La protéinurie doit toujours être prise au sérieux. Les examens complémentaires dépendent de la clinique, de la sévérité de la protéinurie et de l’existence simultanée d’une microhématurie et/ou d’une insuffisance rénale. En cas de suspicion de maladie glomérulaire, une biopsie rénale est nécessaire pour établir un diagnostic précis. Le traitement antiprotéinurique se concentre sur un contrôle correct de la pression artérielle et sur la réduction de la pression intraglomérulaire à l’aide de bloqueurs du système rénine-angiotensine-aldostérone. Un traitement immunosuppresseur est indiqué en cas de maladie glomérulaire spécifique. L’article suivant donne un aperçu de ces différentes possibilités et présente quelques casuistiques pour illustrer le propos.
Les médecins généralistes et spécialistes sont confrontés à un nombre toujours plus important de patients âgés. Ce groupe de patients comprend de plus en plus de patients atteints d’insuffisance rénale terminale. Une thérapie de remplacement rénal peut sauver la vie de ces patients. En plus du coût financier, ces traitements sont coûteux et souvent pénibles pour le patient concerné. Il faut donc tout faire pour ne pas arriver à cette situation d’insuffisance rénale terminale ou, s’il n’y a pas d’autre solution, au moins la retarder. Pour se rapprocher de cet objectif, il est important d’identifier rapidement les symptômes et les causes les plus fréquents d’une maladie rénale. Les signes de maladie rénale sont la protéinurie, avec/sans microhématurie, une augmentation de la créatinine sérique et des valeurs de pression artérielle élevées. Lorsque la maladie progresse, des œdèmes et des symptômes d’urémie tels que la fatigue, la perte de poids et les nausées s’ajoutent [1–3].
La protéinurie est soit une découverte fortuite lors d’un examen de routine – et donc souvent sans symptômes – soit elle s’accompagne de symptômes systémiques tels que des œdèmes dans le syndrome néphrotique ou d’autres signes d’une maladie généralisée. Parmi les “causes plus bénignes” de protéinurie figurent l’état fébrile dû à la grippe, l’activité physique intense, la déshydratation ou les règles. Une cause très rare peut être la maladie de Münchhausen, dans laquelle des protéines étrangères (provenant par exemple de poulets) sont ajoutées à sa propre urine. Cela peut être détecté dans l’urine par électrophorèse des protéines.
La glomérulonéphrite isolée ou associée à une maladie systémique comme le myélome multiple est l’une des causes les plus graves de protéinurie. Isolée, la protéinurie est un signe fréquent de maladie rénale. Pour qu’une protéinurie soit symptomatique, il faut des quantités importantes de protéines dans l’urine. Une protéinurie importante, comme dans le syndrome néphrotique, peut se manifester par un moussage de l’urine, accompagné d’un œdème généralisé [3, 4]. Quelle que soit la gravité de la protéinurie, elle doit toujours être prise au sérieux, car elle est associée à une maladie rénale évolutive.
Protéinurie – un continuum
La protéinurie est un continuum. Les valeurs basses sont considérées comme physiologiques. Lorsque c’est surtout l’albumine qui est excrétée, on parle de microalbuminurie. Si plus de 300 mg/j d’albumine ou de protéines sont excrétés, il s’agit d’une protéinurie. Lorsque la quantité de protéines dans l’urine est importante, c’est-à-dire supérieure à 3 g/j, nous parlons de protéinurie dans la zone néphrotique, voire de syndrome néphrotique (fig. 1).
La protéinurie est l’un des facteurs qui contribuent à la détérioration de la fonction rénale (Fig. 2).
Causes de la protéinurie
La protéinurie peut avoir plusieurs causes. Comme discuté ci-dessus, la fièvre, les efforts importants, etc. peuvent entraîner une protéinurie transitoire, sinon une cause rénale doit être recherchée (tab. 1). Une protéinurie >3 g/j et une protéinurie associée à une microhématurie sont d’origine glomérulaire. Une protéinurie plus légère peut être d’origine glomérulaire, mais pas nécessairement. Une maladie glomérulaire doit être explorée plus avant avec une biopsie rénale [1–3].
Description du cas 1
Un jeune homme de 19 ans a présenté une microhématurie et deux épisodes de macrohématurie, la première fois à la suite d’un léger accident de la route et la seconde fois au cours d’une infection des voies respiratoires supérieures. La pression artérielle était de 110/65 mmHg, en position assise ; fréquence cardiaque 72/min, reg. Pas d’œdème à l’examen clinique.
La fonction rénale était légèrement altérée, avec une créatinine sérique de 108 µmol/l. Une microhématurie et une protéinurie ont été détectées dans le test d’urine. La collecte d’urine de 24 heures a révélé une protéinurie de 1,5 g/j.
