Le psoriasis a souvent des répercussions sur les articulations au cours de l’évolution de la maladie – environ un tiers des personnes atteintes développent une arthrite psoriasique (PsA) au fil du temps. L’amélioration du dépistage précoce et le développement d’approches thérapeutiques préventives sont au cœur de plusieurs projets de recherche en cours. Il s’agit par exemple d’études de biomarqueurs utilisant des technologies omiques et d’études d’intervention sur l’utilisation critique de différents produits biologiques.
La question centrale est de savoir comment prédire avec certitude le risque d’arthrite psoriasique (PsA) et si le PsA peut être évité par une intervention précoce et adéquate, a expliqué le professeur Laura Coates, Nuffield Department of Orthopaedics, Rheumatology and Musculoskeletal Sciences, University of Oxford (UK) [1]. Il n’existe pas encore de réponse concluante à cette question, mais de nombreuses initiatives de recherche apportent peu à peu des éclaircissements. On sait depuis longtemps qu’environ 80% des patients ont un psoriasis en plaques avant de développer une PsA, de sorte que le principal groupe à risque est une population de patients circonscrite, identifiable par les données des registres et les dossiers médicaux [2].
Prédicteurs de la PsA : modèles de risque et approches d’auto-surveillance
Bien qu’il n’existe pas encore de méthodes ou de tests fiables permettant de prédire rapidement, facilement et de manière fiable l’apparition et l’évolution de la PsA, plusieurs projets de recherche se penchent sur ce sujet. Des chercheurs canadiens ont développé un modèle de risque qui permet de prédire, sur la base de différentes caractéristiques du patient, si un patient atteint de psoriasis a un risque élevé de développer une PsA sur une période d’un an ou de cinq ans [1,3]. Lors de l’EULAR de cette année, des chercheurs britanniques ont présenté les résultats d’une analyse secondaire à grande échelle basée sur les données du UK CPRD (UK Clinical Practice Research Datalink), dans laquelle des facteurs de risque démographiques ont été identifiés pour une probabilité plus élevée de développer un psA [4]. Pour ce faire, les chercheurs ont analysé les données de cas de 122 330 patients atteints de psoriasis en plaques. Ils ont constaté que 2460 d’entre eux avaient développé une PsA dans un délai médian de 5,7 ans. Les facteurs de risque démographiques suivants ont été identifiés : Groupe d’âge 30-50 ans, sexe masculin, IMC >25.
Le professeur Coates a cité le projet iPROLEPSIS et l’étude PSORCAST [1] comme exemples d’approches de santé numérique dans le domaine de l’évaluation des risques et du diagnostic précoce de la PsA. Le projet iPROLEPSIS vise à mettre en œuvre une application numérique personnalisée qui, d’une part, aide les patients à gérer leur maladie de manière ludique et, d’autre part, contribue à la collecte de données dans le monde réel afin d’acquérir de nouvelles connaissances sur les facteurs importants qui favorisent le développement de la PsA chez les patients souffrant déjà de psoriasis [5]. L’étude PSORCAST vise à développer et à valider une application pour smartphone qui intègre des données numériques, cliniques et de laboratoire afin d’identifier des facteurs de risque personnalisés de PsA et de faciliter le diagnostic précoce de PsA [6]. Les patients peuvent utiliser cette application au quotidien dans un esprit d’auto-surveillance.
Est-il possible d’identifier des biomarqueurs spécifiques à la PsA ?
Le consortium HIPPOCRATES regroupe des institutions partenaires de Belgique, du Danemark, d’Allemagne, d’Irlande, d’Italie, d’Espagne, de Suède, de Suisse, des Pays-Bas, du Royaume-Uni et des États-Unis [7]. L’objectif est de tester dans des cohortes internationales de patients des marqueurs et des procédures récemment découverts qui pourraient servir au diagnostic précoce du PsA. En outre, le projet HIPPOCRATES développe des stratégies de traitement personnalisées visant à améliorer la réponse au traitement et à inhiber le développement d’une arthrite psoriasique sévère. L’idée de base est de permettre un diagnostic et un traitement précoces en identifiant les biomarqueurs moléculaires du PsA chez les patients atteints de psoriasis en plaques, afin d’atténuer les effets de la maladie. Pour ce faire, les chercheurs visent à identifier une signature moléculaire en utilisant la technologie multi-omique. Dans ce contexte, une étude pilote a été menée dans le cadre du projet HIPPOCRATES, a indiqué l’oratrice [1]. Vincent’s University Hospital à Dublin (Irlande), des échantillons de sérum de 90 personnes participant à une étude prospective sur le psoriasis (BioCOM) ont été analysés par protéomique quantitative (analyse LC-MS/MS), protéomique d’affinité ciblée, métabolomique, lipidomique et génomique [1,8]. Sur les 90 participants, 30 avaient un psA établi selon les critères CASPAR, 30 avaient un psoriasis sans signes musculo-squelettiques cliniques et 30 avaient un psoriasis avec des symptômes cliniques indiquant une implication musculo-squelettique précoce. Les chercheurs ont pu identifier des marqueurs moléculaires permettant de faire la distinction entre le psoriasis et la PsA. Dans les études en cours, les données multi-omiques sont intégrées et soumises à une analyse par apprentissage automatique et IA.
