Il semble risqué de poursuivre une hormonothérapie post-ménopausique ou une contraception hormonale chez les femmes sous anticoagulation. En effet, les préparations contenant des hormones augmentent le risque de thromboembolie veineuse, risque que l’on cherche à réduire avec les anticoagulants. Mais ces inquiétudes sont-elles réellement fondées sur des données solides ? Une étude internationale récemment publiée laisse planer un doute à ce sujet. De même, les anticoagulants sont utilisés avec beaucoup de prudence (voire pas du tout) en cas d’hémorragie intracérébrale associée à l’anticoagulation ayant déjà eu lieu. La pratique est-elle justifiée ici ?
Les antagonistes de la vitamine K (AVK) tels que Marcoumar peuvent être associés à des malformations congénitales de l’embryon et ne doivent donc pas être utilisés pendant la grossesse. Chez les femmes en âge de procréer, des mesures de prévention de la grossesse sont nécessaires pendant le traitement anticoagulant pour les mêmes raisons. Cependant, selon les lignes directrices de l’OMS, les femmes sous anticoagulation devraient éviter les contraceptifs contenant des œstrogènes, car ils sont considérés comme un “risque inacceptable pour la santé” en raison du taux accru de thromboembolies veineuses (TEV). Cependant, des données solides démontrant une association entre le traitement hormonal (en particulier les œstrogènes) et les TEV récidivantes chez les patientes anticoagulées font défaut. Les recommandations se basent plutôt sur le lien connu entre la TEV et l’hormonothérapie chez les patientes non anticoagulées.
L’étude initiée pour ces raisons [1] a analysé les données des patients issues de la DVT et de l’EP d’EINSTEIN. Il s’agit d’études sur la sécurité et l’efficacité du rivaroxaban (inhibiteur oral du facteur Xa) par rapport à l’énoxaparine, une héparine de bas poids moléculaire, suivies de l’administration d’un AVK chez des personnes ayant subi un événement thromboembolique. Martinelli et ses collègues ont relevé l’incidence ou la récurrence de la TEV ainsi que les saignements utérins anormaux chez un total de 1 888 participantes de moins de 60 ans sous anticoagulant – une partie de ces femmes étaient sous traitement hormonal concomitant avec des préparations à base d’œstrogènes purs, des contraceptifs combinés œstrogènes-progestatifs ou des contraceptifs progestatifs purs. Comme contraceptifs, les femmes avaient utilisé des pilules, des patchs, des anneaux vaginaux, des seringues, des implants et des stérilets.
Risque de thrombose non augmenté
L’incidence de la TEV sous hormonothérapie (n=475) était de 3,7% par an. En l’absence d’hormonothérapie, elle était de 4,7%/an. Cela correspond à un ratio de risque de TEV récidivante de 0,56 (IC à 95% : 0,23-1,39). Le taux était de 3,8% sous traitement exclusivement progestatif et de 3,7% sous traitement œstrogénique.
Les saignements utérins anormaux étaient étonnamment plus fréquents avec le rivaroxaban qu’avec l’énoxaparine/VKA (HR 2,13 ; IC à 95% 1,57-2,89). Le rapport de risque global pour les saignements utérins anormaux avec vs. sans hormonothérapie était de 1,02 (IC à 95% : 0,66-1,57).
Les auteurs concluent que, contrairement à ce que l’on pensait, les traitements hormonaux contenant des œstrogènes ou uniquement des progestatifs chez les femmes sous anticoagulation n’étaient pas associés à un risque accru de TEV récidivante. L’augmentation du taux de saignements utérins sous rivaroxaban doit encore être étudiée plus en détail.
Ne pas tirer de conclusions erronées
Il est bien sûr trop réducteur de dire que l’utilisation d’hormones sous anticoagulation peut désormais être considérée comme inoffensive sur la base de cette étude. Les résultats de l’étude ne sont pas une surprise, mais ils confirment que les dommages causés par ce traitement supplémentaire sont limités. L’objectif d’un traitement présentant le moins de risques possible reste inchangé. Une possibilité de réduire les saignements est par exemple la monothérapie progestative avec un stérilet hormonal qui agit principalement localement et en même temps de manière atrophique sur la muqueuse utérine. En cas de substitution d’œstrogènes, il convient de privilégier les méthodes transdermiques (plutôt que les méthodes orales).
