Le nombre de nouvelles infections et les taux de mortalité sont en baisse depuis quelques années en Suisse et au niveau mondial, et de plus en plus de personnes infectées par le VIH reçoivent un traitement adéquat. Or, la gestion des maladies liées au VIH est tout à fait complexe et nécessite notamment la prise en compte de la polypharmacie et de la multimorbidité.
On estime qu’il y a environ 38 millions de personnes infectées par le VIH dans le monde, dont la moitié environ vit en Afrique de l’Est et en Afrique australe [1,2]. En Suisse, on estime qu’il y a 20 000 cas. En 1983, des chercheurs ont réussi à isoler le virus IH, apparu pour la première fois quelques années auparavant, et peu de temps après, des tests VIH étaient disponibles [1]. Un résultat de test positif au VIH n’est pas synonyme de SIDA. Le diagnostic de SIDA (“Syndrome d’Immunodéficience Acquise”) désigne un ensemble de symptômes spécifiques qui constituent le parcours final d’une infection par le virus IH. Le nombre de cellules T helper (lymphocytes T CD4+) dans le sang des personnes infectées par le VIH sert de mesure de la destruction du système immunitaire. L’immunodéficience résultant de la destruction des cellules CD4 génère une grande vulnérabilité aux infections opportunistes et/ou aux tumeurs définissant le SIDA. Aujourd’hui, l’infection par le VIH est une maladie chronique incurable, mais qui se traite bien, et l’âge moyen des patients est nettement plus élevé qu’auparavant, a expliqué le PD Dr Anna Conen, MSc, médecin-chef du service d’infectiologie et d’hygiène hospitalière de l’hôpital cantonal d’Aarau [1]. Les efforts de prévention restent prioritaires, les groupes à risque devraient être dépistés (encadré) et toutes les personnes infectées par le VIH devraient recevoir un traitement adéquat pour prévenir la progression de la maladie, améliorer la qualité de vie et prévenir de nouvelles infections.
Les possibilités de traitement de l’infection par le VIH ont connu une percée au milieu des années 1990 avec l’arrivée sur le marché des premières substances du groupe HAART (“Highly Active Anti-Retroviral Therapy”), appelées inhibiteurs de protéase. Depuis lors, une réduction de 70% du taux de mortalité a été obtenue [1]. Quelques années auparavant, le SIDA était encore la première cause de mortalité chez les 25-44 ans.
ART/HAART : une commodité accrue grâce aux préparations combinées
Le traitement antirétroviral disponible aujourd’hui pour l’infection par le VIH associe des agents de différentes classes et doit être pris à vie (encadré) [3]. L’objectif du traitement contre le VIH est d’obtenir une suppression virologique complète, de sorte que le virus IH ne soit plus détectable dans le sang. L’objectif est de prévenir la progression de la maladie et d’améliorer ainsi l’espérance et la qualité de vie. Lorsque la quantité de virus est de <20 copies/ml de sang, la transmission est considérée comme éliminée (“Undetectable = Untransmissable”). Cette démarche s’accompagne d’une récupération du système immunitaire (augmentation du nombre de cellules CD4).
Au fil des ans, des antirétroviraux présentant une efficacité et une tolérance améliorées ainsi que des propriétés pharmacocinétiques plus favorables ont été mis au point. Aujourd’hui, il existe des substances qui ciblent différentes parties du cycle de réplication virale (Fig. 1). La commodité du traitement s’est considérablement améliorée avec l’introduction de préparations combinées. En 2012, Atripla® a été le premier médicament combiné à obtenir une autorisation de mise sur le marché en Suisse, suivi en 2019 par Symtuza® et Juluca® et en 2020 par Delstrigo® et Dovato® [1,4].
Un traitement à temps prévient la progression de la maladie
Dans le passé, il y avait une certaine confusion quant au moment où les patients devaient être traités par un traitement antirétroviral (TAR). Aujourd’hui, la règle veut que tout patient séropositif reçoive un tel traitement, quel que soit son état immunitaire, souligne le Dr Conen, en précisant que les infections opportunistes ne sont pas seulement à craindre lorsque le taux de CD4 est élevé, mais aussi lorsqu’on retarde longtemps le traitement et que les valeurs de cut-off du nombre de cellules CD4 sont fixées trop bas [1]. D’autre part, la toxicité est moindre en cas de période prolongée sans traitement. Les traitements contre le VIH disponibles aujourd’hui étant bien tolérés, il n’y a plus de raison de retarder un traitement en raison d’une éventuelle toxicité, a déclaré l’intervenante.
Concrètement, selon l’OMS, la valeur seuil pour commencer un traitement est depuis 2013 un nombre de cellules CD4 <500/µl, indépendamment du stade clinique [5]. Cette décision se fonde sur des données issues d’études de cohorte qui ont montré que les bénéfices d’un début de traitement à ce moment-là l’emportent sur les risques éventuels, en ce sens que la progression de la maladie et le risque de mortalité qui y est associé peuvent être freinés. En outre, il a été démontré qu’un début précoce du TAR permettait de réduire le risque de transmission sexuelle à un partenaire sexuel séronégatif [5]. Chez les patients présentant certaines comorbidités telles que la tuberculose, l’hépatite B (VHB), ainsi qu’en cas de grossesse, il est conseillé d’initier un TAR indépendamment du tableau clinique ou du nombre de cellules CD4.