Facteurs de risque du PsA |
– Antécédents familiaux positifs |
– Niveau de sévérité du psoriasis plus élevé (PASI) |
– Durée plus longue de la maladie psoriasique |
– Arthralgies, raideur Fatigue |
– Obésité (IMC >35) |
– Antécédents d’uvéite |
– Antécédents de maladie thyroïdienne |
– Localisation spécifique du psoriasis (ongle, cuir chevelu, glutéal) |
– Hyperlipidémie |
– Dépression |
– Fumer |
– Traumatisme |
vers [1,12] |
Des “fenêtres d’opportunité” pour l’intervention avec des médicaments biologiques ?
Dans ce contexte, les interventions médicamenteuses avec des médicaments biologiques reposent sur l’hypothèse selon laquelle certaines substances actives peuvent influencer les symptômes cutanés et l’atteinte articulaire par des effets anti-inflammatoires, de manière à stopper la progression. On part du principe que l’utilisation des produits biologiques est limitée dans le temps.
- L’ étude IVEPSA (“Interception in Very Early PsA study”) est une étude prospective ouverte visant à déterminer si une intervention précoce avec le sécukinumab, un inhibiteur de l’interleukine (IL) 17A, entraîne une rémission complète des symptômes cutanés, de la douleur et de l’inflammation subclinique [9]. Les critères d’inclusion étaient l’atteinte des ongles ou du cuir chevelu ou un PASI (Psoriasis Area Severity Index) >6, ainsi que des modifications inflammatoires ou érosives à l’IRM ou au scanner. Les patients ont reçu un traitement par sécukinumab pendant 24 semaines. Des évaluations cliniques de l’état de la peau et des articulations ont été réalisées au début de l’étude, puis à 12 et 24 semaines. Vingt patients ont été inclus, dont 85% ont signalé des arthralgies et 40% ont présenté des articulations douloureuses à l’examen. 83% avaient au moins une lésion inflammatoire à l’IRM, la plupart d’entre elles étant des synovites/enthésites. L’affection cutanée (PASI : p<0,002 ; BSA : p<0,003) et l’arthralgie (VAS douleur : p<0,003) se sont nettement améliorées après 24 semaines. Le PSAMRIS (The psoriatic arthritis magnetic resonance imaging scoring system) et le sous-score de synovite se sont également améliorés de manière significative (p=0,005 et p=0,008 respectivement). Les érosions et les enthésites n’ont pas augmenté, tandis que la masse osseuse du radius distal a augmenté de manière significative (p=0,020) après 24 semaines.
- L’étude PAMPA (“Preventing Arthritis in a Multicenter Psoriasis At-risk Cohort”) est une étude multicentrique randomisée contrôlée en double aveugle en cours qui vise à évaluer si le traitement par le guselkumab, un inhibiteur de l’IL-23, peut prévenir la progression des anomalies structurelles articulaires subcliniques [10,11]. Les patients atteints de psoriasis en plaques et présentant un risque élevé de PsA seront inclus. Le critère d’évaluation primaire est la variation des anomalies articulaires structurelles subcliniques (mesurées par échographie Doppler de puissance) entre la ligne de base et la semaine 24 dans le groupe guselkumab par rapport au groupe témoin. Les participants du groupe témoin ne reçoivent pas de traitement biologique.
Les deux produits biologiques mentionnés – le sécukinumab (Cosentyx®) et le guselkumab (Tremfya®) – sont autorisés en Suisse, notamment dans le domaine d’indication de l’arthrite psoriasique [14].