Une échographie rénale n’a révélé aucune pathologie. En raison de la microhématurie et de la protéinurie, une biopsie rénale a été réalisée. L’examen histopathologique a révélé une “maladie de Berger”, c’est-à-dire une néphropathie à IgA (dépôts d’IgA dans le mésangium), avec des signes d’activité sous forme de croissants glomérulaires. Un traitement par stéroïdes a été administré pendant six mois et un traitement par un bloqueur de l’ATII a été initié (l’inhibiteur de l’ECA n’a pas été toléré). Sous traitement par stéroïdes, l’hypertension s’est aggravée et la dose a dû être réduite. Un an après le traitement, la pression artérielle était normale sous bloqueur ATII et la protéinurie <0,3 g/j.
Cette étude de cas illustre la nécessité d’un diagnostic précis par biopsie rénale chez un jeune patient souffrant de protéinurie. Un traitement immunosuppresseur a pu être mis en place avec de bons résultats, mais des effets secondaires tels que l’hypertension et la prise de poids sont apparus. La glomérulonéphrite persiste et peut récidiver, d’où la nécessité de contrôles réguliers.
Description de cas 2
Un jeune homme de 26 ans originaire des îles du Cap-Vert s’est présenté aux urgences pour de forts maux de tête. Il travaillait dans la métallurgie et avait des maux de tête depuis une semaine. Il est venu directement du travail parce que la douleur était devenue insupportable et son patron l’a donc envoyé directement aux urgences.
Pression artérielle située à 270/130 mmHg. Pas d’œdème. Créatinine sérique 355 µmol/l, avec microhématurie ainsi qu’une protéinurie de 1 g/d. Après la baisse de la pression artérielle et la persistance de la protéinurie ainsi que la détection d’érythrocytes glomérulaires dans les urines, une biopsie rénale a été réalisée. L’histologie a révélé une glomérulonéphrite rapidement progressive, c’est-à-dire une néphropathie agressive à IgA avec des croissants et des nécroses. En plus du contrôle de la pression artérielle, une forte immunosuppression par stéroïdes et cyclophosphamide a été effectuée, avec stabilisation et finalement amélioration de la fonction rénale.
Description de cas 3
Une femme de 52 ans est venue en consultation pour un bilan d’insuffisance rénale. Antécédents d’hypertension artérielle non traitée depuis longtemps, contrôlée par le médecin généraliste avec de l’amlodipine 10 mg, un inhibiteur de l’ECA et de l’hydrochlorothiazide. Les valeurs de la pression artérielle étaient de 125/82 mmHg en position assise, la fréquence cardiaque de 64/min. Aucun œdème n’était palpable. Il y avait une insuffisance rénale avec une créatinine sérique de 214 µmol/l, et une microalbuminurie (280 mg/j). La biopsie rénale a révélé une néphroangiosclérose et de graves altérations chroniques avec fibrose interstitielle. L’indication d’une biopsie rénale peut être discutée dans ce cas. Une approche attentiste et observatrice aurait également été défendable. Aucun changement de traitement n’a été effectué.
Maladies glomérulaires
Les glomérulopathies sont dues à des dommages structurels et fonctionnels des glomérules rénaux. Ils peuvent être inflammatoires ou non inflammatoires. Le terme glomérulonéphrite désigne une modification inflammatoire des glomérules. La néphropathie diabétique et l’amylose sont des exemples de maladies des glomérules d’origine non inflammatoire [3].
Seule une biopsie rénale permet d’établir un diagnostic précis. On peut espérer que des méthodes non invasives seront disponibles dans un avenir proche, comme des biomarqueurs pour diagnostiquer une glomérulonéphrite membraneuse, ou des IRM fonctionnelles pour différencier une glomérulonéphrite d’une lésion tubulaire aiguë. Ces méthodes sont encore en cours d’évaluation et il est trop tôt pour les utiliser en routine.
Les glomérulopathies peuvent être des troubles rénaux primaires ou secondaires dans le cadre de maladies systémiques, notamment le diabète sucré, les infections, les vascularites ou le lupus érythémateux disséminé (LED). La classification et la nomenclature des glomérulopathies et plus particulièrement des glomérulonéphrites sont complexes. Cela s’explique par des raisons historiques, selon la manière dont on définit la maladie rénale : histologiquement, sur la base de la clinique ou des antécédents, ou à l’aide d’analyses génétiques ou de biomarqueurs spécifiques. Le tableau 1 présente les manifestations cliniques classiques. Une histologie est nécessaire pour un traitement immunosuppresseur spécifique.
Thérapie
Le traitement de la protéinurie se compose de deux piliers : le traitement non immunosuppresseur et le traitement immunosuppresseur [5–8].
