La définition de l’hypertension résistante au traitement est très précise (tab. 1) : La pression artérielle au cabinet médical est de >140/90 mmHg malgré une trithérapie à dose appropriée (y compris un diurétique). Dans le cas d’un patient chez qui une hypertension a été diagnostiquée et qui, lors des contrôles ultérieurs, présente des valeurs tensionnelles élevées malgré la prescription d’antihypertenseurs, il est préférable de parler d'”hypertension difficile à contrôler” ou d'”hypertension pseudo-résistante”. Certains contrôles sont nécessaires pour exclure la “pseudo-résistance” : “effet blouse blanche”, manque d’observance, dosage insuffisant, autres facteurs tels que la médication concomitante, la consommation excessive d’alcool, l’apnée du sommeil. Une hypertension dite secondaire doit également être exclue. Ce n’est qu’après avoir exclu tous les facteurs d’influence mentionnés ci-dessus que l’on peut qualifier l’état du patient d'”hypertension artérielle réfractaire” et envisager des stratégies thérapeutiques spécifiques qui relèvent exclusivement du spécialiste.
Si l’on considère que l’hypertension est l’un des principaux facteurs de risque de morbidité et de mortalité cardiovasculaires, l’objectif thérapeutique consiste logiquement à ramener la pression artérielle élevée à des valeurs normales. L’étude SWISSHYPE (Fig. 1) [1] montre que les valeurs de pression artérielle mesurées au cabinet médical étaient de <140/90 mmHg chez seulement 49% des patients hypertendus traités. Par conséquent, environ la moitié des adultes traités pour hypertension n’atteignent pas les valeurs de pression artérielle recommandées par les directives nationales et européennes.
Carlo C., Homme, 48 ans
Carlo, fumeur, est caissier dans un supermarché, IMC 29. Il a pris sa tension dans une pharmacie : 150/96 mmHg. Dans le cabinet du médecin généraliste, les valeurs de pression artérielle mesurées à trois reprises étaient de 165/105, 160/102, 155/100 mmHg. Le médecin propose de commencer un traitement médicamenteux (monothérapie). Contrôle après 4 semaines : RR 168/104, 160/102, 158/100. Pourquoi la tension artérielle de Carlo n’est-elle pas revenue à la normale ?
Hypertension artérielle : approche méthodologique
La mesure de la pression artérielle est l’acte médical de routine le plus fréquent dans tout cabinet de médecine générale. La technique de mesure nécessite une remarque : si l’on veut confirmer ou exclure des valeurs élevées et donc l’hypertension, il est essentiel de respecter les directives pour une mesure correcte de la pression artérielle, telles qu’elles sont énoncées dans les directives (Tab.2). Elles s’appliquent aussi bien au cabinet médical qu’à tout autre endroit (à la maison, dans un autre environnement non médical).
La mesure par auscultation au moyen d’un stéthoscope est aujourd’hui préférée à la mesure oscillométrique par des appareils automatisés validés. Ils ont notamment l’avantage de pouvoir être remis au patient à son domicile.
Conclusion : les valeurs de pression artérielle élevées mesurées lors d’un examen médical doivent être contrôlées. Ce n’est qu’après une mesure correcte de la pression artérielle et un nombre suffisant de mesures que l’on peut confirmer ou exclure que les valeurs du patient sont élevées. Environ 15 à 30% des patients présentant une valeur élevée lors d’un examen médical ont en fait des valeurs de pression artérielle absolument normales lors de contrôles ultérieurs dans des conditions appropriées (“effet blouse blanche”).
Auto-mesure et mesure ambulatoire (24h/24) de la tension artérielle
Grâce aux appareils oscillométriques modernes et automatisés de mesure de la pression artérielle, toute personne qui le souhaite peut facilement mesurer elle-même sa pression artérielle. Il est toutefois essentiel de suivre les instructions pour une automesure correcte (fig. 2). Pour vérifier si ses propres valeurs tensionnelles sont normales ou élevées, il est recommandé d’effectuer une mesure matin et soir pendant une semaine, puis de consulter son médecin généraliste.
