Indépendamment des croyances et des idéologies, l’homme a toujours accordé une importance particulière au sang : il représente à la fois la vie et la mort, le bien et le mal, la pureté et la profanation, le sacrement et la criminalité. Il réunit tous les contraires, il est ambivalent et fascinant. D’un point de vue médical, la place du sang est peut-être un peu moins émotionnelle, poétique et philosophique, mais elle n’est en aucun cas moins essentielle, bien au contraire. Et la médecine sportive ne fait pas exception à la règle. On peut même affirmer qu’elle a clairement joué un rôle de précurseur en faisant connaître certaines des mesures décrites ci-dessous.
La méthode la plus connue et la plus ancienne pour laquelle le sang est utilisé comme agent thérapeutique en médecine humaine est la transfusion sanguine. Sous une forme à peu près similaire à celle d’aujourd’hui, elle a été réalisée dès 1918 – mais le sang comme remède est décrit depuis l’Égypte ancienne.
Conséquences pour la médecine sportive
A première vue, cette mesure n’a pas grand-chose de spécifique à la médecine sportive, bien que certains accidents sportifs graves puissent bénéficier d’une transfusion. Toutefois, si l’on s’intéresse de plus près à la scène sportive, il convient de signaler un abus de cette pratique pour être complet : Après les Jeux olympiques de Munich en 1972, on a soupçonné les coureurs de fond de devoir leurs excellents résultats à l’apport de sang. Par la suite, il est apparu que pour améliorer le transport de l’oxygène, capital dans toutes les disciplines aérobies (d’endurance), cette fraude particulière pouvait apporter quelque chose (l’EPO n’était pas encore disponible à cette époque). Il n’était pas rare de voir des hématocrites dépassant 50, car il n’existait pas de méthodes objectives de détection de cette forme de dopage.
Les athlètes ont d’abord opté pour la forme de transfusion autologue (leur propre sang), ce qui s’est toutefois accompagné d’une baisse des performances immédiatement après le prélèvement de sang. On est donc passé à la transfusion homologue (sang d’un donneur compatible). Finalement, l’utilisation de l’EPO a suivi, jusqu’à ce que ce produit devienne bien détectable lors des contrôles. Les transfusions abusives, qui nécessitent une logistique importante, sont réapparues sur le marché du sport. L’introduction du passeport sanguin biologique comme moyen de contrôle antidopage a toutefois rendu à nouveau beaucoup plus difficile l’application de cette forme de fraude.
La thérapie autologue par plasma conditionné
Dans un nombre croissant de traitements orthopédiques (par ex. blessures des tendons et des ligaments, déchirures des fibres musculaires, arthrose), les produits d’autohémothérapie présentent un intérêt certain. Le blessé sportif est prédestiné à de telles mesures de traitement. Dans ce type de thérapie, des substances actives propres à l’organisme et provenant du sang favorisent la guérison. Cette forme de traitement relativement récente fait partie de l’orthopédie moléculaire, qui comprend également la thérapie par plasma conditionné autologue (ACS).
ACS désigne une approche de biologie moléculaire du traitement du sang chez le médecin traitant. Le traitement Orthokin®, apparu vers 2001, est relativement bien connu dans nos contrées. Il s’agit d’une application de sang autologue, principalement utilisée pour le traitement de l’arthrose. Il s’agit d’une technique de l’ACS née en Allemagne, qui a été développée en 2004 sous le nom d’EOT®II. La fabrication de l’ACS est simple et rapide à mettre en œuvre. Après avoir été prélevé par un médecin certifié, le sang est incubé dans un dispositif médical breveté, la seringueEOT®II. Le sang préparé est ensuite centrifugé dans le laboratoire du cabinet médical. Cela permet de séparer les composants solides et le sérum acellulaire. Celui-ci contient des facteurs de croissance enrichis et des antagonistes de l’interleukine. Le sérum peut être conservé pendant plusieurs mois à -21°C jusqu’à son utilisation.
Depuis son lancement, la procédure est pratiquée par de nombreux médecins dans différents pays, qui ont traité plusieurs centaines de milliers de patients en près de 20 ans. L’injectiond’EOT®II est utilisée par les médecins dans le cadre du traitement conservateur des douleurs articulaires, dorsales, tendineuses et musculaires liées à l’arthrose. Dans la plupart des cas, il s’agit (encore) d’une prestation qui n’est pas prise en charge par les caisses d’assurance maladie publiques – mais heureusement par certaines assurances maladie privées. Le coût de la seringueEOT®II est d’environ 100 CHF.
Selon l’indication, trois à six injections sont nécessaires. Contrairement à d’autres méthodes courantes de préparation du sang, EOT®IIpermet d’obtenir du sang autologue en une seule séance avec une seule prise de sang.
