Les techniques chirurgicales utilisées pour soigner une artériopathie périphérique (AOP) sont la thrombendartériectomie et le pontage. Quelle procédure est utilisée et quand, comment se déroule l’opération et à quoi faut-il faire attention ?
L’artériopathie oblitérante périphérique (AOP) est une maladie systémique qui entraîne un remodelage structurel et fonctionnel des vaisseaux artériels [1]. Il en résulte une diminution du flux sanguin qui peut être asymptomatique pendant une longue période ou se manifester par des symptômes tels qu’une claudication intermittente, des douleurs ischémiques au repos ou une gangrène. Le corrélat physiopathologique de l’AOP est l’athérosclérose, une inflammation chronique de la paroi vasculaire dans laquelle une plaque composée de lipides, de cellules musculaires lisses et de macrophages se dépose au niveau sous-endothélial. Par la suite, cette plaque peut entraîner une sténose de la lumière vasculaire ou induire la formation d’un thrombus local via une rupture [2].
Comme il s’agit d’une maladie systémique, l’AOP est souvent associée à une maladie coronarienne (MC) et à une maladie cérébrovasculaire (MCV). Une diminution de l’indice brachial de la cheville (ABI) est associée à une augmentation de la mortalité cardiovasculaire [3]. La prévalence de l’AOP est estimée à 7-15% [4,5]. L’abus de nicotine, le diabète sucré, l’hypertension artérielle et l’hypercholestérolémie sont les facteurs de risque les plus pertinents [6].
La classification de Fontaine a fait ses preuves dans la pratique clinique quotidienne. Sur la base des symptômes et de la mesure de l’ABI et de l’oscillographie, on distingue quatre stades. Au stade I (asymptomatique, statut après revascularisation interventionnelle ou chirurgicale) et II (claudication intermittente), il s’agit d’une situation non critique. En revanche, aux stades III (douleurs au repos) et IV (gangrène), il existe un trouble critique de la perfusion qui, s’il n’est pas traité, peut entraîner la perte du membre.
Diagnostic
L’anamnèse porte sur la distance de marche sans douleur ainsi que sur les éventuels facteurs de risque et facteurs associés. En outre, le type, la localisation et le moment de la douleur (douleurs nocturnes au repos ?) sont demandés. L’examen clinique permet d’évaluer l’état du pouls ipsi et controlatéral, la sensori-motricité, la coloration de la peau et les lésions (acrales). L’ABI, la mesure de la pression d’occlusion et l’oscillographie permettent d’une part de confirmer le diagnostic de suspicion et d’autre part de classer les troubles de la perfusion en troubles non critiques et critiques. Enfin, l’échographie duplex permet de localiser précisément la sténose et d’en évaluer l’étendue et le degré. En complément, l’angiographie sert à confirmer les résultats du duplex et à évaluer les vaisseaux en amont et en aval en vue d’une réhabilitation par cathétérisme ou par chirurgie.
Réhabilitation endovasculaire ou chirurgicale ?
Au stade non critique, le traitement consiste en une modification du profil de risque (arrêt du tabac, contrôle du diabète), un traitement médicamenteux dans l’esprit du “best medical treatment” (inhibition de l’agrégation plaquettaire et stabilisation de la plaque) et un entraînement à la marche supervisé. La décision d’une réhabilitation chirurgicale ou endovasculaire est prise en fonction des symptômes, de la localisation anatomique, de l’étendue de la lésion et de l’état général du patient. Aucune intervention invasive ne doit être réalisée chez les patients asymptomatiques ou présentant des symptômes de claudication peu importants. Une intervention percutanée ou chirurgicale est indiquée en cas de
- Symptômes de claudication avec une nette diminution de la qualité de vie,
- ischémie critique avec menace de perte d’un membre,
- d’une revascularisation chirurgicale antérieure et d’une sténose et/ou d’une occlusion nouvellement apparue dans la zone opérée ainsi que dans les vaisseaux en amont et en aval.
