Le diagnostic des troubles bipolaires est complexe et généralement tardif. De nombreuses personnes bipolaires sont méconnues comme unipolaires-dépressives et ne sont traitées que par des antidépresseurs. Les principaux symptômes de la manie (humeur exaltée inadéquate, augmentation de la motivation, accélération de la pensée et surestimation de soi) doivent donc toujours être pris en compte et interrogés. Le traitement médicamenteux du trouble bipolaire (antipsychotiques atypiques, stabilisateurs de l’humeur, lithium et leurs combinaisons) est un défi, le réglage est généralement effectué par le spécialiste en psychiatrie. Les médecins généralistes ont l’avantage inestimable de connaître l’environnement familial, le parcours et malheureusement souvent les crises des personnes bipolaires concernées. Leur fonction dans le traitement à long terme et dans les contrôles médicamenteux est très importante.
Les troubles bipolaires sont fréquents et présentent un schéma évolutif varié, appelé spectre bipolaire. Il s’agit souvent d’une “montagne russe d’émotions” dont l’évolution est propre à chacun. Une fois plus dans le tunnel, plus “triste à mourir”, l’autre fois “exaltant le ciel” et au sommet du bonheur maniaque. Le ticket d’entrée est souvent un billet de famille avec des troubles affectifs et psychotiques fréquents chez les proches, ainsi que des suicides. Le taux de suicide est effroyablement élevé, de l’ordre de 15 à 20 %. Le billet est généralement acheté tôt dans la vie, souvent avant l’âge de 20 ans. L’éventail des conditions d’accompagnement est large et va des dépendances aux substances, de la panique, de l’anxiété aux obsessions et autres troubles psychiatriques. Du point de vue du diagnostic différentiel, il est difficile de distinguer les troubles de la personnalité du trouble du déficit de l’attention/hyperactivité (TDAH).
Spectre bipolaire
Le spectre bipolaire (Fig. 1) va des fluctuations de l’humeur qui dépassent la normale psychologique ou habituelle au trouble cyclothymique, qui est un trouble affectif chronique fluctuant avec des déviations vers une symptomatologie hypomaniaque ou subdépressive. En outre, le trouble bipolaire II se caractérise par la survenue d’épisodes dépressifs et d’au moins un épisode hypomaniaque. Le tableau complet représente le trouble bipolaire I, qui comprend la survenue d’épisodes maniaques ou mixtes et dépressifs à différents degrés (léger, modéré, sévère).
La classification de la gravité de la manie selon la CIM-10 est la suivante :
- Hypomanie = épisode léger ; CIM-10 : F30.0
- Manie sans symptômes psychotiques = épisode maniaque modéré (fonctionnement professionnel et/ou social interrompu) ; CIM-10 : F30.1
- Manie avec symptômes psychotiques = épisode maniaque grave, éventuellement accompagné de délires (de grandeur, d’amour, de relation ou de persécution) ; CIM-10 : F30.2.
La symptomatologie dépressive domine lors de la consultation médicale
Naturellement, la plupart des personnes bipolaires apprécient davantage les “bons” moments lorsqu’elles sont hypomaniaques ou maniaques (même si elles peuvent se faire du mal sur le plan professionnel et personnel dans ces états) que lorsqu’elles sont déprimées et “au fond du trou”. De plus, les bipolaires atteints passent beaucoup plus de temps dans des états dépressifs (environ 32%) que dans des épisodes hypomaniaques ou maniaques (environ 9%) au cours de leur évolution longitudinale (figure 2 ) [1].
En conséquence, ces personnes parleront presque exclusivement de leur symptomatologie dépressive chez leur médecin. temps, lorsqu’ils sont maniaques, ils répondent moins souvent. Ainsi, de nombreuses personnes bipolaires sont méconnues en tant que “dépressifs” souffrant d’un trouble dépressif unipolaire et ne reçoivent en conséquence qu’un traitement antidépresseur. Il est important d’examiner et d’interroger les personnes concernées pour établir un diagnostic. Les symptômes hypomaniaques ou maniaques doivent être recherchés de manière ciblée et interrogés de manière non pathologisante. Une enquête appropriée devrait inclure les faits suivants :
- Antécédents familiaux de troubles affectifs
- Apparition des premiers symptômes : âge exact, première phase
- Modèle d’historique, y compris Présence de résidus, d’occurrences saisonnières et éventuellement de “rapid cycling”.
