphonates, denosumab (Prolia®, Xgeva®) : Pour la stabilisation des métastases osseuses.
- Chimiothérapie : une chimiothérapie est administrée en intention palliative ou, chez certains patients présentant une charge tumorale élevée, en intention initiale. Deux substances sont disponibles : Docetaxel (Taxotere®) et Cabazitaxel (Jevtana®). Auparavant, on pensait que les chimiothérapies n’étaient indiquées que pour les patients jeunes. Cependant, les données des études montrent que le bénéfice de la chimiothérapie en termes de survie est encore plus important chez les patients âgés que chez les jeunes.
La conclusion de l’orateur est la suivante : “Tous les patients, même les plus âgés, peuvent bénéficier des nouvelles options thérapeutiques. Il ne faut donc pas priver un patient d’une option thérapeutique uniquement en raison de son âge. Les chimiothérapies sont souvent mal évaluées et trop rarement proposées, tant par les profanes que par les experts”.
Cancer colorectal : peu de recommandations fondées sur des preuves pour les patients âgés
Les aspects gériatriques du traitement du cancer colorectal (CRC) ont été présentés par le PD Dr Dirk Kienle, Stadtspital Triemli, Zurich. 60% des patients atteints de CCR ont plus de 70 ans, et 43% des patients ont même plus de 75 ans. En raison du vieillissement de la population, les patients de plus de 80 ans ne seront pas l’exception, mais la règle à l’avenir. Les patients âgés sont confrontés à des problèmes spécifiques : fonctions organiques réduites, comorbidités de plus en plus nombreuses, comédication fréquente, et un nombre non négligeable de patients sont en mauvais état général et/ou ont besoin de soins. Tous ces facteurs limitent la tolérance au traitement et rendent difficile l’évaluation du pronostic. Pour ces raisons, les patients de plus de 75 ans et ceux présentant des comorbidités sont généralement exclus des études et il existe peu de recommandations de traitement fondées sur des preuves.
Plusieurs enquêtes indiquent que les patients âgés atteints de CCR manquent de soins médicaux : Ils sont adressés moins souvent et plus tard à des spécialistes et bénéficient moins souvent d’un staging complet, d’une radiothérapie ou d’une chimiothérapie ou d’une chirurgie tumorale sélective. En revanche, les interventions d’urgence sont plus fréquentes chez les patients âgés, par exemple pour cause d’iléus. Ce manque de soins contribue au moins bon pronostic des patients âgés atteints de CCR.
“Dans le traitement du CCR, la chirurgie est l’élément thérapeutique le plus important, même chez les patients âgés”, a souligné le conférencier. Le pronostic des patients jeunes s’est amélioré ces dernières années grâce à une réduction de la mortalité postopératoire et à la possibilité de procéder à des résections métastatiques curatives, mais ce n’est pas le cas des patients plus âgés.
Les patients gériatriques présentent plusieurs défis chirurgicaux : des stades tumoraux plus avancés, davantage d’opérations en urgence, un staging préopératoire insuffisant et une mortalité précoce postopératoire plus élevée (3% chez les plus de 65 ans, 19% chez les plus de 85 ans). Une évaluation préopératoire est importante pour identifier les patients à très haut risque de mortalité précoce et les orienter vers des soins palliatifs si nécessaire. La malnutrition, qui est plus fréquente chez les personnes âgées, augmente également le risque de complications. Des études ont montré qu’un soutien alimentaire dans les 7 à 10 jours précédant l’opération peut réduire la mortalité postopératoire et prévenir les complications.
Traitements adjuvants pour les patients âgés de stade III
Une chimiothérapie adjuvante à base de 5-fluorouracil ou de capécitabine améliore également la survie sans maladie et la survie globale chez les patients de plus de 70 ans, mais seul un tiers environ des personnes de plus de 70 ans reçoivent un tel traitement à ce stade. Dans une méta-analyse de plusieurs études sur les traitements adjuvants, les toxicités n’étaient pas significativement plus élevées chez les patients âgés, de sorte qu’un traitement adjuvant est également recommandé chez les patients âgés en bon état général. Il n’existe pratiquement pas de données pour les patients de plus de 80 ans, de sorte que l’utilité d’un traitement adjuvant n’est pas prouvée dans ce cas. En l’état actuel des connaissances , l’ajout d’oxaliplatine (traitement combiné FOLFOX ou XELOX) n’apporte guère de bénéfice supplémentaire pour les patients de plus de 70 ans et ne constitue pas un standard.
Cancer du rectum : radiothérapie néoadjuvante
Les cancers du rectum sont souvent diagnostiqués à des stades localement avancés. Il n’existe pas d’études sur le traitement néoadjuvant spécifiquement pour les patients âgés, de sorte que des analyses de sous-groupes doivent être utilisées à partir d’études portant principalement sur des patients plus jeunes ou de données de registres. Les études disponibles ont montré qu’une radiothérapie préopératoire pouvait réduire le nombre de récidives locales, même chez les patients de plus de 70 ans, et que le taux de complications n’était pas augmenté.
Une sous-étude de registre suédoise a montré que les patients de plus de 75 ans étaient beaucoup moins susceptibles d’être traités par radiothérapie préopératoire, mais que le taux de récidive locale ne différait pas dans les deux groupes d’âge. Cela suggère que les bénéfices de la radiothérapie semblent diminuer chez les patients âgés. En résumé, pour les patients très en forme jusqu’à 75 ans, un traitement néoadjuvant peut être effectué de la même manière que pour les patients plus jeunes. Pour les autres patients, des décisions interdisciplinaires au cas par cas sont nécessaires, en tenant compte de l’extension de la tumeur, de l’état du patient ainsi que de ses souhaits.
Traitements palliatifs du cancer colorectal
En situation palliative, le plus important pour la plupart des patients âgés est la qualité de vie avec le maintien de l’autonomie, avec un scepticisme largement répandu à l’égard des chimiothérapies. Mais il faut savoir que les personnes âgées en bonne santé ont encore une longue espérance de vie. En Suisse, celle-ci est d’environ sept ans pour les hommes de 80 ans, et même de neuf ans pour les femmes. La chimiothérapie ou la radiothérapie palliatives peuvent contribuer à maintenir la qualité de vie et l’autonomie et à améliorer la survie.
Des études indiquent que les patients âgés peuvent également bénéficier de traitements plus intensifs (chimiothérapie combinée avec le bévacizumab ou le cétuximab) sans restrictions majeures et que les toxicités ne sont pas plus fréquentes dans ce groupe de patients bien sélectionnés. Cependant, ces patients de l’étude ne correspondent pas au patient moyen dans la pratique médicale, de sorte que les résultats ne peuvent pas être appliqués à la majorité des patients. Il existe désormais quelques études menées spécifiquement sur les patients âgés. Il est apparu que les chimiothérapies combinées (FOLFOX, FOLFIRI) étaient bien tolérées, mais n’offraient que peu de bénéfices supplémentaires par rapport à une monothérapie par 5-FU. En revanche, l’ajout du bevacizumab à un traitement par capécitabine a permis d’obtenir un gain significatif en termes de contrôle de la tumeur avec une toxicité à peine plus élevée, de sorte que ce traitement peut constituer un standard pour de nombreux patients âgés. L’intérêt d’un traitement par cetuximab chez les patients âgés atteints de tumeurs RAS de type sauvage fait actuellement l’objet d’études (notamment en Suisse).
Source : Plateforme de formation continue interdisciplinaire en onco-gériatrie, 22 novembre 2014, Zurich
InFo ONKOLOGIE & HÄMATOLOGIE 2015 ; 3(1) : 32-34