La mesure ambulatoire de la PA est un complément important et indispensable à l’automesure par le patient. Elle permet de détecter les variations de la pression artérielle au cours de la journée et, en particulier, le comportement de la pression artérielle pendant le sommeil (Fig. 3). Il s’agit d’un outil de diagnostic très important, indiqué à la fois pour poser le diagnostic d’hypertension et pour vérifier l’efficacité d’un traitement antihypertenseur.
Conclusion : pour confirmer le diagnostic d’hypertension, il faut disposer d’un nombre suffisant de mesures de la pression artérielle effectuées correctement et conformément aux directives sur quelques semaines, ainsi que d’une mesure ambulatoire de la PA sur 24 heures, car celle-ci permet de détecter les variations de la pression artérielle pendant la journée et le repos nocturne et de vérifier l’efficacité d’un traitement antihypertenseur.
Le cas de Carlo C.
En supposant que Carlo C. ait subi les contrôles nécessaires pour confirmer le diagnostic d’hypertension, il faut se poser la question suivante : Carlo a-t-il vraiment des valeurs tensionnelles élevées malgré son traitement ? Il est bien connu que les patients traités médicalement pour une hypertension peuvent également présenter ce que l’on appelle une “réaction blouse blanche”. Ce phénomène se produit chez 15 à 30% de la population générale non hypertendue. Une petite étude réalisée à l’aide de la mesure ambulatoire de la PA sur 24 heures a montré que chez un patient sur trois traité par antihypertenseur et dont la pression artérielle est élevée au cabinet médical, les valeurs sont en fait normales sur une période de 24 heures [2].
Conclusion : les patients qui, sous traitement antihypertenseur médicamenteux, ont encore des valeurs tensionnelles élevées lors de la mesure au cabinet du médecin généraliste doivent effectuer une autre automesure à domicile pendant une semaine, conformément aux directives. En outre, il est recommandé d’effectuer une mesure ambulatoire de la PA sur 24 heures afin de vérifier la variabilité de la pression artérielle et, en particulier, la baisse normale de la pression artérielle nocturne (valeur pronostique pour le “dipping” nocturne).
Le traitement médicamenteux de Carlo est-il suffisant pour normaliser les valeurs de tension artérielle ? Il est correct de parler d'”hypertension difficilement contrôlable” lorsque les valeurs de la pression artérielle ne se normalisent pas sous un traitement combiné avec trois classes de substances antihypertensives différentes. On entend par “hypertension résistante au traitement” la pression artérielle qui, au cabinet médical, est de 140/90 mmHg malgré une trithérapie combinée à une dose appropriée (y compris un diurétique et après exclusion d’une pseudo-résistance au traitement par une mesure ambulatoire de la PA sur 24 heures) >.
Conclusion : il est rare d’obtenir une normalisation des valeurs tensionnelles avec un seul médicament. Grâce à des substances bien tolérées et pouvant être combinées, nous disposons aujourd’hui de médicaments combinés qui simplifient le dosage quotidien (un comprimé – deux ou trois substances actives). Les lignes directrices précisent quand et comment appliquer cette stratégie. Si une triple combinaison médicamenteuse adéquate ne permet pas de normaliser les valeurs tensionnelles, il convient de demander l’avis d’un spécialiste de la tension artérielle.
