L’anamnèse des chutes chez les patients gériatriques est généralement floue et peu pertinente. Dans la recherche des causes possibles d’une chute, l’évaluation structurée de la démarche est bien plus importante que les investigations techniques. Les déficits musculaires des mollets et des hanches sont des causes fréquentes de troubles de la marche chez les patients gériatriques. L’entraînement de l’équilibre pour prévenir les chutes est particulièrement efficace si des tâches cognitives supplémentaires sont proposées. D’autres aspects importants de la prévention des chutes sont de bonnes chaussures, l’élimination des obstacles qui font trébucher, l’amélioration de la vision et une alimentation riche en protéines. La valeur cible pour le taux de vitamine D dans le sang est de 75 nmol/l.
Les mesures de prévention des chutes sont-elles utiles pour toutes les personnes âgées ?
Oui, absolument. On sait depuis des années qu’un entraînement régulier de l’équilibre, comme le tai-chi [1], et la substitution de vitamine D ont un effet positif sur la fréquence des chutes chez les seniors en bonne santé [2]. Toutefois, le clinicien ou le médecin généraliste se concentre généralement sur les patients qui présentent déjà un risque accru de chute en raison d’un trouble de la marche ou qui ont déjà été victimes de chutes.
Dans quelle mesure est-il utile, pour ces patients, de savoir pourquoi ils sont tombés en dernier ?
En principe, c’est très important. Toutefois, l’expérience clinique montre que nous devons ici nous fier principalement à l’anamnèse personnelle – et celle-ci n’est malheureusement que rarement pertinente pour une attribution étiologique claire de la chute. En effet, l’événement de la chute et son interprétation sonnent généralement un peu différemment lorsque le patient le décrit à plusieurs reprises. Ce phénomène s’accentue encore en cas de déficience cognitive. En outre, il faut s’attendre à un effet suggestif élevé, en particulier pour les questions relatives à une éventuelle brève perte de conscience.
Est-ce que cela entraîne trop d’investigations dans le sens d’une syncope ?
Absolument. La syncope comme cause de chute ne représente qu’un faible pourcentage de la population âgée. Selon une compilation de différentes études, il ne serait même que de 0,3% ! Sur cette petite proportion, ce sont en outre les variantes orthostatiques et neurogènes qui pèsent lourd, tandis que les syncopes cardiogéniques représentent une proportion encore plus faible [3]. Conclusion : aujourd’hui encore, trop d’argent est dépensé dans des examens techniques dont les résultats ne sont pas très utiles [4]. Le recensement systématique des facteurs de risque de chute, suivi de leur modification, est bien plus efficace que des examens techniques excessifs et un regard rétrospectif flou (anamnèse personnelle). L’évaluation structurée d’un trouble de la marche et de l’équilibre, qui résulte généralement de la superposition de diverses pathologies, est ici centrale.
Qu’est-ce qu’une évaluation structurée des troubles de la marche et de l’équilibre ?
Cela ne doit pas être une perte de temps. Il suffit de regarder le patient se lever et marcher quelques mètres. Il est important d’avoir en tête les critères d’observation pertinents (tableau 1) et de savoir à quoi devrait ressembler la marche normale (fig. 1) [5]. Une fois que l’on a une idée de cela, on identifie assez rapidement les anomalies et l’on peut procéder à d’autres tests ciblés afin d’accéder aux causes du trouble de la marche.
Quelles sont les causes fréquentes des troubles de la marche chez les personnes âgées (geriatric gait disorder) ?
Il s’agit souvent de déficits musculaires. Avec l’âge, la force des muscles du mollet diminue souvent plus que la moyenne, alors qu’ils jouent justement un rôle énorme dans la génération des pas. Dans la démarche, cela se traduit par une flexion excessive du genou dans les phases d’unijambiste, mais aussi par une longueur de pas trop faible et un rythme de marche lent. Si l’on soupçonne les muscles du mollet, on peut rapidement et facilement tester leur force en se tenant sur une jambe avec les orteils – le genou doit rester tendu (fig. 2). Pour une démarche normale chez les personnes âgées, cet exercice doit, selon notre expérience, être réussi au moins cinq fois (la norme pour un âge moyen étant d’au moins vingt fois) [5,8].
De même, les abducteurs de la hanche sont souvent trop faibles, ce qui n’est pas rare après l’implantation d’une prothèse totale de hanche. Cela se traduit par une démarche très typique, appelée “signe de Trendelenburg”, un abaissement controlatéral du bassin (fig. 3, à gauche). On observe souvent une inclinaison latérale compensatoire du haut du corps vers le côté faible, appelée “hochement de Duchènne” (Fig. 3, à droite).
Quels sont les programmes d’entraînement appropriés pour la prévention des chutes ?
