Avec la publication des nouvelles directives européennes sur le diagnostic et le traitement de l’hypertension artérielle, on observe un certain abandon des recommandations strictes au profit d’une plus grande flexibilité et d’une simplification de la prise en charge des patients atteints d’hypertension artérielle. Ainsi, la mesure de la pression artérielle en dehors du cabinet médical et de l’hôpital prend une importance nettement plus grande. L’objectif thérapeutique le plus commun est une pression artérielle <140/ 90 mmHg. Chez les patients âgés, une réduction de la pression artérielle en dessous de 160 mmHg systolique est souvent suffisante. En outre, les nouvelles directives soulignent à nouveau l’importance cruciale d’une stratification individuelle du risque cardiovasculaire. Les informations relatives aux facteurs de risque cardiovasculaire ne sont pas les seules à être prises en compte, il convient également de rechercher de manière ciblée les lésions d’organes terminaux préexistantes ou les maladies cardiovasculaires et rénales manifestes. Les résultats de la stratification des risques servent de base à la prise de décision concernant la meilleure stratégie thérapeutique possible et le choix du traitement médicamenteux.
Avec une prévalence de 30 à 45%, l’hypertension artérielle reste le principal facteur de risque de morbidité et de mortalité cardiovasculaires dans la population européenne [1]. Les nouvelles directives communes des sociétés européennes d’hypertension (ESH) et de cardiologie (ESC) pour le diagnostic et le traitement de l’hypertension artérielle ont été présentées à l’occasion du “23e European Meeting on Hypertension & Cardiovascular Protection” à Milan [1]. Les directives, qui ont été développées par 40 relecteurs européens pendant 18 mois, continuent de souligner l’importance primordiale du diagnostic et du traitement précoces de l’hypertension artérielle. Mais en même temps, on observe un certain abandon des recommandations strictes au profit de recommandations plus souples dans la prise en charge des patients souffrant d’hypertension artérielle. Plus encore que par le passé, les directives insistent sur le fait que le risque cardiovasculaire global doit être considéré comme un critère de décision central pour le début et le type de traitement. Le traitement de l’hypertension artérielle dans des groupes de patients spécifiques constitue également une priorité importante. L’objectif de cet aperçu est de présenter les principales nouveautés et modifications pertinentes sur le plan clinique.
MISE À JOUR : mesure de la pression artérielle et formes d’hypertension
Les mesures répétées de la pression artérielle au cabinet médical restent l’étalon-or pour le diagnostic de l’hypertension artérielle. Cependant, la mesure de la pression artérielle en dehors du cabinet médical – mesure de la pression artérielle 24h/24 ou automesure de la pression artérielle – gagne rapidement en importance, notamment en raison des avantages en termes d’économie de la santé [2] et de la plus grande implication des patients dans le contrôle de l’hypertension artérielle [3]. En outre, seule la mesure de la pression artérielle en dehors du cabinet médical rend possible le diagnostic de certaines formes d’hypertension. Il s’agit bien sûr de l’hypertension de la blouse blanche (“white coat hypertension”, pression artérielle élevée à l’intérieur mais normale en dehors du cabinet médical ou de l’hôpital), mais aussi de l'”hypertension artérielle masquée” (“masked hypertension”, pression artérielle normale à l’intérieur mais élevée en dehors du cabinet médical ou de l’hôpital) (figure 1).
Alors que l’importance pronostique de l’hypertension de la blouse blanche n’est toujours pas définitivement établie, on estime que cette forme d’hypertension artérielle masquée est comparable à une hypertension permanente en termes de risque cardiovasculaire associé [4].
