Il y a un peu plus d’un an, une déclaration de consensus de deux sociétés européennes a ébranlé la position de la mesure des lipides à jeun. Les inquiétudes concernant le dosage des lipides lorsque l’on n’est pas à jeun semblent largement infondées.
Il y a un peu plus d’un an, la déclaration de consensus de deux sociétés européennes (EAS/EFLM) [1] a sérieusement ébranlé le “Saint Graal” de la mesure des lipides à jeun. Message de base : les inquiétudes concernant le dosage des lipides à jeun sont largement infondées. Selon les auteurs, les données d’études récentes de registres et de cohortes montrent que la prise préalable de nourriture n’a qu’une influence limitée sur le profil lipidique et n’est généralement pas significative sur le plan clinique. Cela a également été démontré pour des mesures à jeun et non à jeun sur les mêmes patients. De plus, les taux de lipides mesurés hors jeûne semblent refléter aussi bien, voire mieux, le risque cardiovasculaire : Une analyse prospective menée dans le cadre de la Women’s Health Study, avec un suivi médian de plus de 11 ans, montre que les taux de triglycérides sont les plus fortement associés aux événements cardiovasculaires deux à quatre heures après le repas, tandis que l’association devient de plus en plus faible avec une privation alimentaire prolongée [2].
Les patients et les médecins devraient se réjouir de ces nouvelles recommandations, car elles facilitent considérablement la mesure. “Arnold von Eckardstein, Hôpital universitaire de Zurich. “Je pense ici, par exemple, aux diabétiques”. La mesure des lipides ne doit pas nécessairement être effectuée le matin et surtout pas lors d’un rendez-vous séparé et suivant, ce qui permet de gagner du temps (notamment pour la prise de décision médicale) et d’améliorer l’observance des patients.
Alors que la mesure des lipides à jeun n’est donc plus indiquée pour la grande majorité des patients (vue d’ensemble 1), elle ne peut cependant pas être complètement abandonnée. Si l’on suit le document, les deux méthodes de mesure se complètent au lieu de s’exclure mutuellement. Par exemple, un prélèvement à jeun est tout à fait justifié dans les cas suivants
- taux de triglycérides non à jeun >5 mmol/l (440 mg/dl)
- hypertriglycéridémie connue, suivie d’un transfert vers une clinique des lipides
- Récupération après une pancréatite induite par l’hypertriglycéridémie
- traitement prévu avec des médicaments susceptibles de provoquer une hypertriglycéridémie sévère
- d’autres tests sanguins qui doivent être effectués à jeun, par ex. la détermination de la glycémie à jeun.
Valeurs limites
Le consensus EAS/EFLM recommande également de se baser sur les valeurs cibles des lignes directrices actuelles plutôt que sur les valeurs de référence traditionnelles des laboratoires, c’est-à-dire que pour les profils mesurés hors jeûne, les valeurs limites suivantes sont considérées comme anormalement élevées :
- Triglycérides : ≥2 mmol/l
- Cholestérol total : ≥5 mmol/l
- Cholestérol HDL : ≤1 mmol/l
- Cholestérol LDL : ≥3 mmol/l
- Cholestérol non-HDL : ≥3,9 mmol/l
Par rapport à la valeur à jeun, la limite pour les triglycérides a été augmentée de 0,3 mmol/l (sur la base de l’écart moyen observé dans les études avec des valeurs mesurées hors jeûne).
Selon le document, il est nécessaire d’orienter le patient vers un spécialiste lorsque les valeurs mesurées sont extrêmes, c’est-à-dire par exemple lorsque les triglycérides sont ≥10 mmol/l, le LDL-C ≥13 mmol/l ou la Lp(a) ≥150 mg/dl.
L’aperçu 2 résume à nouveau les principales conclusions du consensus.
Utilisation de différents paramètres lipidiques
Selon leur objectif (dépistage, diagnostic, surveillance des risques, objectifs de traitement), les différents paramètres lipidiques sont plus ou moins adaptés [3].
Si l’on veut évaluer le risque cardiovasculaire général, il est recommandé d’utiliser en premier lieu le cholestérol LDL. De même, le cholestérol total et le cholestérol HDL devraient être utilisés (“fortement recommandé”), ainsi que les triglycérides et le cholestérol non-HDL (“recommandé”). Le ratio TC/HDL-C est déconseillé. ApoB mérite d’être pris en considération. Une analyse
de la lipoprotéine(a) peut être utile dans les groupes à risque.
Le cholestérol total est insuffisant pour le diagnostic et la stratification. Le LDL-C est également recommandé en premier lieu, ainsi que le HDL-C, les triglycérides et le non-HDL-C (“recommandé”). On peut également tenir compte de l’ApoB et, dans les groupes à risque, de la lipoprotéine(a).