Reprise d’un traitement anticoagulant après une hémorragie cérébrale
La prise en charge des hémorragies intracérébrales sous anticoagulation reste un défi – malgré l’approbation par l’UE du premier antidote DOAK spécifique, l’idarucizumab, au
novembre 2015 [2]. La question de savoir si l’anticoagulation doit être reprise ultérieurement reste également un sujet de discussion – les études sont incohérentes [3,4]. Une étude de cohorte multicentrique rétrospective allemande appelée RETRACE [5] s’est penchée sur cette question. Au total, les données à long terme de 1176 patients présentant une hémorragie intracérébrale spontanée liée à l’anticoagulation ont été évaluées. Seuls les VKA ont été utilisés pour les OAK.
853 patients ont été examinés pour détecter une éventuelle croissance de l’hématome, qui s’est produite chez 36% d’entre eux. La croissance de l’hématome était significativement moins fréquente lorsque l’INR était normalisé dans les quatre heures (19,8% pour l’INR <1,3 vs. 41,5% pour un INR ≥1,3, p<0,001) et la pression artérielle systolique dans le même temps <160 mmHg (33,1 % pour les patients ayant un diabète de type 2). <160 mmHg vs. 52,4% à ≥160 mmHg, p<0,001). Un INR <1,3 et une pression artérielle systolique <160 mmHg en quatre heures réduisait ainsi significativement le risque de croissance de l’hématome de 72% (OR 0,28 ; IC 95% 0,19-0,42, p<0,001) et le risque de décès à l’hôpital de 40% également significatif (OR 0,60 ; IC à 95% 0,37-0,95, p=0,03).
Risque de mortalité réduit avec les ACO
Une reprise de l’anticoagulation orale a été envisagée chez 719 survivants et finalement effectivement réalisée chez 172 d’entre eux (après un délai médian de 31 jours). L’indication était dans la plupart des cas la fibrillation auriculaire. Par rapport aux survivants non anticoagulés, les patients à nouveau anticoagulés ont présenté significativement moins de complications ischémiques (5,2% vs 15%, p<0,001) et étonnamment pas plus de complications hémorragiques (8,1% vs 6,6%, p=0,48).
L’analyse de survie a montré un avantage pour les patients atteints d’HVF qui ont repris un traitement anticoagulant après une hémorragie : Le risque de mortalité à long terme à un an a été réduit de manière significative de 97,5% (HR 0,258 ; IC à 95% 0,125-0,534 ; p<0,001). Dans le groupe anticoagulant, 8,3% des patients sont décédés, contre 30,7% dans le bras comparateur.
Cependant, 786 (72,6%) des 1083 patients analysés ont présenté un mauvais résultat fonctionnel à long terme.
Impact sur la pratique
Les données sont prometteuses et pourraient changer la pratique si elles sont à nouveau confirmées dans des études prospectives. Nous verrons alors comment les DOAK s’en sortent dans ce contexte. En principe, on peut s’attendre à ce que le faible taux d’hémorragies intracérébrales avec les AOD (par rapport aux AVK) se traduise par un avantage encore plus net des AOD par rapport à la non-anticoagulation. Toutefois, l’absence d’antidote spécifique aux DOAK a constitué jusqu’à récemment un inconvénient majeur, car la présente étude a montré qu’une normalisation rapide de la coagulation à la phase précoce permet de réduire l’augmentation des saignements et de diminuer la mortalité à l’hôpital. Avec l’idarucizumab, un antidote spécifique est désormais dans les starting-blocks pour la première fois en Suisse.
Littérature :
- Martinelli I, et al : Thromboembolie veineuse récurrente et saignement utérin anormal avec utilisation d’anticoagulants et d’hormonothérapie. Blood 2015 Dec 22. pii : blood-2015-08-665927 [Epub ahead of print].
- Pollack CV, et al : Idarucizumab pour l’inversion du dabigatran. N Engl J Med 2015 Aug 6 ; 373(6) : 511-520.
- Poli D, et al : Récurrence de l’HIC après la reprise de l’anticoagulation avec des antagonistes des VK : étude CHIRONE. Neurology 2014 Mar 25 ; 82(12) : 1020-1026.
- Yung D, et al : Reinitiation of anticoagulation after warfarin-associated intracranial hemorrhage and mortality risk : the Best Practice for Reinitiating Anticoagulation Therapy After Intracranial Bleeding (BRAIN) study. Can J Cardiol 2012 Jan-Feb ; 28(1) : 33-39.
- Kuramatsu JB, et al. : Anticoagulant Reversal, Blood Pressure Levels, and Anticoagulant Resumption in Patients With Anticoagulation-Related Intracerebral Hemorrhage. JAMA 2015 ; 313(8) : 824-836.
PRATIQUE DU MÉDECIN DE FAMILLE 2016 ; 11(4) : 3-4