Les nouvelles lignes directrices pour le diagnostic et le traitement de l’insuffisance cardiaque ont été présentées lors du congrès de cette année de la Société européenne de cardiologie fin mai. Les nouvelles recommandations introduisent une insuffisance cardiaque à fraction d’éjection intermédiaire (“heart failure with mid-range ejection fraction”, HFmrEF ; LVEF 40-49%). Le nouveau concept thérapeutique des inhibiteurs des récepteurs de l’angiotensine et de la néprilysine (ARNI) a considérablement élargi les possibilités de traitement médicamenteux. Désormais, un traitement de resynchronisation cardiaque devrait être administré aux patients présentant une FEVG ≤35% et une durée de QRS ≥130 msec. être évalués.
L’insuffisance cardiaque est aujourd’hui définie comme un syndrome clinique dans lequel les patients souffrent de symptômes typiques tels que l’essoufflement et la diminution de la capacité d’exercice, et dans lequel il existe des signes cliniques (par exemple, veines du cou congestionnées, râles bronchiques pulmonaires, œdème périphérique) qui sont causés par une altération de la fonction cardiaque [1]. Le développement et l’utilisation thérapeutique d’inhibiteurs neurohumoraux permettent de ralentir la progression de la maladie, d’éviter les hospitalisations et de réduire la mortalité [1].
Le domaine du diagnostic et du traitement de l’insuffisance cardiaque est en constante évolution, c’est pourquoi les nouvelles lignes directrices de traitement de la Société européenne de cardiologie étaient attendues de toute urgence. Ces lignes directrices ont été présentées lors du congrès de la “Heart Failure Association” de la Société européenne de cardiologie qui s’est tenu cette année à Florence fin mai 2016. Cet article présente les principaux changements concernant le traitement de l’insuffisance cardiaque chronique et une sélection de pathologies associées courantes, en tenant compte des besoins de la médecine générale.
Terminologie révisée
La terminologie courante de l’insuffisance cardiaque a évolué au fil du temps et s’oriente essentiellement sur la fraction d’éjection du ventricule gauche (“left ventricular ejection fraction”, LVEF) [1]. Les recommandations précédentes distinguaient l’insuffisance cardiaque avec fraction d’éjection préservée (“heart failure with preserved ejection fraction”, HFpEF ; LVEF ≥50%) de l’insuffisance cardiaque avec FEVG réduite (“heart failure with reduced ejection fraction”, HFrEF ; LVEF <40%) [2]. Les nouvelles recommandations introduisent en outre une insuffisance cardiaque à fraction d’éjection intermédiaire (“heart failure with mid-range ejection fraction”, HFmrEF ; LVEF 40-49%). Les symptômes et signes d’insuffisance cardiaque ainsi que l’augmentation des peptides natriurétiques et au moins un des critères suivants ont été définis comme critères diagnostiques supplémentaires pour l’HFpEF et l’HFmrEF :
- Maladie cardiaque structurelle pertinente (hypertrophie ventriculaire gauche et/ou oreillette gauche hypertrophiée) ou
- Dysfonctionnement diastolique.
Il est bien connu que les données relatives au traitement de l’insuffisance cardiaque dépendent de la fonction systolique du VG, les données étant particulièrement rares dans la plage de FEVG de 40-50%. L’introduction du HFmrEF devrait donc notamment stimuler la recherche dans ce domaine [1].
Diagnostic de l’insuffisance cardiaque
Dans une situation clinique non aiguë, le diagnostic de suspicion d’insuffisance cardiaque repose sur les facteurs de base suivants : Antécédents médicaux, examen physique et ECG. Par exemple, si l’on trouve des indices anamnestiques typiques, tels qu’une maladie coronarienne connue, une hypertension artérielle connue, une orthopnée, une dyspnée paroxystique nocturne, l’utilisation de diurétiques ou de médicaments cardiotoxiques ou une irradiation dans le passé, une insuffisance cardiaque devient probable. Ceci est renforcé par les signes cliniques correspondants : râles crépitants au-dessus des poumons, œdème des chevilles, souffle cardiaque, veines du cou congestionnées, etc. Un électrocardiogramme anormal est également un indice supplémentaire.
Les peptides natriurétiques sont utiles pour exclure une insuffisance cardiaque. Si les valeurs sont inférieures à la valeur limite correspondante (BNP <35 pg/ml ou NT-proBNP <125 pg/ml), une insuffisance cardiaque est très peu probable.