La décision thérapeutique doit être prise dans le cadre d’une discussion interdisciplinaire entre les disciplines traitantes que sont l’angiologie, la radiologie interventionnelle et la chirurgie vasculaire. La base de décision est la classification TASC [7]. La “règle générale” est que les lésions de type A et B doivent être réhabilitées en premier lieu par voie endovasculaire et les lésions de type C et D en premier lieu par voie chirurgicale (Fig. 1). Les critères supplémentaires sont l’âge et les comorbidités du patient, ainsi que la présence d’une veine de bonne qualité pour un pontage. Le tableau 1 résume la procédure recommandée dans les lignes directrices de l’ESC.
En cas de sténose symptomatique isolée de la bifurcation fémorale, qui se présente souvent sous la forme de douleurs claudicantes, le traitement endovasculaire n’a que peu d’intérêt, car le résultat est nettement meilleur après une réhabilitation chirurgicale. En présence d’une occlusion iliaque supplémentaire, la bifurcation fémorale est réhabilitée par chirurgie ouverte dans le cadre d’une procédure hybride et une recanalisation endovasculaire de l’axe iliaque est réalisée par voie rétrograde.
La thrombendartériectomie et la mise en place d’un pontage ou la combinaison des deux interventions sont les procédures chirurgicales pour assainir l’AOP.
Thrombendartériectomie (TEA)
La localisation typique est la bifurcation fémorale. Souvent, l’artère fémorale commune (AFC) ainsi que la sortie de l’artère fémorale profonde (APF) et de l’artère fémorale superficielle (AFS) sont toutes deux touchées. Après un accès longitudinal légèrement incurvé, l’axe vasculaire est préparé en mobilisant le paquet de ganglions lymphatiques en direction médiale. L’AFC est ouverte longitudinalement et l’incision est guidée jusqu’à l’AFP si nécessaire. L’endartériectomie qui suit permet de retirer la plaque d’athérosclérose et de ne conserver que l’adventice comme paroi vasculaire. Un étage intima-média se formant en distal est fixé par une suture afin d’éviter une dissection après la libération du flux sanguin. La fermeture de l’artériotomie longitudinale s’effectue avec l’insertion d’un patch afin d’éviter la sténose par une suture directe. Si une TEA est nécessaire à la fois pour le départ APF et AFS, une transposition de la fourchette fémorale peut être réalisée si l’anatomie est favorable. Dans la même séance, les sténoses hémodynamiquement importantes des vaisseaux in- et out-flow sont réhabilitées de manière rétrograde (axe iliaque) ou antégrade (axe fémoro-poplité) par voie inguinale à l’aide d’une PTA ou d’un stent.
Opération de pontage
Le pontage est, à quelques exceptions près, réservé aux patients souffrant d’une AOP de stade III et IV et constitue le traitement de choix pour les occlusions de longue durée, fémoropoplitées et infragéniculaires. Les étapes suivantes font partie de la réalisation d’une opération de pontage :
Imagerie préopératoire : une angiographie (conventionnelle, TDM ou IRM) doit être disponible pour évaluer les vaisseaux en entrée et en sortie et pour planifier l’anastomose proximale et distale. La localisation la plus fréquente de l’anastomose proximale du pontage fémoropoplité est l’AFC. Si l’anastomose est réalisée en position distale par rapport au tronc tibio-fibulaire, la connexion se fait sur le meilleur “support de pied”. Cela signifie que l’on décide, sur la base de l’imagerie préopératoire, quelle artère jambière s’étend jusqu’au pied sans sténose ou occlusion significative. En conséquence, un accès médial ou latéral est réalisé au niveau de la jambe.
Planification du matériel de pontage : Le conduit de choix est la veine grande saphène autologue ipsilatérale (VSM). Si son calibre est trop faible ou si elle a déjà été utilisée pour une autre intervention, la VSM controlatérale, la veine saphène parvienne (VSP) ou les veines du bras peuvent être utilisées comme alternatives. Si nécessaire, plusieurs segments veineux peuvent être assemblés pour former un pontage composite. Dans le cas d’un pontage fémoropoplité avec connexion supragéniculée sur le segment P1, l’utilisation d’une prothèse est recommandée en l’absence de VSM [10]. Si la prothèse est le seul matériau de pontage possible et que la connexion est infragéniculaire, un court segment de veine doit être interposé sous forme de patch ou de ballonnet au niveau de l’anastomose distale afin d’améliorer le taux d’ouverture [11] (Fig. 2 et 3).
