Il y a des zones de la peau que l’on néglige parfois un peu dans la pratique quotidienne. Il s’agit notamment de la muqueuse orale et des lésions de la région anogénitale. Dans ce dernier cas en particulier, les patients ne se présentent que tardivement, par honte.
Le PD Dr Antonio Cozzio, médecin-chef de la clinique de dermatologie, vénérologie et allergologie de l’hôpital cantonal de Saint-Gall, a d’abord présenté quelques modifications de la peau (muqueuse) qui sont normalement inoffensives. Un exemple est ce que l’on appelle la lingua plicata (ou scrotalis). Cette augmentation de l’épaisseur de la langue est généralement asymptomatique et doit être considérée comme un résultat normal et inoffensif. Cependant, il existe parfois une association avec d’autres syndromes : si l’on trouve en plus un gonflement des lèvres qui augmente lentement au fil des semaines et des mois et qui ne rémissionne pas spontanément, parfois même en prenant des formes grotesques, on parle de chéilite granulomateuse qui, avec la lingua scrotalis et une parésie faciale, forme le syndrome de Melkersson-Rosenthal. La lingua plicata peut en outre faire partie intégrante d’une acromégalie, d’un syndrome de Down ou d’un syndrome de Sjögren.
Une autre affection de la langue, généralement tout à fait bénigne elle aussi, est la lingua geographica (synonyme d’exfoliatio areata linguae, “plaques migrantes”), dont l’aspect varie quotidiennement et qui touche souvent les enfants, les adolescents et les jeunes adultes. “Comme la langue est une partie du corps que beaucoup de gens regardent avec une attention extraordinaire, il peut même y avoir une carcinophobie en cas de modification de la langue”, a noté le conférencier. Si le patient présente d’autres symptômes, le diagnostic différentiel avec la maladie de Lyme II doit être posé en cas de plaques migrantes.
Modifications des lèvres
Les lèvres gercées avec des croûtes squameuses et des déchirures radiales correspondent généralement à une chéilite simple et sont dues à un effet de déshydratation (léchage des lèvres, en cas d’eczéma ou de psoriasis), à des insultes mécaniques (mastication des lèvres/cheilophagie), à des médicaments (par ex. en cas de traitement de l’acné par des rétinoïdes) ou à des toxines de contact (allergiques ou toxiques). Il convient de noter que la pasta cerata, qui est souvent utilisée comme baume à lèvres, contient également de la lanoline, un composant qui fait partie des allergènes de contact les plus courants.
Il faut distinguer la cheilite actinique, qui peut être divisée en une forme aiguë et une forme chronique. Un photo-traumatisme aigu (appelé “brûlure du glacier” ou “chéilite estivale”) ou une réaction phototoxique/allergique peuvent être à l’origine d’une chéilite actinique aiguë. En revanche, dans le cas d’une évolution plus longue, il s’agit d’une atteinte chronique de la lèvre inférieure par les UV, qui touche principalement les hommes exerçant des professions en plein air et qui fait apparaître des modifications semblables à celles d’une leucoplasie. Il ne faut pas minimiser cette forme. Il faut penser à un éventuel carcinome épidermoïde et procéder à une exclusion histologique. La plupart du temps, le traitement est chirurgical, car la pénétration dans les vaisseaux lymphatiques est plus rapide que pour des lésions similaires au niveau de la peau. En cas d’approche conservatrice, le suivi doit être d’autant plus minutieux.
La chéilite angulaire (eczéma marginal des lèvres) est souvent d’origine locale et associée à une sialorrhée, une dentition artificielle/une fermeture de la bouche perturbée (par exemple par des plis aux coins de la bouche, appelés “plis de la marionnette”), mais aussi à des facteurs microbiens et autres comme la malalimentation (carence en fer, carence en vitamine B). Dans ce cas, il est utile d’essayer une pâte de zinc la nuit et une crème désinfectante le jour, et de rechercher la cause correspondante. Le diagnostic différentiel ne doit pas être oublié – comme c’est souvent le cas – la syphilis, qui peut être une cause systémique, en particulier en cas de chéilite angulaire unilatérale. “De toute façon, un ulcère d’origine indéterminée doit toujours nous faire penser à la lèse. Un test est indiqué. Le TPPA est le test de recherche le plus approprié. S’il est positif, un test d’activité doit être commandé ou effectué directement par le laboratoire”, explique le Dr Cozzio.