- Apparition de symptômes psychotiques
- Antécédents médicamenteux détaillés
- Présence de comorbidités telles que des troubles de la personnalité, de l’anxiété, de la dépendance et des maladies somatiques (diabète sucré, maladies cardiovasculaires, hypothyroïdie et autres).
C’est précisément sur les questions relatives aux sommets qu’il faut mettre l’accent. Nous vous recommandons de poser les questions suivantes : “Y a-t-il des moments où vous vous sentez beaucoup mieux, plus entreprenant, plus actif, moins fatigable, moins en manque de sommeil que d’habitude ? Y a-t-il des moments où, par exemple, vous parlez plus, faites plus, entreprenez plus ou voyagez plus ? Avez-vous déjà eu des problèmes à cause de cela ? Ou est-ce que les autres ont pensé que quelque chose n’allait pas chez vous à cause de cela ?” [2].
Symptômes de la manie et de la dépression
Les principaux symptômes de la manie sont l’humeur exaltée de manière inadéquate, l’augmentation de la motivation, l’accélération de la pensée et la surestimation de soi. D’autres symptômes sont la gaieté intempestive (euphorie), l’hyperactivité, le besoin de parler, les nombreuses idées qui peuvent s’intensifier jusqu’à la fuite des idées, ainsi que la diminution du besoin de sommeil. L’absence de sentiment de maladie est typique, et malheureusement souvent difficile à traiter.
Les états dépressifs dans le cadre du trouble bipolaire sont souvent difficiles à distinguer des dépressions ordinaires. Souvent, les états bipolaires-dépressifs apparaissent plus rapidement et évoluent vers des états graves avec des symptômes psychotiques. Ils peuvent parfois s’éclaircir ou se transformer en états hypomaniaques aussi rapidement. Cela correspond au schéma classique de la maladie maniaco-dépressive décrite par Kraepelin dès 1913, à l’époque sous le nom de maniaco-dépression. Le passage rapide d’un état dépressif à des épisodes maniaques est appelé “switch” dans la littérature médicale américaine. Les switchs peuvent être dus à l’évolution naturelle d’une maladie maniaco-dépressive ou dépressive-maniaque, mais ils peuvent également être dus à l’administration unilatérale d’antidépresseurs qui déclenchent le switch.
Recommandations de traitement pour les troubles bipolaires
La Société suisse des troubles bipolaires (SSBD) a publié des recommandations de traitement, basées sur les lignes directrices allemandes et canadiennes [3]. Je suis heureux de les recommander. Classiquement, le traitement des troubles bipolaires repose sur quatre piliers [4] :
- Thérapies psychopharmacologiques et autres thérapies biologiques
- Thérapies psychothérapeutiques et psychoéducatives
- Mesures socio-thérapeutiques, y compris Réhabilitation
- Entraide
Par analogie avec les trois phases de traitement de la dépression, on peut distinguer, dans le cas des troubles bipolaires, un traitement aigu (jusqu’à la rémission), un traitement d’entretien (environ six mois jusqu’à la guérison) et une prévention des récidives (“maintenance”/éventuellement sur des années ou des décennies). Les expériences antérieures et les préférences des patients jouent un rôle important dans le choix des médicaments psychotropes. L’objectif est de viser à la fois une stabilité à long terme et une tolérance à long terme. Il est donc nécessaire d’avoir une anamnèse précise du traitement pour savoir si des épisodes antérieurs sont survenus sous antidépresseurs ou éventuellement sous l’influence de stimulants ou de drogues. Il est important de savoir si des symptômes psychotiques ont été observés dans le passé et combien d’épisodes affectifs (maniaques et dépressifs) ont été vécus. En outre, la gravité de ces épisodes est déterminante. A partir de ces paramètres évolutifs, il est possible de déterminer si l’évolution tend plutôt vers le pôle dépressif, ce qui est beaucoup plus fréquent (surtout chez les femmes), ou plutôt vers le spectre maniaque.