Si des déficits de force ont été identifiés, ils doivent certainement être corrigés par un entraînement ciblé. En matière de prévention des chutes, l’entraînement de l’équilibre est le plus important. Les activités qui exigent une grande concentration et un contrôle physique se sont révélées particulièrement efficaces. Dans ce cas, outre le Tai Chi et le Jacque Dalcroze Rhythmic, un entraînement cognitivo-moteur spécifique est intéressant, par exemple sur un Step Plate (fig. 4).
Quelle est l’importance d’éliminer les pièges des chutes à la maison ?
C’est très important, car la plupart des chutes se produisent dans l’environnement domestique. Un bon programme de prévention des chutes comprend toujours une évaluation du logement [6]. Dans ce cas, il suffit souvent d’un entretien ciblé. Les tapis glissants ou un éclairage insuffisant sont des pièges classiques contre les chutes, par exemple. Ces deux éléments sont relativement faciles à corriger. Dans ce contexte, il ne faut pas sous-estimer l’importance des chaussures.
Que sont les “bonnes” et les “mauvaises” chaussures ?
Tout d’abord, une chaussure doit être bien adaptée, c’est-à-dire ni trop grande ni trop petite, et doit également envelopper la zone du talon. Une pantoufle ouverte typique n’est pas adaptée au pied gériatrique. Si des troubles de la sensibilité sont déjà présents, il est préférable d’opter pour une semelle plus ferme plutôt que pour une suspension trop importante, afin de mieux sentir le sol. Un petit talon aide souvent à avancer et est plus approprié que des chaussures trop plates, par exemple en cas de faiblesse du mollet existante. Pour l’extérieur, une chaussure à la cheville avec un bon profil donne le meilleur soutien.
Quel est le rôle de la vitamine D ?
Chez nos patients présentant un risque accru de chute, nous visons une supplémentation quotidienne en vitamine D de (800-)1000 UI par jour. Toutefois, une administration hebdomadaire de 7000 UI est également possible, à condition que l’administration soit ainsi simplifiée et plus sûre. Ce n’est qu’en cas de suspicion d’une constellation à haut risque (p. ex. fracture, démence) que nous déterminons parfois le taux sanguin afin de pouvoir procéder à un dosage forcé en cas de carence grave (p. ex. une fois par semaine 45 000 UI pendant quatre à six semaines). La valeur cible du taux sanguin est de 75 nmol/l (30 ng/ml) [7].
Quels sont les autres points de départ pour la modification des risques ?
Ces points de départ importants sont systématiquement enregistrés lors de l’évaluation gériatrique. Une diminution générale de la masse musculaire (sarcopénie) est particulièrement fréquente. Il faut y remédier non seulement par l’entraînement, mais aussi par une meilleure alimentation riche en protéines. Les problèmes sensoriels sont également très pertinents, l’amélioration de la vision étant un objectif réaliste. L’évaluation critique de la liste des médicaments, généralement longue, en vue de détecter les substances favorisant les chutes fait également toujours partie du processus.
On sous-estime d’ailleurs l’influence des modifications cérébrales dégénératives et microvasculaires diffuses sur le contrôle moteur central, sans qu’il y ait nécessairement un tableau clinique neurologique typique. Ainsi, dès les premiers stades de la maladie d’Alzheimer, on observe de discrètes modifications de la démarche (surtout lors de l’exécution d’une tâche cognitive supplémentaire !) et une augmentation des chutes. Cet exemple souligne qu’une évaluation cognitive fait toujours partie d’une évaluation de la marche bien fondée, afin de pouvoir conseiller et traiter de manière optimale en cas de démence débutante.
Littérature :
- Wolf SL, et al. : Reducing frailty and falls in older persons : an investigation of Tai Chi and computerized balance training. Groupe FICSIT d’Atlanta. Frailty and Injuries : Cooperative Studies of Intervention Techniques. J Am Geriatr Soc 1996 ; 44(5) : 489-497.
- Moyer VA, et al : Prevention of falls in community-dwelling older adults : U.S. Preventive Services Task Force recommendation statement. Ann Intern Med 2012 ; 157(3) : 197-204.
- Rubenstein LZ, et al : The epidemiology of falls and syncope. Clin Geriatr Med 2002 ; 18 : 141-158.
- Mendu ML, et al : Yield of diagnostic tests in evaluating syncopal episodes in older patients. Arch Intern Med 2009 ; 169(14) : 1299-1305.
- Götz-Neumann K : Comprendre la marche. Analyse de la marche en physiothérapie. Éditions Georg Thieme, 2006.
- www.bfu.ch/de/fuer-fachpersonen/sturzprävention.
- Lamy O, et al : Ostéomalacie et vitamine D. Swiss Medical Forum 2015 ; 15(48) : 1118-1121.
- Lunsford BR, Perry J : The Standing Heel-Rise Test for Ankle Plantar Flexion : Criterion for Normal. Physical Therapy 1995 ; 8 : 694-698.
PRATIQUE DU MÉDECIN DE FAMILLE 2016 ; 11(3) : 26-31