Le traitement non immunosuppresseur est aujourd’hui décrit sous le terme de “néphroprotection” et est résumé dans le tableau 2. Les principaux facteurs de progression sont l’hypertension artérielle et la protéinurie. C’est pourquoi un bon contrôle de la pression artérielle est très important. En réduisant la pression artérielle, la protéinurie diminue également. En outre, l’utilisation de bloqueurs du système rénine-angiotensine (inhibiteurs de l’ECA, bloqueurs de l’ATII) permet de réduire la pression intraglomérulaire, ce qui entraîne une diminution de la protéinurie.
Il s’agit notamment de l’arrêt du tabagisme, d’un bon contrôle des lipides, du contrôle de l’anémie, du métabolisme du calcium/phosphate, de l’acidose, de la perte de poids, etc. Cela permet souvent de ralentir la progression de la maladie rénale et même, dans certaines situations, de la bloquer.
L’indication d’un traitement immunosuppresseur est posée sur la base d’un diagnostic précis avec histologie du tissu rénal. Comme il s’agit de traitements immunosuppresseurs aux effets secondaires parfois graves, ces traitements doivent être confiés à un spécialiste des reins [3, 4].
Résumé
L’objectif principal du traitement des insuffisants rénaux reste d’éviter le développement d’une insuffisance rénale terminale ou, si ce n’est pas possible, au moins de le retarder. Les patients présentant des signes de glomérulonéphrite doivent être évalués rapidement et l’indication d’une biopsie rénale doit être vérifiée. Seul un diagnostic précis permet de mettre en place un traitement adapté. En plus du traitement spécifique d’une maladie rénale, il est important de mettre en place ce que l’on appelle une “néphroprotection”, c’est-à-dire des mesures de protection rénale telles que celles discutées ci-dessus.
Pour le suivi de ces patients, il est important que le médecin généraliste et le néphrologue travaillent en étroite collaboration afin de mettre en place un traitement optimal pour traiter la maladie de base et contrôler la pression artérielle, l’anémie et l’hyperparathyroïdie. Les toxines supplémentaires telles que les médicaments toxiques pour les reins ou le tabac doivent être évitées.
Prof. Dr. med. Bruno Vogt
Littérature :
- Bourquin V, Giovannini M : Protéinurie. Partie 1 : Physiopathologie, détection, quantification. Suisse Med Forum 2007 ; 7 : 708-712 (Curriculum).
- Bourquin V, Giovannini M : Protéinurie. Partie 2 : Procédure d’évaluation et de prise en charge. Importance de la microalbuminurie. Suisse Med Forum 2007 ; 7 : 730-734 (Curriculum).
- Marti HP, et al : Glomérulopathies. Forum Médical Suisse 2003 ; 46 : 1108-1117 (Curriculum).
- Hricik DE, Chung-Park M, Sedor JR : Glomérulonéphrite. New Engl J Med 1998 ; 339 : 888-899 (revue).
- Ruggenenti P, Schieppati A, Remuzzi G : Progression, rémission, régression des maladies rénales chroniques. The Lancet 2001 ; 357 : 1601-1608 (revue).
- De Seigneux S, Martin PY : Prise en charge des patients atteints du syndrome néphrotique. Swiss Med Wkly 2009 ; 139 : 416-422 (revue).
- Krapf R : Augmentation de la créatinine. Forum Med Suisse 2006 ; 6 : 813 (éditorial).
- Charlesworth JA, Gracey DM, Pussell BA : Syndrome néphrotique de l’adulte : stratégies non spécifiques pour le traitement. Nephrology 2008 ; 13 : 45-50 (revue).
CONCLUSION POUR LA PRATIQUE
- Toute protéinurie doit être prise au sérieux et faire l’objet d’un examen.
- L’indication d’un diagnostic histologique par biopsie rénale percutanée doit être posée rapidement.
- Le suivi des patients atteints de protéinurie comprend un contrôle étroit de la fonction rénale, de la protéinurie et de la pression artérielle.
- La décision d’ajouter un traitement immunosuppresseur s’appuie sur le diagnostic histologique et la cause exacte de la maladie rénale.
- Une protéinurie et/ou une insuffisance rénale rapidement progressives constituent une urgence médicale.
A RETENIR
- Toute protéinurie est à prendre au sérieux et doit être investiguée.
- L’indication d’un diagnostic histologique au moyen d’une biopsie rénale percutanée doit être posée précocement.
- La prise en charge de patients protéinuriques nécessite un contrôle étroit de la fonction rénale, de la protéinurie et de la pression artérielle.
- La décision d’instaurer un traitement immunosuppresseur complémentaire se base sur le diagnostic histologique et la cause exacte de l’affection rénale.
- La progression rapide d’une protéinurie et/ou d’une insuffisance rénale constitue une urgence médicale.
PRATIQUE DU MÉDECIN DE FAMILLE 2014 ; 9(3) : 26-29