Objectifs pragmatiques dans la psychothérapie des troubles bipolaires
Un objectif important est de faire des personnes concernées des “experts de leur trouble”. Ils doivent apprendre à connaître et à prendre en compte leurs symptômes d’alerte individuels. Ils doivent apprendre à prendre du recul et à viser le succès, même en arrière-plan. Une prise régulière de médicaments est essentielle pour une stabilisation à long terme. Les excès d’alcool et de drogues doivent être évités et les personnes concernées doivent dormir suffisamment. Ce n’est pas le grand cercle d’amis, mais le cercle stable et proche qui doit être entretenu. Les personnes concernées doivent rester maîtres de leurs impulsions et, en cas de crise bipolaire, il faut s’efforcer de limiter les dégâts.
Au-delà de la gestion de crise, l’accompagnement à long terme des personnes bipolaires peut être intéressant pour nous, médecins, et enrichissant pour les deux parties. Les personnes bipolaires, lorsqu’elles sont capables d’accepter leur maladie, sont des experts curieux et compétents et ont vécu (souvent avec souffrance) un large éventail d’expériences de vie. C’est dans le cadre de ces accompagnements que les médecins généralistes peuvent jouer un rôle décisif dans la stabilité des personnes bipolaires.
Thérapie médicamenteuse
Sur le plan psychopharmacologique, pratiquement tous les antipsychotiques atypiques, tous les stabilisateurs de l’humeur ainsi que le lithium et, bien entendu, différentes combinaisons de ces substances entrent aujourd’hui en ligne de compte. Comme mentionné ci-dessus, le choix de la variante dépend des paramètres de l’historique. En principe, on peut distinguer les quatre pôles suivants : manie, dépression, psychose, tendance suicidaire. W. Greil a postulé ces effets principaux il y a des années et ils ont été élargis et adaptés aux indications actuelles par l’auteur (Fig. 3).
Conseil final tiré de la pratique
En conclusion, je recommande la procédure suivante, fruit de plus de 30 ans d’expérience clinique : s’il n’y a pas de nécessité d’action immédiate (état maniaque aigu ou dépression grave avec tendance suicidaire), les changements de médicaments devraient d’abord être discutés en détail avec les personnes concernées et être bien réfléchis. L’expérience préalable, notamment celle des médecins généralistes et des psychiatres libéraux, vaut son pesant d’or. Un traitement stabilisateur de l’humeur à long terme, par exemple au lithium, ne doit jamais être interrompu sans indication claire. Les changements doivent être planifiés et effectués progressivement. Les thérapies combinées sont la règle et les interactions possibles doivent donc être prises en compte. Les patients doivent savoir que la vie avec un trouble bipolaire peut être utile et enrichissante, même s’ils ont vécu ou vivront des expériences difficiles au cours de leur vie. L’arrêt brutal des médicaments est dangereux.
Dr. med. Philipp Eich
Littérature :
- Judd LL, et al : The long-term natural history of the weekly symptomatic status of bipolar I disorder. Arch Gen Psychiatry 2002 ; 59 : 530-537.
- Angst J, cité d’après l’exposé sur les troubles bipolaires. Zurich, 2000.
- Hasler G, et al : Recommandations de traitement pour les troubles bipolaires. Forum Med Suisse 2011 ; 11(18) : 308-313.
- Bauer M : Traitement des troubles bipolaires. Dans : Voderholzer U, Hohagen F : Thérapie des maladies mentales. 9e édition, Urban & Fischer 2014.
- Angst J, et al. : The HCL-32 : Towards a self-assessment tool for hypomanic symptoms in outpatients. Journal of Affective Disorders 2005 ; 88 : 217-233.
- Goodwin FK, Jamison KR : Maladie maniaco-dépressive. Oxford University Press 1990.
InFo Neurologie & Psychiatrie 2014 ; 12(5) : 12-16