Prélèvement de la veine : en préopératoire, le trajet de la veine est marqué par échographie. S’il s’agit d’une VSM ipsilatérale, l’incision pour le prélèvement de la veine permet également d’accéder au segment poplité supra- ou infragéniculaire pour l’anastomose.
“inversé” vs “non inversé” : Si l’on décide d’utiliser la veine “inversée”, le segment prélevé est tourné et l’ouverture de la valve se fait désormais dans le sens du flux artériel. L’avantage est qu’il n’est pas nécessaire de réséquer les valves veineuses. En revanche, l’inconvénient est qu’une extrémité veineuse distale plus étroite est anastomosée sur l’artère proximale de gros calibre et vice versa.
Si l’on opte pour un pontage “non-reversed”, les valves sont valvulotomisées après le prélèvement de la veine. Cela peut être fait par angioscopie pour évaluer simultanément la veine par voie endoluminale (accumulation de thrombus, sclérose de la paroi).
Le pontage in situ est une situation particulière. Ici, la VSM est laissée dans sa duplication fasciale et les branches latérales marquées en préopératoire sont ligaturées par de petites incisions. Les extrémités proximale et distale de la veine sont mobilisées suffisamment loin pour la connexion artérielle. Dans ce cas également, une valvulotomie est nécessaire.
Dans la littérature, aucune des techniques décrites n’a de préférence claire. Dans notre établissement, le pontage est généralement réalisé selon la technique “non inversée” après une valvulotomie préalable contrôlée par angioscopie le long de l’axe du vaisseau.
Trajet du pontage : on distingue le trajet anatomique (orthotopique) du trajet extra-anatomique du pontage. Le pontage fémoropoplité doit, si possible, être orthotopique sur l’axe du vaisseau natif. Il est important d’éviter la torsion ou le kinking de la veine distale. Les pontages extra-anatomiques sont souvent sous-cutanés et éloignés de l’axe du vaisseau proprement dit. Le pontage axillo-fémoral ou le pontage croisé en cas de processus d’occlusion aorto-iliaque en sont des exemples. Il s’agit généralement de patients présentant un risque périopératoire élevé, une situation infectieuse non assainie sur le trajet de l’axe vasculaire ou de multiples opérations antérieures.
Anastomoses : typiquement, les anastomoses proximale et distale sont créées dans une configuration bout à bout (E/S). Dans ce cas, l’extrémité de la veine est cousue dans l’artère artériotomisée longitudinalement. L’avantage est de continuer à maintenir une perfusion antérograde et rétrograde des collatérales proximales et distales.
Contrôle du pontage : le contrôle peropératoire du pontage est effectué d’une part à l’aide de l’appareil Doppler et d’autre part par angiographie pour évaluer les anastomoses ainsi que le tracé du pontage et la situation de run-off au niveau de la jambe. L’angiographie n’est pas la norme dans toutes les cliniques (Fig. 4).
Prise en charge postopératoire : le contrôle postopératoire du pontage se fait par échographie duplex à trois, six et douze mois, ou annuellement si le pontage fonctionne bien. En ce qui concerne l’inhibition des plaquettes et l’anticoagulation orale après un pontage, il existe différentes approches thérapeutiques. L’étude hollandaise BOA a montré qu’il n’y avait pas de différence significative entre l’aspirine® et le Marcoumar® en ce qui concerne le taux d’ouverture des pontages infragéniculaires. Cependant, dans une analyse de sous-groupe, les patients porteurs d’un conduit veineux ont montré un meilleur taux d’ouverture sous anticoagulation orale, tandis que les patients porteurs de pontages prothétiques ont montré un meilleur résultat sous traitement antiagrégant plaquettaire [12].
Dans notre clinique, les patients ayant subi un pontage distal jusqu’au tronc tibiofibulaire inclus reçoivent généralement de l’aspirine®, à moins qu’ils ne soient déjà sous anticoagulation orale pour une autre indication. En cas de mise en place d’un pontage veineux avec une connexion distale crurale ou pédale, les patients sont anticoagulés par voie orale. Tous les patients porteurs d’un pontage prothétique reçoivent de l’Aspirine® ou du Plavix®, en plus de l’anticoagulation préexistante, le cas échéant.