Comme l’échocardiographie joue un rôle central dans l’établissement du diagnostic, une échocardiographie transthoracique doit être demandée en cas de dépassement des valeurs limites ou si le dosage des peptides natriurétiques n’est pas effectué de manière systématique. Si le diagnostic d’insuffisance cardiaque est confirmé, des investigations supplémentaires sont ensuite indiquées pour déterminer l’étiologie.
Traitement de l’insuffisance cardiaque chronique
Outre le traitement des symptômes par diurétiques, les inhibiteurs de l’ECA, les bêtabloquants et les antagonistes des récepteurs des minéralocorticoïdes (ARA) restent les médicaments de premier choix dans le traitement de l’HFrEF. Ces médicaments doivent être administrés à des doses maximales tolérées.
L’introduction d’un nouveau concept thérapeutique, à savoir les inhibiteurs des récepteurs de l’angiotensine et de la néprilysine (ARNI), a considérablement élargi les possibilités de traitement médicamenteux. La première substance, le LCZ 696, combine les propriétés pharmacologiques du valsartan, un antagoniste des récepteurs de l’angiotensine (ARA), et celles d’un inhibiteur de la néprilysine. L’inhibition de la néprilysine retarde la dégradation des peptides natriurétiques (ANP, BNP, bradykinine, etc.), ce qui entraîne une augmentation de la diurèse, de la natriurèse, de la relaxation myocardique et de l’inversion souhaitée du remodelage myocardique. Le blocage sélectif des récepteurs AT-1 empêche également la vasoconstriction, l’hypertrophie myocardique et la rétention de sodium et d’eau [3,4]. La supériorité de cette nouvelle substance sur l’inhibiteur de l’ECA, l’énalapril, a été démontrée de manière impressionnante dans l’étude PARADIGM-HF [5]. La place de cette nouvelle substance dans le schéma thérapeutique de l’insuffisance cardiaque avec fonction de pompage réduite était donc attendue avec un intérêt particulier. En particulier, si les patients tolèrent l’IEC à dose maximale tolérée ou l’ARA, ils doivent passer à un IRA (classe I, niveau de preuve B). Les ARA restent des médicaments de substitution en cas d’intolérance aux IEC, comme dans les lignes directrices de 2012.
Un autre agent qui affecte le système rénine-angiotensine-aldostérone est l’aliskiren, un inhibiteur de la rénine qui a été testé contre l’énalapril chez des patients atteints d’HFrEF dans l’étude ATMOSPHERE récemment publiée [6]. Malheureusement, les auteurs n’ont pas pu montrer d’avantage pour les patients traités avec l’inhibiteur de rénine.
L’utilisation de l’ivabradine doit continuer à être envisagée pour réduire le risque d’hospitalisation pour insuffisance cardiaque et de décès cardiovasculaire si les patients n’atteignent pas une fréquence cardiaque de repos <70/min malgré un traitement bêtabloquant renforcé [7,8].
Dans la pratique clinique, la question de la place de la digoxine se pose chez certains patients. Bien qu’aucune étude n’ait testé l’effet de la digoxine en cas de traitement concomitant avec des bêtabloquants, la digoxine peut être envisagée pour réduire les hospitalisations pour insuffisance cardiaque chez les patients HFrEF symptomatiques en rythme sinusal (classe IIb, niveau de preuve B) [1].
Alors que les cardioverteurs/défibrillateurs implantables (DAI) restent indiqués chez les patients présentant une FEVG ≤35% malgré un traitement médicamenteux développé ou des épisodes symptomatiques connus de flutter/fibrillation ventriculaire, un traitement de resynchronisation cardiaque (CRT) devrait désormais être proposé aux patients présentant une FEVG ≤35% et une durée de QRS ≥130 msec. être évalués. L’étude EchoCRT, initiée et dirigée par l’hôpital universitaire de Zurich, a été déterminante pour l’augmentation de la durée du QRS et l’abandon des signes échocardiographiques de dyssynchronie pour poser l’indication. Cette étude a démontré que la CRT était efficace chez les patients présentant un complexe QRS étroit <130 msec. n’améliore pas le pronostic et augmente la mortalité globale [9].
Hypertension artérielle
L’hypertension artérielle est un facteur de risque majeur d’insuffisance cardiaque. C’est pourquoi le traitement agressif de l’hypertension artérielle est un élément essentiel de la prévention. L’étude SPRINT, publiée l’année dernière, a montré que le traitement réduisait significativement le risque de décès cardiovasculaire ou d’hospitalisation pour insuffisance cardiaque en termes de pression artérielle cible plus basse (pression artérielle systolique <120 mmHg versus <140 mmHg) chez les patients ≥75 ans ou à haut risque cardiovasculaire [10].