Là encore, les glandes sébacées ectopiques, qui peuvent se manifester par exemple par voie orale ou génitale, sont totalement inoffensives et ne nécessitent pas de traitement (synonyme : état de Fordyce). Il s’agit de nodules de la taille d’une épingle, de couleur blanc-jaune, disséminés dans la région du bord des joues ou des lèvres. Un début à la puberté et une régression à la ménopause sont fréquents.
Les ulcérations orales constituent un autre symptôme majeur. En cas de persistance, celles-ci doivent être analysées par biopsie. En cas de processus érosifs des muqueuses de la peau, il convient également d’envisager et de rechercher activement des maladies telles que la maladie de Behçet, le lupus chronique discoïde, les maladies auto-immunes bulleuses de la peau que sont le pemphigus et la pemphigoïde, ainsi que le lichen rugueux et le carcinome épidermoïde oral.
Maladie d’Adamantiades-Behçet et lupus cutané
Typiquement, la maladie de Behçet se manifeste par plusieurs des symptômes suivants :
- Aphtose bipolaire (aphtes ulcéreux de la cavité buccale, ulcères aphteux de l’appareil génital)
- Uvéite/iridocyclite (hypopyon)
- Modifications cutanées, par ex. acnéiforme, folliculites, pustules, érythème noueux, thrombophlébites, phénomène de pathergie
- Modifications vasculaires telles que vascularite, phlébothrombose
- Arthralgies
- Atteinte du système nerveux central et gastro-intestinale.
En cas d’ulcères buccaux et d’alopécie cicatrisante, il faut penser à un lupus érythémateux cutané chronique (LE), pour lequel une mesure thérapeutique et préventive très importante est la photoprotection systématique. En cas de LE chronique discoïde, les corticostéroïdes suivis des inhibiteurs de la calcineurine entrent en ligne de compte par voie topique, tandis que l’hydroxychloroquine, le méthotrexate et éventuellement le mycophénolate mofétil sont des traitements systémiques de choix. Chez les fumeurs, l’effet de l’hydroxychloroquine est fortement réduit, c’est pourquoi il faut s’efforcer d’arrêter de fumer.
Balanite et dermatite périanale
Le traitement initial d’une balanite banale peut d’abord comporter des bains oscillants avec une solution de Bétadine® (solution brun clair) une à deux fois par jour et une crème antifongique locale (mais pas la crème Imazol® en raison du risque rare de nécrose). Un contrôle dans deux à trois semaines permettra de savoir si le traitement a fonctionné. Si ce n’est pas le cas, c’est au plus tard à ce moment-là qu’il faut rechercher les diagnostics différentiels et éventuellement envisager une biopsie et d’autres investigations.
L’un de ces diagnostics différentiels est la balanite circinée, qui survient dans le cadre d’une arthrite réactionnelle (anciennement maladie de Reiter). Cette maladie se caractérise par la triade de symptômes post-infectieux (dysentérique, urétral) :
- Arthrite
- Uréthrite
- Conjonctivite
Les dermatoses psoriasiformes concomitantes sont fréquentes. Les jeunes hommes sont concernés dans plus de 90% des cas.
Dans la région anale, la dermatite périanale doit être considérée en premier lieu comme une dermatite toxique cumulative périanale, qui est la cause la plus fréquente d’eczéma anal (plus de 50%). L’eczéma allergique de contact est également très fréquent. Il n’est pas rare qu’une allergie de contact survienne en plus sur le terrain d’une lésion irritative chronique. Ainsi, 25 à 78% des patients atteints de dermatite périanale présentent un patch-test positif. En outre, il faut également tenir compte des causes de la dermatite atopique ou séborrhéique, qui ne sont pas rares non plus.
L’approche de la dermatite périanale prurigineuse érythémateuse, souvent relativement monomorphe, est basée sur l’anamnèse. En ce qui concerne les dommages toxiques cumulatifs, il faut envisager les causes de la lubrification des selles ainsi qu’une origine bactérienne et mycologique supplémentaire (éventuellement recherche d’oxyures). Un premier traitement pragmatique peut consister en un traitement d’assèchement avec de la pâte de zinc, de l’éosine aqueuse 0,5-2%, de la Solutio Castellani sine colore et éventuellement de la crème en pâte Imazol®. En cas de résistance au traitement, des examens complémentaires tels qu’un bilan proctologique, des tests épicutanés ou une biopsie doivent être évalués.
Source : Rheuma Top, 24 août 2017, Pfäffikon SZ
PRATIQUE DU MÉDECIN DE FAMILLE 2017 ; 12(9) : 38-40
DERMATOLOGIE PRATIQUE 2017 ; 27(5) : 37-38