Conclusion
En résumé, les patients à haut risque de PsA constituent une population relativement facile à identifier. De nombreux projets de recherche dans le monde entier sont consacrés à la détection et à l’intervention précoces du PsA. Bien que certains facteurs associés à un risque accru de PsA en présence d’un psoriasis en plaques aient été identifiés, il est nécessaire d’évaluer plus précisément les facteurs de risque individuels de PsA. En ce qui concerne les interventions thérapeutiques, les données actuelles indiquent que l’utilisation de médicaments biologiques est très susceptible de réduire le risque de PsA, bien que le moment approprié pour commencer le traitement et les mécanismes impliqués ne soient pas encore totalement clairs. De manière générale, la prévention de la PsA en tant qu’objet de recherche soulève des questions concernant l’acceptation des patients et l’éthique des études à long terme. La volonté des patients atteints de psoriasis de participer à des études de prévention de la PsA dépend de plusieurs facteurs, selon le professeur Coates [1]. L’un des avantages est que de nombreuses substances étudiées pour leurs effets préventifs sur le PsA sont également efficaces contre le psoriasis en plaques. Mais la question de savoir comment rendre opérationnel un bras de contrôle dans des études randomisées à long terme, de manière à ce qu’il soit éthiquement acceptable, représente un obstacle majeur pour les projets d’études à long terme, selon l’oratrice [1].
Congrès : World Psoriasis & Psoriatic Arthritis Conference
Littérature :
- “Can we prevent psoriatic arthritis ?”, Keynote lecture, Professeur Laura Coates, IFPA Conference, 7th World Psoriasis & Psoriatic Arthritis Conference, 27-29 June 2024, Stockholm.
- Gottlieb AB, et al : Use of etanercept for psoriatic arthritis in the dermatology clinic : the Experience Diagnosing, Understanding Care, and Treatment with Etanercept (EDUCATE) study. J Dermatolog Treat 2006;17(6) : 343-352.
- Eder L, et al : POS0019 Prediction of Psoriatic Arthritis Tool (PRESTO) : Development And Performance Of A New Scoring System For Psoriatic Arthritis Risk. Annals of the Rheumatic Diseases 2023 ; 82 : 215.
- Rudge A, et al. POS0964 Prédiction dynamique de l’arthrite psoriasique dans une cohorte de patients atteints de psoriasis à l’aide de dossiers médicaux électroniques de soins primaires au Royaume-Uni. Annals of the Rheumatic Diseases 2024 ; 83 : 699-700.
- “iPROLEPSIS”, www.iprolepsis.eu,(dernière consultation 25.09.2024).
- “PSORCAST Study”, www.med.upenn.edu/inflammatory-arthritis/psorcast-study.html,(dernière consultation 25.09.2024).
- “Le projet de recherche européen HIPPOCRATES développe des approches thérapeutiques personnalisées pour les personnes atteintes d’arthrite psoriasique”, www.fau.de/2021/07/news/wissenschaft/eu-projekt-soll-behandlungsmoeglichkeiten-der-psoriasis-arthritis-verbessern,(dernière consultation 25.09.2024).
- Pennington SR, et al : Multi-omics Approach to the Identification of Biomarkers for Progression from Psoriasis to Psoriatic Arthritis, Poster, MSACL 2024 14th Annual Conference & Exhibits, March 17-22, 2024. www.msacl.org, (dernière consultation 25.09.2024).
- Kampylafka E, et al : Interception de la maladie par l’inhibition de l’interleukine-17 chez les patients atteints de psoriasis à haut risque et présentant une inflammation articulaire sous-clinique – données de l’étude prospective IVEPSA. Arthritis Res Ther 2019 Jul 26 ; 21(1) : 178.
- Haberman RH, et al : Efficacité du guselkumab, un inhibiteur sélectif de l’IL-23, dans la prévention de l’arthrite dans une cohorte multicentrique Psoriasis At-Risk (PAMPA) : protocole d’un essai multicentrique randomisé, en double aveugle, contrôlé par placebo. BMJ Open 2022 Dec 23 ; 12(12) : e063650. doi : 10.1136/bmjopen-2022-063650.
- Merola JF, et al : A clinical review of structural damage in psoriatic arthritis for dermatologists : From pathogenesis to ongoing controversies. Journal of the American Academy of Dermatology 2024 ; 90(Issue 2) 349-357.
- Scher JU, et al : Preventing psoriatic arthritis : focus on patients with psoriasis at increased risk of transition. Nat Rev Rheumatol 2019 ; 15(3) : 153-166.
- Kimak A, et al : Psoriatic Arthritis : Development, Detection and Prevention : A Scoping Review. Journal of Clinical Medicine. 2023 ; 12(11) : 3850.
www.mdpi.com/2077-0383/12/11/3850#,(dernière consultation 25.09.2024). - Swissmedic : Information sur les médicaments, www.swissmedicinfo.ch,(dernière consultation 26.09.2024).
DERMATOLOGIE PRAXIS 2024 ; 34(5) : 24-26 (publié le 28.10.24, ahead of print)