Messages Take-Home
- L’AOP est souvent associée à une maladie coronarienne et à une IVC. Une diminution de l’ABI est associée à une augmentation de la mortalité cardiovasculaire.
- Alors que les stades I et II représentent une situation non critique en termes de circulation sanguine, les stades III et IV peuvent entraîner la perte d’un membre s’ils ne sont pas traités.
- Le choix d’un traitement endovasculaire primaire ou d’un traitement chirurgical primaire dépend de la localisation et de l’étendue de la lésion, de l’état général, du risque périopératoire, de l’espérance de vie du patient et de la présence d’une veine de bonne qualité (pontage).
- Les techniques chirurgicales permettant d’assainir une AOP sont la thrombendartériectomie (TEA) et la mise en place d’un pontage en cas d’occlusion de longue durée et de situation critique en termes de circulation sanguine. Le cas échéant, les deux procédures sont combinées. Si nécessaire, une revascularisation par cathétérisme des vaisseaux en amont et en aval est effectuée au cours de la même séance.
- Les patients ayant subi un pontage veineux crural ou pédalier doivent recevoir un traitement anticoagulant oral en postopératoire, et les patients ayant subi un pontage prothétique doivent recevoir un traitement antiplaquettaire simple ou double.
Littérature :
- Donnelly R, Powell J : Épidémiologie et gestion des facteurs de risque de l’artériopathie périphérique. In : Chirurgie vasculaire et endovasculaire, 5e édition. Edimbourg : Saunders Elsevier, 2014 : 1-15.
- Owens C : Athérosclérose. In : Rutherford’s Vascular Surgery, Volume 1, 8e édition. Philadelphie : Saunders Elsevier 2014 : 66-77.
- McKenna M, Wolfson S, Kuller L : Le rapport de la pression artérielle de la cheville et du bras comme prédicteur indépendant de la mortalité. Atherosclerosis 1991 ; 87 : 119-128.
- Fowkes F, et al : Edinburgh Artery Study : Prevalence of asymptomatic and symptomatic peripheral arterial disease in the general population. Int J Epidemiol 1991 ; 20 : 384-392.
- Newman AB, et al : Ankle-arm index as a marker of atherosclerosis in the Cardiovascular Health Study. Groupe de recherche collaborative sur l’étude cardiovasculaire (CHS). Circulation 1993 ; 88 : 837-845.
- Bhatt DL, et al : Prévalence internationale, reconnaissance et traitement des facteurs de risque cardiovasculaire chez les patients en dehors de l’hôpital souffrant d’athérothrombose. JAMA 2006 ; 295 : 180-189.
- Norgren L, et al : Consensus inter-sociétés pour la prise en charge de l’artériopathie périphérique (TASC II). J Vasc Surg 2007 ; 45 : 5-67.
- Aboyans V, et al. : 2017 ECS Guidelines on the Diagnosis and Treatment of Peripheral Arterial Diseases, in collaboration with the European Society for Vascular Surgery (ESVS). European Heart Journal 2018 ; 39 : 763-816.
- Adam AJ, et al : Bypass versus angioplasty in severe ischaemia of the leg (BASIL) : multicentre, randomised controlled trial. Lancet 2005 ; 366 : 1925-1934.
- Klinkert P, et al : Veine saphène versus PTFE pour le pontage fémoro-poplité au-dessus du genou. Une revue de la littérature. Eur J Vasc Endovasc Surg 2004 ; 27 : 357-362.
- Griffiths GD, et al : Essai clinique randomisé de la poche veineuse d’interposition anastomotique distale dans le pontage polytétrafluoroéthylène infra-inguinal. Br J Surg 2004 ; 91 : 560-562.
- Dutch BOA trial : Efficacy of oral anticoagulants compared to aspirin after infrainguinal bypass surgery (The Dutch Bypass Oral Anticoagulants or Aspirin Study) : a randomised trial. Lancet 2000 ; 355 : 346-351.
CARDIOVASC 2018 ; 17(5) : 22-25