La mesure de la pression artérielle sur 24 heures et l’automesure de la pression artérielle sont souvent plus efficaces que la mesure de la pression artérielle au cabinet médical pour décider d’un traitement antihypertenseur ou d’un changement de traitement, et elles complètent la stratification des risques du patient. Dans de nombreuses situations, ces méthodes sont donc reconnues comme une alternative à la mesure de la pression artérielle au cabinet (exceptions : évaluation d’une hypertension nocturne, détermination du statut “dipping” et de la variabilité de la pression artérielle). Il convient toutefois de noter que, par rapport à la mesure de la pression artérielle au cabinet médical, d’autres valeurs limites s’appliquent tant à la mesure de la pression artérielle sur 24 heures qu’à l’automesure de la pression artérielle (tableau 1) [1].
MISE À JOUR : Stratification des risques
La décision de commencer un traitement antihypertenseur médicamenteux et la stratégie thérapeutique ne doivent pas seulement prendre en compte le niveau de pression artérielle, mais aussi et surtout le risque cardiovasculaire global du patient. La détermination de ce risque individuel prend en compte les facteurs de risque cardiovasculaire connus tels que l’âge, le statut tabagique, le tour de taille ou l’indice de masse corporelle, les taux de glycémie et de cholestérol ainsi que le manque d’activité physique. Des scores de risque appropriés, tels que l’Euro-SCORE [5], permettent d’évaluer le risque cardiovasculaire individuel en tenant compte de ces paramètres. Malgré leur simplicité d’utilisation, ces scores présentent un inconvénient majeur : ils n’intègrent ni les lésions subcliniques des organes terminaux ni la présence de maladies manifestes dans l’évaluation du risque (tableau 2).
Par exemple, l’hypertrophie du ventricule gauche, qui peut être détectée relativement facilement par ECG ou échocardiographie, constitue à la fois une lésion de l’organe terminal et un facteur de risque indépendant et important de morbidité et de mortalité cardiovasculaires [6]. Il en va de même pour la limitation de la fonction rénale, qui peut être très bien évaluée à l’aide d’un dosage de la créatinine, ainsi que pour la microalbuminurie, qui peut être détectée de manière simple et fiable dans la pratique clinique [7]. En raison du très bon rapport coût-efficacité, en vue d’une meilleure stratification du risque et des implications pour le choix de l’antihypertenseur le plus approprié, la recherche des lésions des organes terminaux mentionnées ci-dessus devrait au moins faire partie intégrante de l’évaluation de routine du patient souffrant d’hypertension artérielle. D’autres constellations associées à un risque cardiovasculaire élevé à très élevé et pouvant être diagnostiquées de manière rentable dans la pratique clinique sont résumées dans le tableau 3. Par ailleurs, il existe bien sûr d’autres méthodes de stratification du risque cardiovasculaire, généralement beaucoup plus coûteuses, comme le scoring du calcium coronaire, les mesures de la fonction endothéliale ou l’IRM pour la détection des lacunes cérébrales ou des “lésions de matière blanche”. Toutefois, ces procédures ne sont actuellement recommandées que pour des questions spécifiques [1].
MISE À JOUR : Traitement antihypertenseur [1]
Aspects généraux : En outre, les modifications du mode de vie (“Lifestyle Modifications”, LSM) constituent la base non seulement de la prévention, mais aussi du traitement des patients souffrant d’hypertension artérielle. Ces changements de style de vie comprennent par exemple la restriction de la consommation quotidienne de sel à 5-6 g, le contrôle du poids corporel, la pratique régulière d’une activité physique et le fait de ne pas fumer. Chez les patients présentant un risque faible à modéré, ces mesures peuvent être testées pendant quelques mois. En l’absence de succès, un traitement médicamenteux doit toutefois être rapidement mis en place.
Traitement médicamenteux: après avoir démontré dans diverses études cliniques et méta-analyses que la réduction de la pression artérielle en tant que telle est déterminante pour le pronostic du patient, les nouvelles directives ne prévoient plus de hiérarchie des médicaments à privilégier (c’est-à-dire des substances de premier, deuxième ou troisième choix) en ce qui concerne une monothérapie initiale. Les principales classes de médicaments ont des effets similaires sur la réduction des événements cardiovasculaires, en conséquence, les inhibiteurs de l’ECA (IEC), les antagonistes des récepteurs de l’angiotensine (ARA), les bêtabloquants (BB), les antagonistes calciques (AAC) et les diurétiques (Diur) peuvent être prescrits sur un pied d’égalité. Toutefois, si le patient présente déjà des lésions d’organes terminaux ou des maladies cardiovasculaires ou rénales manifestes, le choix de la classe de médicaments doit être guidé par les comorbidités existantes (tableau 4).
