Les voyages ne cessent d’augmenter dans le monde : alors qu’en 1970, on comptait 150 millions d’arrivées de touristes, ce chiffre est passé à plus de 940 millions en 2010 [1]. En moyenne, chaque Suisse a effectué 2,8 voyages en 2012, soit 20,3 millions de voyages au total, dont 12,9 millions à l’étranger. Les caractéristiques des voyageurs ont évolué au cours des dernières années. Les voyages touristiques classiques diminuent en proportion, de plus en plus de voyages sont effectués par des personnes qui rendent visite à des amis et des parents dans leur ancien pays d’origine (“visiting friends and relatives”‘ VFR) [1]. Cet article a pour but de donner un aperçu des thèmes classiques de la médecine des voyages, mais aussi d’attirer l’attention sur l’évolution de l’épidémiologie chez les voyageurs et de promouvoir un conseil axé sur les risques dans la pratique.
En Suisse, les “visiting friends and relatives” (VFR) représentent 17% de tous les voyageurs [2] ; en Grande-Bretagne, les VFR représentent déjà près de 50% de tous les voyageurs lors de voyages en Afrique ou dans le sous-continent indien. De plus en plus, les personnes âgées souffrant de comorbidités entreprennent des voyages dans des régions subtropicales ou tropicales. Ces deux groupes de voyageurs présentent justement quelques particularités et nécessitent des conseils spécifiques.
Par ailleurs, le conseil aux voyageurs peut et doit être l’occasion d’évaluer l’exhaustivité des vaccinations de base (en particulier le ROR) et les éventuelles vaccinations recommandées pour les groupes à risque (par exemple, le vaccin conjugué contre le pneumocoque chez les patients présentant des comorbidités chroniques, conformément au plan de vaccination suisse [3]). Le tableau 1 en donne un aperçu.
Pour que les conseils individuels soient utiles, il faut connaître l’état de santé des voyageurs (âge, maladies, grossesse, allergies, médication, etc. Nous devons connaître la destination et savoir combien de temps ils passent dans des zones à risque spécifiques et comment ils voyagent (tourisme de groupe vs. tourisme individuel, mode de voyage et possibilités d’hébergement). Un questionnaire adapté peut être rempli par les voyageurs avant la consultation, ce qui peut faciliter considérablement la consultation et faire gagner du temps.
Risques en voyage
Dans toutes les publications sur les maladies liées aux voyages, la diarrhée du voyageur est le principal symptôme, avec un taux d’incidence impressionnant pouvant atteindre 60% dès les deux premières semaines. La diarrhée du voyageur est généralement bénigne et dure quelques jours, la moitié des diarrhées associées au voyage sont spontanément guéries après 48 heures. Les groupes à risque particulier de diarrhée du voyageur sont les enfants et les jeunes adultes (<30 ans), les personnes sous traitement antiacide et les personnes souffrant de maladies gastro-intestinales préexistantes ou d’une immunodéficience. Dans l'”axe du risque” de Steffen et al. [4], les risques sont indiqués par mois de voyage : Après la diarrhée du voyageur, vient le risque de contracter le paludisme lors d’un voyage en Afrique de l’Ouest sans prophylaxie antipaludique, avec une incidence de 3% par mois, suivi de la grippe et du risque de morsure de chien avec risque de rage (figure 1).
La mortalité en voyage dépend essentiellement de l’âge et, pour les jeunes voyageurs, de leurs activités. Dans une analyse de 89 521 voyageurs malades traités dans des cliniques GeoSentinel, des cliniques de médecine du voyage spécialisées dans le monde entier sur tous les continents, 8,4% des voyageurs étaient âgés de plus de 60 ans [5]. Par rapport à la population de référence âgée de 18 à 45 ans, ce groupe de voyageurs présentait un risque nettement plus élevé d’être traité pour une pneumonie/bronchite ou une insuffisance cardiaque. En revanche, les motifs de consultation médicale les plus fréquents chez les jeunes voyageurs étaient les infections par le paludisme et la dengue. La mortalité était de 45/100 000 dans la population jeune et de 199/100 000 dans la population âgée, avec une augmentation du risque à chaque décennie au-delà de 60 ans.