Dyslipidémie
La dyslipidémie est également une maladie cardiovasculaire concomitante fréquente, raison pour laquelle la question de la place des statines chez les patients souffrant d’insuffisance cardiaque se pose régulièrement dans la pratique clinique. Dans la plupart des études sur les statines, les patients souffrant d’insuffisance cardiaque ont été exclus, mais il existe deux études qui n’ont pas montré de bénéfice dans cette population de patients [11,12]. Les statines ne doivent donc pas être réintroduites chez les patients souffrant d’insuffisance cardiaque. Toutefois, si les patients souffrant d’insuffisance cardiaque reçoivent déjà une statine, par exemple en raison d’une maladie coronarienne connue ou d’une dyslipidémie, le traitement par statine peut être poursuivi.
Anticoagulation
Dans la pratique de la médecine générale, les questions relatives à l’anticoagulation des patients dont la FEVG est limitée sont également fréquentes. Alors que l’on pensait auparavant que les patients atteints d’HFrEF devaient recevoir un traitement anticoagulant oral (ACO), des études récentes n’ont pas démontré que les patients atteints d’HFrEF sans fibrillation auriculaire pouvaient bénéficier d’un ACO ou d’un ACO. acide acétylsalicylique par rapport à un placebo [13]. Les études sur les nouveaux anticoagulants oraux (NOAK) sont toujours en cours. Toutefois, les patients insuffisants cardiaques qui reçoivent un ACO pour une autre indication bien établie peuvent continuer à le recevoir.
Arthrose
L’arthrose est également une maladie concomitante fréquente et conduit régulièrement à la prise d’anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS, par exemple l’ibuprofène ou le diclofénac) ou d’inhibiteurs de la COX-2 (célécoxib), qui peuvent nuire à la fonction rénale. De plus, ces médicaments augmentent le risque d’aggravation de l’insuffisance cardiaque et d’augmentation des hospitalisations et doivent donc être évités.
Diabète sucré
Une autre classe de médicaments à éviter en cas d’insuffisance cardiaque est celle des thiazolidinediones (glitazones), qui sont utilisées dans le traitement du diabète sucré (DM) de type 2 [14,15]. Pour la première fois, un antidiabétique oral a montré une amélioration de la mortalité chez des patients à haut risque cardiovasculaire. Le traitement par l’empagliflozine, un inhibiteur du cotransporteur sodium-glucose 2 (inhibiteur du SGLT-2), a permis de réduire considérablement la mortalité globale ainsi que le taux d’hospitalisation pour insuffisance cardiaque (classe : IIa, niveau de preuve B).
Déficit en fer
Ces dernières années, il a été démontré que les patients souffrant d’insuffisance cardiaque présentent plus souvent un déficit en fer, ce qui entraîne une anémie et/ou une faiblesse musculo-squelettique et est associé à un moins bon pronostic [16–18]. Bien qu’aucune étude définitive sur les résultats n’ait été achevée, les données disponibles de deux études indiquent qu’une substitution intraveineuse de fer devrait être envisagée chez les patients atteints d’HFrEF et présentant une ferritine sérique < µg/l ou une ferritine sérique de 100-299 µg/l et une saturation de la transferrine <20%, afin d’améliorer les symptômes de l’insuffisance cardiaque et d’améliorer les performances ainsi que la qualité de vie.
Conclusion
Le traitement de l’HFrEF et de ses comorbidités reste un défi malgré l’amélioration des nouvelles options thérapeutiques. La collaboration entre les médecins généralistes et les spécialistes de l’insuffisance cardiaque est donc particulièrement importante.
Littérature :
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- McMurray JJ, et al. : ESC Guidelines for the diagnosis and treatment of acute and chronic heart failure 2012 : The Task Force for the Diagnosis and Treatment of Acute and Chronic Heart Failure 2012 of the European Society of Cardiology. Développé en collaboration avec la Heart Failure Association (HFA) de l’ESC. Eur Heart J 2012 ; 33 : 1787-1847.
- King JB, et al : Inhibition de la néprilysine dans l’insuffisance cardiaque avec réduction de la fraction d’éjection : une revue clinique. Pharmacotherapy 2015 ; 35 : 823-837.
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- McMurray JJ, et al : Angiotensin-neprilysin inhibition versus enalapril in heart failure. N Engl J Med 2014 ; 371 : 993-1004.
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PRATIQUE DU MÉDECIN DE FAMILLE 2016 ; 11(8) : 32-35