Pour la vérification du traitement ou pour les objectifs du traitement, on n’a en fait besoin que du LDL-C. Si celui-ci n’est pas disponible, le cholestérol total peut également servir de paramètre lipidique de substitution. Le HDL-C ou le ratio TC/HDL-C ou ApoB/ApoA-I ne sont pas recommandés. On peut prendre en compte les non-HDL-C et l’ApoB, ainsi que les triglycérides en cas d’hypertriglycéridémie (HTG, tab. 1).
Hypertriglycéridémie
“En cas d’hypertriglycéridémie, il faut d’abord penser aux causes secondaires”, a déclaré le professeur Nicolas Rodondi, Hôpital de l’Île, Berne. “Il s’agit notamment de la consommation d’alcool, du diabète, de l’obésité et de l’insuffisance rénale chronique. En ce qui concerne la médication, les œstrogènes, les thiazides, les bêtabloquants ou les corticostéroïdes, par exemple, doivent être examinés”.
L’hypertriglycéridémie est responsable d’environ un dixième des cas de pancréatite aiguë, l’alcool et la lithiase biliaire étant des facteurs déclenchants bien plus importants (plus de 80%). La présence simultanée de deux facteurs prédisposants chez un même individu peut conduire à une confusion étiologique. Il n’existe pas de seuil spécifique de triglycérides dans ce contexte, mais en général, des concentrations d’au moins 10 mmol/l sont associées à un risque accru (arbitraire). Toutefois, seul un cinquième environ des personnes présentant de tels niveaux développent une pancréatite. En outre, elle peut tout à fait survenir même si les valeurs sont plus basses (moins de 5-10 mmol/l), comme l’a montré une étude récente [4].
Il ne faut pas non plus oublier le risque cardiovasculaire que peut entraîner l’hypertriglycéridémie (en particulier chez les femmes) [5]. Comme nous l’avons mentionné, le profil lipidique hors jeûne semble mieux refléter le risque cardiovasculaire à cet égard que le profil à jeun [2]. Les lignes directrices ESC/EAS reconnaissent l’hypertriglycéridémie comme un facteur de risque indépendant significatif (mais l’association est plus faible que pour l’hypercholestérolémie). Le risque est particulièrement associé aux hypertriglycéridémies modérées, plus encore qu’aux formes sévères avec plus de 10 mmol/l. Les hypertriglycéridémies modérées sont plus fréquentes que les formes sévères. Malheureusement, les preuves sont insuffisantes pour déduire des valeurs cibles concrètes pour les triglycérides.
En ce qui concerne la gestion, les approches non médicamenteuses sont au premier plan, y compris les classiques :
- Réduction de la consommation d’alcool
- Recommandations diététiques
- Activité physique quotidienne
- Réduction ou au moins stabilisation du poids.
Lorsque les valeurs sont inférieures à 5,5 mmol/l, l’efficacité des interventions médicamenteuses en termes d’événements cardiovasculaires n’est pas claire. En cas de valeurs plus élevées, les mesures mentionnées ci-dessus (en cas d’urgence, un régime pauvre en graisses ne dépassant pas 15% des calories totales) et les fibrates sont utilisés, si nécessaire, pour prévenir une pancréatite aiguë. Une dyslipidémie familiale doit être exclue.
Source : Congrès annuel de la SSC/SGHC, 7-9 juin 2017, Baden
Littérature :
- Nordestgaard BG, et al : Le jeûne n’est pas systématiquement requis pour déterminer un profil lipidique : implications cliniques et de laboratoire, y compris le drapeau aux points de coupure de concentration souhaitables – une déclaration de consensus conjointe de la Société européenne d’athérosclérose et de la Fédération européenne de chimie clinique et de médecine de laboratoire. Eur Heart J 2016 ; 37(25) : 1944-1958.
- Bansal S, et al : Fasting compared with nonfasting triglycerides and risk of cardiovascular events in women. JAMA 2007 ; 298(3) : 309-316.
- Catapano AL, et al : 2016 ESC/EAS Guidelines for the Management of Dyslipidaemias. Eur Heart J 2016 ; 37(39) : 2999-3058.
- Pedersen SB, Langsted A, Nordestgaard BG : Nonfasting Mild-to-Moderate Hypertriglyceridemia and Risk of Acute Pancreatitis. JAMA Intern Med 2016 ; 176(12) : 1834-1842.
- Nordestgaard BG, et al : Nonfasting triglycerides and risk of myocardial infarction, ischemic heart disease, and death in men and women. JAMA 2007 ; 298(3) : 299-308.
PRATIQUE DU MÉDECIN DE FAMILLE 2017 ; 12(7) : 30-32
CARDIOVASC 2017 ; 16(4) : 38-40