La prophylaxie pré-exposition offre également une protection efficace
La prise prophylactique de médicaments anti-VIH est également une méthode efficace. Le fait que la prophylaxie pré-exposition (PrEP) soit très efficace lorsqu’elle est prise de manière fiable est considéré comme prouvé . Pour la PrEP VIH chez les personnes testées négatives et présentant un risque important de contracter le VIH, il est possible d’utiliser soit le ténofovir diproxil (TDF) soit l’emtricitabine (FTC) sous forme de pilule combinée [1,6]. Une prophylaxie pré-exposition (VIH PrEP) est recommandée pour les personnes à risque et une prophylaxie post-exposition (VIH PEP) peut être administrée dans les 48 heures après une situation à risque.
La fréquence des nouveaux cas de VIH diagnostiqués chez les hommes homosexuels a diminué de manière significative depuis l’introduction de la PrEP. L’efficacité d’une PrEP quotidienne est estimée à 99% si elle est prise correctement [1,7,8]. Selon Chow et al. le nombre de traitements nécessaires pour prévenir une infection par le VIH se situe dans une fourchette de 12 à 60 [9].
La PrEP ne protège que contre le VIH, mais pas contre les autres IST. Il est recommandé d’utiliser des préservatifs en même temps, mais cela ne correspond pas à la réalité, selon l’intervenante. Un dépistage régulier des IST (gonocoques, chlamydia, lues, hépatite C) est conseillé. Les effets secondaires médicamenteux de la PrEP comprennent la tubulopathie proximale, l’ostéoporose, les troubles gastro-intestinaux et les céphalées. Si la PrEP est prise alors que le patient est déjà infecté par le VIH, une résistance au TDF/FTC peut se développer.
Gérer les comorbidités et les interactions médicamenteuses
Les personnes infectées par le VIH présentent une prévalence accrue de lymphomes, de carcinomes anaux, de carcinomes hépatiques, de maladies cardiovasculaires, d’insuffisance rénale chronique, d’ostéopénie et d’ostéoporose [1]. “Nous gérons les facteurs de risque cardiovasculaire, nous optimisons la substitution en calcium et en vitamine D pour prévenir l’ostéoporose, nous essayons de maîtriser les complications métaboliques par des ajustements thérapeutiques et des médicaments secondaires”, explique le Dr Conan [1]. De nombreux patients séropositifs présentent des complications hépatiques dues à la consommation de plusieurs substances, dont l’alcool, ou à une hépatite B ou C antérieure.
Les interactions pharmacocinétiques des antirétroviraux doivent être surveillées, car le métabolisme se fait via le système de cytochrome (CYP) du foie. Cela implique entre autres un potentiel d’interaction avec les psychotropes, les statines, les anticoagulants, les contraceptifs hormonaux, les antibiotiques, les phytopharmaceutiques. Comme l’absorption des antirétroviraux se fait à l’aide d’acide gastrique, il ne faut pas prescrire d’IPP en cas de prise de rilpivirine (Eviplera®, Odefsey®) ou d’atazanavir (Reyataz®). Pour vérifier les interactions médicamenteuses possibles, vous pouvez consulter la base de données suivante : www.hiv-druginteractions.org
Littérature :
- Conen A : Le VIH aujourd’hui. PD Dr. med. Anna Conen, MSc. FOMF Médecine interne Update Refresher (Livestream), 03.12.2020.
- BAG : www.bag.admin.ch
- Stellbrink H-J : Traitement antirétroviral de l’infection par le VIH-1. L’Internaute 2012 ; 53 : 1157-1168.
- Compendium suisse des médicaments, https://compendium.ch
- OMS. Consolidated guidelines on the use of antiretroviral drugs for treating and prevent HIV infection. Recommandations ou une approche de santé publique. 2013.
- Swissprepared.ch, www.swissprepared.ch
- Molina J-M, et al : On-Demand Preexposure Prophylaxis in Men at High Risk for HIV-1 Infection. N Engl J Med 2015 ; 373 : 2237-2246. DOI : 10.1056/NEJMoa1506273
- Mc Cormack S, et al : Pre-exposure prophylaxis to prevent the acquisition of HIV-1 infection (PROUD) : effectiveness results from the pilot phase of a pragmatic open-label randomised trial. The Lancet 2016 ; 387 ; 10013 : 53-60.
- Chow EPF, et al : Decline in new HIV diagnosis among MSM in Melbourne. The Lancet 2018 ; 5(9) : E479-E481.
- Tarr P, et al : Infection par le VIH. Forum Med Suisse 2015;15(2021) : 479-485
- Behrens G : L’avenir de la médecine du VIH : un examen critique. Dtsch Arztebl 2015 ; 112(23) ; DOI : 10.3238/PersInfek.2015.06.05.04
HAUSARZT PRAXIS 2021 ; 16(1) : 24-25 (publié le 25.1.21, ahead of print)