Dans une analyse [6] des causes de décès dans la ville de Chiang Mai, en Thaïlande, 7,9% de tous les décès étaient des étrangers, avec une moyenne de six décès étrangers par mois. L’âge médian des étrangers au moment du décès était de 64 ans, les maladies cardiovasculaires étaient donc les principales causes de décès, suivies des néoplasies et enfin des causes infectieuses. 10% des causes de décès étaient traumatiques (accidents, suicides, overdoses de drogues et noyades). Le taux de mortalité standardisé n’était pas différent de celui des pays d’origine des voyageurs – ce dont on meurt le plus souvent chez soi, on en meurt aussi à l’étranger. Deux études sur les décès de citoyens écossais et canadiens en voyage ont montré des conclusions principales similaires : les trois quarts des décès étaient dus à des causes naturelles. Cependant, dans ces deux études, les décès traumatiques, principalement les accidents de la route ainsi que les suicides et les homicides, étaient plus élevés, à savoir environ 20%. Il s’agissait des principales causes de décès chez les jeunes voyageurs.
Voyageurs particuliers
Il est donc essentiel que les conseils aux voyageurs soient adaptés à leur âge et à leur profil de risque. Le risque de décès traumatique et sa prévention sont souvent négligés dans les conseils aux voyageurs.
Le tableau 2 présente quelques groupes spécifiques de voyageurs et leurs risques particuliers. Les VFR, et en particulier leurs enfants, constituent le groupe de voyageurs présentant la morbidité la plus élevée dans de nombreuses études [7]. Les VFR représentent désormais 21 à 68% de tous les cas de paludisme importés [8] et de loin le principal groupe de cas d’hépatite A et de typhoïde importés. Les interactions avec les prophylaxies de voyage (par exemple, le risque d’allongement de l’intervalle QTc de certaines prophylaxies antipaludiques) doivent être prises en compte lors du conseil aux voyageurs âgés présentant des comorbidités et des comédications. En cas de diarrhée et de diminution de l’apport alimentaire, les personnes sous traitement antihypertenseur ou antidiabétique oral doivent être informées de la nécessité d’adapter leur traitement pendant la durée des symptômes, faute de quoi des hypotensions ou des hypoglycémies dangereuses peuvent être provoquées. En raison du risque particulier de paludisme grave, il est déconseillé aux femmes enceintes de voyager dans les zones d’endémie du paludisme.
Des outils utiles pour le conseil en voyage
Le temps disponible pour des conseils adaptés aux risques individuels des voyageurs est généralement limité, ce qui explique que les conseils aux voyageurs soient souvent réduits à de simples conseils sur les vaccins et la malaria. Il est utile de recommander des mesures préventives sous forme de paquets spécifiques à l’exposition (fig. 2).
Celles-ci incluent bien entendu les recommandations de vaccination et les mesures de prévention de la morbidité liée au paludisme, mais vont bien au-delà. Pour que ces forfaits liés à l’exposition puissent être proposés aux voyageurs de manière raisonnable et efficace, il est indispensable de disposer de vastes connaissances de base et d’une mise à jour continue des épidémies survenant dans le monde. Pour ce faire, il est tout d’abord utile de disposer d’une base de données actualisée des situations épidémiologiques, des réglementations et des recommandations en fonction de la destination et de la période du voyage. Il est recommandé de consulter Tropimed®, d’autres bases de données telles que Safetravel® ou les recommandations publiées par l’Office fédéral de la santé publique ou les autorités gouvernementales concernées. Le site ProMED mail (www.promedmail.org) fournit des informations géographiquement plus détaillées sur les épidémies locales. En raison du temps limité, des informations complémentaires peuvent être fournies au voyageur sous la forme de fiches récapitulatives par maladie/risque. Nous avons également rédigé un petit livret intitulé “Voyager en toute sécurité” (ISBN 978-3-905708-84-4), qui peut également être distribué aux voyageurs. De même, une liste de conseils pratiques sur les vaccins recommandés en médecine des voyages est très utile pour un aperçu rapide (tableau 1).