Comment cela fonctionne-t-il ?
Le procédé de préparation spécial permet d’enrichir le sérum en facteurs de croissance et en antagonistes de l’interleukine. Les antagonistes des interleukines sont des antagonistes moléculaires endogènes des messagers interleukines des cellules du système immunitaire. La dégradation du cartilage dans le cadre de l’arthrose entraîne la libération massive de protéines toxiques, dont l’interleukine-1 (IL1). Cette protéine se fixe sur des récepteurs situés dans l’environnement immédiat de la lésion et entretient ainsi le processus inflammatoire. Un groupe de chercheurs allemands a réussi à créer un antagoniste de l’IL1 qui prend la place de l’IL1 sur le récepteur et le bloque. Cela permet de rompre le cercle vicieux.
Le sérum Orthokin® obtenu à l’aide du dispositif médical breveté de deuxième génération (EOT®II) est riche en antagonistes des récepteurs de l’interleukine 1 et en plusieurs facteurs de croissance tels que l’Insulin-Like Growth Factor 1, le Platelet-Derived Growth Factor et le Transforming Growth Factor β-1. Le principe d’action ciblé de la thérapie Orthokin® a été bien démontré dans des études scientifiques. Le sérum a été utilisé plus de 400 000 fois dans le monde et a été bien toléré dans toutes les indications. Dans les études cliniques, le taux d’effets indésirables était faible.
Orthokin® a été la première forme d’un tel traitement, il en existe aujourd’hui d’autres comme Onoccomed® – tous surtout connus dans les pays germanophones, même si certaines stars du sport d’outre-Atlantique les ont déjà utilisés, apparemment avec succès (par exemple Kobe Bryant des Lakers).
Plasma riche en plaquettes
La forme la plus connue de thérapie par le sang autologue est le PRP. Cet acronyme signifie Platelet Rich Plasma (plasma riche en plaquettes), qui est en fait également un plasma conditionné autologue. Il est formé à partir du propre plasma sanguin (autologue) de l’organisme, conditionné par une fabrication spéciale, c’est-à-dire séparé et concentré dans une large mesure des autres composants sanguins (par ex. les érythrocytes et les leucocytes, dont les granulocytes neutrophiles), car ceux-ci, en forte concentration, peuvent entraver le processus de guérison.
Les principaux composants du PRP sont donc les plaquettes, qui contiennent en leur sein différents facteurs de croissance qui jouent un rôle important dans la guérison. Les plaquettes sont les plus petites cellules sanguines, elles n’ont pas de noyau et contiennent entre autres trois formes de granules, les granules α, les granules β et les granules δ. On trouve environ 50 à 80 granules par plaquette α. Ils contiennent plus de 30 protéines bioactives, dont plusieurs jouent un rôle important dans l’hémostase et la cicatrisation des plaies. Au total, les chercheurs ont identifié plus de 1000 types de protéines dans les plaquettes et à leur surface. Les plus connues de ces protéines sont le Platelet-Derived Growth Factor (PDGF), le Transforming Growth Factor (TGF-β), le Platelet-Derived Epidermal Growth Factor (PDEGF), le Vascular Endothelial Growth Factor (VEGF), l’Insulin-like Growth Factor (IGF-1), le Fibroblastic Growth Factor (FGF), l’Epidermal Growth Factor (EGF), et d’autres cytokines et chimiokines (par ex. PF4 et CD40L). Comme leurs noms l’indiquent, ces substances peuvent stimuler la croissance, c’est-à-dire la réparation ou la régénération des tissus corporels.
Le PRP est prélevé à partir du sang autologue de la veine du bras. Dans une deuxième étape, le PRP est séparé des autres composants sanguins à l’aide d’une centrifugeuse et est ensuite directement utilisé. Il existe aujourd’hui plusieurs outils commerciaux faciles à utiliser. Le médecin injecte ensuite le surnageant – le plasma enrichi en plaquettes – dans la zone blessée du patient, relativement peu de temps après la prise de sang.
Situation des études vs. expériences dans la pratique
On pense qu’une application de PRP peut accélérer la guérison d’un muscle étiré, d’un tendon surchargé ou même d’un cartilage de genou blessé. Et le PRP aurait bien d’autres vertus, si l’on en croit les informations anecdotiques qui ont étonnamment vite trouvé leur chemin dans les prospectus et les brochures : Il agit contre les rides, la chute des cheveux, les cicatrices d’acné, etc. Le problème, c’est qu’il n’existe guère d’études fondées prouvant ces prétendus effets. Certaines études suggèrent un bénéfice [1], mais la plupart ne voient aucun avantage. Une méta-analyse Cochrane publiée en 2014 a confirmé qu’il n’y avait pas suffisamment de preuves pour conclure à un effet positif du traitement par PRP sur les blessures musculaires et tendineuses.