Carlo prend-il vraiment les médicaments prescrits ? C’est certainement l’aspect le plus important : sans médicament, pas d’effet. Une méthode infaillible (mais coûteuse !) pour prouver que le patient a réellement pris le médicament est de détecter la substance dans l’urine. Dans une clinique d’hypertension outre-Atlantique, cette astuce a permis de démontrer que la moitié des patients envoyés en consultation pour une hypertension réfractaire n’avaient pas pris tout ou partie des médicaments prescrits [3]. Il est important de convaincre les patients des bénéfices induits par la normalisation de la pression artérielle : Seule la prise régulière des médicaments garantit un bon pronostic cardiovasculaire. L’étude clinique menée sur environ six ans auprès d’environ 250 000 patients en Lombardie [4] a montré que les patients hypertendus qui suivaient bien leur traitement voyaient leur risque de complications cardiovasculaires diminuer de 37%.
Conclusion : en pratique, il est facile de déterminer l’efficacité d’un antihypertenseur en l’administrant directement au patient et en vérifiant son effet dans les heures qui suivent par une mesure ambulatoire de la PA à court terme (quatre à six heures). L’observance du traitement peut également être vérifiée avec l’aide du pharmacien : Combien de boîtes du médicament prescrit ont été retirées au cours des trois à six mois suivant la prescription du médecin ?
Carlo prend-il peut-être d’autres substances qui interfèrent avec les antihypertenseurs ? De nombreuses substances d’usage courant (médicamenteuses et non médicamenteuses), souvent délivrées sans ordonnance, peuvent interférer avec les antihypertenseurs et en réduire l’efficacité. Les substances d’apparence inoffensive telles que les médicaments contre le rhume (gouttes nasales, boissons contre la grippe) ou les pilules amaigrissantes “naturelles” sont particulièrement insidieuses. Les AINS sont un exemple classique de médicaments ayant un effet “hypertenseur” important. Les antidépresseurs peuvent également produire un effet similaire.
Conclusion : il est important de demander régulièrement aux patients combien et quelles substances aux propriétés pharmacologiques ils consomment spontanément. Les magazines et Internet sont des sources inépuisables de (soi-disant) conseils et astuces en matière de santé. Dans la mesure du possible, ils devraient se faire apporter les emballages d’origine qu’ils ont achetés. Le schéma thérapeutique des patients et les interactions doivent être régulièrement revus.
… et si Carlo a une hypertension secondaire ? Chez les patients traités de manière adéquate et dont la pression artérielle est difficile à contrôler lors de contrôles répétés, il faut penser à rechercher une hypertension secondaire. Il s’agit parfois de maladies qui s’ajoutent à une hypertension primaire. Il faut penser à trois causes possibles.
- Maladie rénale chronique : elle peut être facilement diagnostiquée par des examens de laboratoire appropriés.
- Apnée du sommeil : elle est de plus en plus souvent diagnostiquée chez les patients non-adipeux. Dans ce contexte, l’anamnèse est la plus importante pour initier un examen médical spécialisé approprié.
- Excès d’aldostérone (hyperaldostéronisme primaire). Cette cause est plus fréquente qu’on ne le pensait dans le passé.
Conclusion : s’il existe une suspicion raisonnable d’hypertension secondaire, le patient doit être adressé directement à un spécialiste de l’hypertension afin de consacrer le temps et les ressources nécessaires à la meilleure prise en charge possible du patient.
Littérature :
- Brenner R, Waeber B, Allemann Y : Traitement médical de l’hypertension en Suisse. L’enquête suisse sur l’hypertension 2009 (SWISSHYPE). Swiss Med Wkly 2011 Mar 4 ; 141 : w13169.
- Tschudi P, Martina B : Fausses non-réponses dans le traitement de l’hypertension au cabinet du médecin généraliste. PRAXIS 2008 ; 97 : 543-547.
- Weber M : MY APPROACH to the Patient With Hard-To-Control Hypertension. Expert Opinion/My Approach 2015 January 06.
- Mancia G, et al : Une meilleure observance des médicaments antihypertenseurs réduit le risque cardiovasculaire. Journal of Hypertension 2011 ; 29 : 610-618.
PRATIQUE DU MÉDECIN DE FAMILLE 2016, 11(3) : 20-23