Déroulement concret
Nous recommandons une consultation (figure 2) qui prend en compte les quatre expositions principales suivantes en fonction des risques particuliers des voyageurs et de la destination du voyage : Piqûres d’arthropodes ; Manger, boire et diarrhées ; Contact avec les personnes, y compris les personnes âgées. sexe ; accidents, morsures d’animaux et risques spéciaux.
Si ce schéma est suivi, la consultation est complète. Les points forts du conseil sont définis individuellement en fonction de la destination du voyage.
les piqûres d’arthropodes : Nous insistons sur l’importance d’une protection efficace contre les moustiques, c’est-à-dire l’utilisation correcte de moustiquaires imprégnées, de vêtements et de produits répulsifs. Outre le paludisme, cette protection concerne un grand nombre de maladies telles que la méningo-encéphalite verno-estivale, les rickettsioses, la dengue et le chikungunya, la fièvre jaune, l’encéphalite japonaise, les fièvres de “Ross River” et d’autres fièvres généralement virales. Pour cela, des indications sont données sur les activités diurnes des arthropodes (anophèles vs. aedes, tiques).
Alimentation/boissons et diarrhée : comme mentionné précédemment, la diarrhée est le problème de santé le plus fréquemment signalé par les voyageurs. Peu de voyageurs suivent le conseil classique “cook it, boil it, peel it or forget it”, ce qui explique la forte incidence de la diarrhée du voyageur (jusqu’à 60%) mentionnée ci-dessus. Néanmoins, les conseils d’hygiène de base doivent être transmis dans tous les cas. Un traitement antibiotique d’urgence peut être administré aux voyageurs âgés et aux voyageurs de tout âge souffrant d’une maladie gastro-intestinale sous-jacente ou d’une immunosuppression. Actuellement, les quinolones pour l’Afrique et l’azithromycine pour l’Asie et l’Amérique latine sont de tels médicaments, bien que l’augmentation rapide de la résistance des bactéries pathogènes intestinales dans le monde entier remette en question l’efficacité des traitements antibiotiques d’urgence. Ce point permet de discuter de l’indication des vaccins contre l’hépatite A et la typhoïde.
Contact avec les personnes, sexe : la vaccination combinée contre l’hépatite A et B facilite la transition vers le thème des maladies sexuellement transmissibles : “Nous avons maintenant parlé de la jaunisse infectieuse, l’hépatite A, qui se transmet par la nourriture et la boisson. Une autre jaunisse encore plus dangereuse, l’hépatite B, se transmet principalement par voie sexuelle”.
Le risque de maladies sexuellement transmissibles est élevé chez les voyageurs. 20% des voyageurs déclarent avoir eu de nouveaux rapports sexuels lors de leurs voyages, dont 49% n’ont pas utilisé de préservatifs [9]. Il convient également de mentionner que 34% de tous les nouveaux diagnostics de VIH chez les Suisses hétérosexuels et 19% de ces mêmes diagnostics chez les homosexuels sont acquis à l’étranger [10].
D’autres maladies peuvent se transmettre d’une personne à l’autre en dehors de tout contact sexuel. L’indication de vaccins appropriés tels que la rougeole, les oreillons et la rubéole (ROR), la varicelle, la coqueluche, la méningite à méningocoque, la grippe et le pneumocoque peut être discutée dans ce contexte. L’occasion de rattraper ou de compléter la vaccination ROR de base peut être saisie avec une insistance particulière, en particulier dans le contexte où la Suisse est un important pays exportateur de rougeole. Cette activité d'”exportation”, notamment vers les pays pauvres, est honteuse, car la rougeole y provoque souvent des cas particulièrement graves chez les autochtones.
Accidents, morsures d’animaux et risques spécifiques : Les accidents, les coups de soleil et le mal des montagnes sont des causes fréquentes de morbidité pendant le voyage. Comme mentionné ci-dessus, les accidents sont également la principale cause de décès chez les jeunes voyageurs lors de voyages sous les tropiques. Les voyageurs sont ici encouragés à choisir l’option de voyage la plus sûre en cas de doute et, si nécessaire, à interrompre leur voyage si le conducteur fait preuve d’un style de conduite risqué.