Ces conclusions scientifiques peuvent paraître surprenantes, car il existe un écart évident entre les études et l’expérience quotidienne des praticiens, notamment des médecins du sport. Beaucoup sont tout simplement enthousiasmés par cette nouvelle forme de thérapie. Cet écart peut probablement s’expliquer par le fait que le PRP n’est pas un produit standardisé, mais un produit fortement variable d’un individu à l’autre. Selon la méthode de fabrication, le surnageant de plasma peut avoir une composition différente. Le moment de l’application joue également un rôle important, sans oublier la technique d’injection (par exemple avec ou sans guidage par ultrasons).
Dans tous les cas, les effets secondaires graves ou les problèmes imprévisibles sont peu probables avec les traitements PRP. En effet, le PRP est un produit naturel de l’organisme. Et la seringue n’est pas excessivement chère non plus. La plupart des cabinets qui proposent cette méthode facturent – mais par injection – environ 120-140 CHF. Le patient doit les payer lui-même, l’assurance de base ne rembourse rien.
La renaissance de l’ozonothérapie ?
Une manipulation “exotique” est la thérapie à l’ozone. Paradoxalement, il s’agit d’une théorie vieille de plus de 100 ans (1915) qui revient à la mode dans les cliniques de récupération et en médecine sportive. On prélève 70 à 450 ml de sang, qui est mélangé à de l’ozone sous une forte irradiation UV, puis réinjecté. Dans quel but ? En fait, seuls ceux qui le proposent ou l’utilisent le savent. La science sur le sujet est quasiment inexistante. Il n’est guère nécessaire de souligner que cette méthode est interdite dans le sport (voir point 3 ci-dessous), mais il n’existe actuellement aucune méthode de détection.
La liste des produits dopants
En tant que médecin du sport, consulter la dernière liste des substances et mesures interdites, dite liste des produits dopants, mise à jour chaque année, devrait devenir un réflexe lors de l’application de tout traitement, surtout s’il n’est pas classique. Dans la liste des substances dopantes 2017 [2], on trouve les mentions suivantes en rapport avec le sang : Sont interdits…
- … toute administration ou réinjection dans le système circulatoire de toute quantité de sang autologue, allogénique (homologue) ou hétérologue ou de produits dérivés de globules rouges de toute origine.
- …l’augmentation artificielle de l’absorption, du transport ou de la libération d’oxygène, y compris, mais sans s’y limiter, les produits perfluorochimiques, l’éfaproxiral (RSR13) et les produits d’hémoglobine modifiée (par exemple, les substituts sanguins à base d’hémoglobine, les produits d’hémoglobine microencapsulés). La supplémentation en oxygène par inhalation fait exception à cette règle.
- …toute forme de manipulation intravasculaire du sang ou des composants sanguins par des méthodes physiques ou chimiques.
- …les hormones peptidiques, les facteurs de croissance, les substances apparentées et les mimétiques. Facteurs de croissance interdits : Facteur de croissance des plaquettes (PDGF), facteurs de croissance des fibroblastes (FGF), facteur de croissance des hépatocytes (HGF), facteur de croissance 1 analogue à l’insuline (IGF-1) et ses analogues, facteurs de croissance induits mécaniquement (MGF), le facteur de croissance vasculaire-endothélial (VEGF) et tout autre facteur de croissance qui, dans les muscles, les tendons ou les ligaments, influence la synthèse/dégradation des protéines, la vascularisation, l’utilisation de l’énergie, la capacité de régénération ou la transformation du type de fibres.
A cette lecture, il est clair que les transfusions sanguines sont clairement interdites. Mais ce qui est beaucoup moins clair, c’est ce dont il s’agit lorsqu’on injecte de l’ACS et du PRP. En effet, ces deux méthodes ont été approuvées par les autorités mondiales, indépendamment des facteurs de croissance qu’elles contiennent. Apparemment, la concentration de ces facteurs est jugée trop faible pour avoir des effets significatifs sur la performance.
Littérature :
- Mishra AK, et al : Efficacité du plasma riche en plaquettes pour le tennis chronique du coude : un essai contrôlé randomisé, prospective, multicentrique, en double aveugle de 230 patients. Am J Sports Med 2014 Feb ; 42(2) : 463-471.
- Antidoping Suisse : Liste des produits dopants, valable à partir du 1.1.2017. www.antidoping.ch/sites/default/files/downloads/2016/dopingliste_2017_ch_def.pdf
PRATIQUE DU MÉDECIN DE FAMILLE 2017 ; 12(2) : 5-6