Les expositions potentielles à la rage par morsure d’animal ne sont pas rares et une immunisation pré-exposition à la rage est indiquée en cas de voyage prolongé dans des zones de haute endémie rabique. Dans cette partie de la consultation, la couverture vaccinale contre le tétanos et la diphtérie est également évaluée.
Résumé
Un conseil en voyage basé sur l’exposition est efficace et permet une consultation individualisée compréhensible. Un schéma graphique simple garantit l’exhaustivité et l’uniformité du conseil et s’avère particulièrement utile dans les cabinets où plus d’une personne est impliquée dans le conseil aux voyageurs.
Dr Cornelia Staehelin
CONCLUSION POUR LA PRATIQUE
- Les voyageurs qui se rendent dans leur pays d’origine (“visiting friends and relatives”) sont les moins susceptibles de demander des conseils avant de partir, mais ils sont les plus susceptibles de contracter le paludisme, la typhoïde ou l’hépatite A. Les voyageurs qui se rendent dans leur pays d’origine (“visiting friends and relatives”) sont les moins susceptibles de demander des conseils avant de partir.
- Les voyageurs âgés doivent recevoir, en plus des conseils de voyage habituels, des conseils particuliers sur les mesures à prendre en cas de complications éventuelles de leurs maladies de base lors d’un voyage.
- Les jeunes voyageurs sont particulièrement exposés aux complications liées aux accidents.
- Sexe en voyage : les règles du safer sex sont souvent laissées à la maison en voyage – 20% des voyageurs ont un nouveau partenaire sexuel pendant le voyage ; dans la moitié de ces contacts, aucun préservatif n’est utilisé.
A RETENIR
- Les voyageurs qui se déplacent vers leurs pays d’origine (” visiting friends and relatives “) sont ceux qui consultent le moins souvent avant le voyage, mais souffrent le plus fréquemment de paludisme, de typhus ou d’hépatite A.
- Les voyageurs plus âgés doivent bénéficier d’un conseil particulier en plus de la consultation de voyage classique en raison des conduites à tenir en cas d’éventuelles complications de leurs maladies préexistantes en voyage.
- Les jeunes voyageurs sont particulièrement à risque de souffrir de complications liées à un accident.
- La sexualité en voyage : les règles de prudence en matière de sexualité sont souvent oubliées à la maison lors des voyages – 20 % des voyageurs rencontrent un nouveau partenaire sexuel en voyage ; la moitié de ces contacts s’effectue sans protection.
Littérature :
- Leder K, et al. : Travel-associated illness trends and clusters, 2000-2010. Emerg Infect Dis 2013 ; 19(7) : 1049-1073.
- Office fédéral de la statistique : Voyages de la population résidente suisse 2012.
- Office fédéral de la santé publique : Plan de vaccination suisse 2014.
- Steffen R, Amitirigala I, Mutsch M : Risques pour la santé des voyageurs – nécessité d’une mise à jour régulière. J Travel Med 2008 ; 15(3) : 145-146.
- Gautret P, et al. : Travel-associated illness in older adults (>60 y). J Travel Med 2012 ; 19(3) : 169-177.
- Pawun V, et al. : Mortalité parmi les ressortissants étrangers à Chiang Mai City, Thaïlande, 2010 à 2011. J Travel Med 2012 ; 19(6) : 334-351.
- Behrens R, Barnett ED : Visiter des amis et des relations. In : Keystone J (éd.) : Travel Medicine. 2nd ed. Mosby Elsevier 2008 ; 292-298.
- Pavli A, Maltezou HC : Malaria and travellers visiting friends and relations. Travel Med Infect Dis 2010 ; 8(3) : 161-168.
- Vivancos R, Abubakar I, Hunter PR : Voyage à l’étranger, sexe occasionnel, et infections sexuellement transmissibles : revue systématique et méta-analyse. Int J Infect Dis 2010 ; 14(10) : e842-e851.
- Office fédéral de la santé publique Section VIH et sida : Statistiques et analyses sur le VIH et les IST 2012. 27-5-2013.
PRATIQUE DU MÉDECIN DE FAMILLE 2014 ; 9(6) : 12-18