Pour atteindre les valeurs cibles de pression artérielle, la plupart des patients ont besoin de plus d’un médicament. L’importance de la thérapie combinée a été réaffirmée dans les nouvelles directives, ce qui se traduit notamment par la recommandation de commencer en premier lieu par une thérapie combinée en cas de risque cardiovasculaire élevé ou de valeurs tensionnelles initialement nettement élevées. Dans ce contexte, certaines combinaisons, telles que l’association d’un IECA et d’un ARA, devraient être évitées en raison de l’absence de bénéfice supplémentaire et d’un taux d’effets secondaires plus élevé. Les combinaisons actuellement recommandées ainsi que l’algorithme thérapeutique recommandé sont résumés dans les figures 2 et 3 .
Traitement pour une pression artérielle très normale ? Jusqu’à présent, la recommandation de commencer un traitement antihypertenseur en cas de risque cardiovasculaire élevé à très élevé et de valeurs de pression artérielle élevées et normales (130-139/85-89 mmHg) reposait sur des preuves plutôt faibles. Une réévaluation des données existantes a maintenant conduit à ce que les nouvelles directives européennes ne recommandent plus de traitement dans cette plage de pression artérielle. Toutefois, ces patients doivent continuer à faire l’objet d’une surveillance étroite.
Traitement des patients jeunes et âgés souffrant d’hypertension artérielle : chez les jeunes patients, il n’est pas rare de trouver des valeurs de pression artérielle systolique isolées. Jusqu’à présent, il n’existe pas de preuve claire que ces patients bénéficient d’un traitement antihypertenseur significatif, ni que ces patients développent une hypertension artérielle manifeste au fil du temps. Toutefois, ces patients doivent être conseillés sur les changements de mode de vie et surveillés de près.
En revanche, à l’autre extrémité du spectre de l’âge, un traitement antihypertenseur peut réduire de manière très significative les événements cardiovasculaires, et en particulier la survenue d’une insuffisance cardiaque ou d’un accident vasculaire cérébral. Diverses études ont montré des effets favorables pour Diur, CAA, ACEI et ARB. En cas d’hypertension systolique isolée, très souvent constatée chez les personnes âgées, le Diur et l’AAC ont fait leurs preuves [1].
MISE À JOUR : valeurs cibles de pression artérielle
Pour les réévaluations ou les révisions pertinentes, il convient de se référer au tableau ci-dessous. Les changements par rapport aux directives précédentes incluent la décision de recommander une pression artérielle systolique de 140 mmHg comme objectif pour (presque) tous les patients. Jusqu’à présent, l’objectif de 140/90 mmHg était recommandé pour les patients à risque cardiovasculaire faible ou modéré, mais un objectif de pression artérielle de 130/80 mmHg était indiqué pour les patients à haut risque. Chez les personnes de plus de 80 ans, un objectif de pression artérielle systolique inférieur à 160 mmHg peut déjà suffire.
Les résultats de l’étude ACCORD ont largement contribué à cette réévaluation [8]. Ensuite, le traitement antihypertenseur agressif n’a pas été en mesure de réduire le risque de maladie cardiovasculaire chez les patients souffrant d’hypertension artérielle et de diabète sucré de type 2. Au lieu de cela, le nombre de patients présentant une baisse du taux de filtration glomérulaire à moins de 30 ml/min/1,73 m2, correspondant à une réduction sévère de la fonction rénale, a doublé.
MISE À JOUR : Hypertension résistante au traitement et nouvelles formes de traitement
L’hypertension résistante au traitement est définie comme une forme d’hypertension qui n’est pas contrôlée malgré des modifications du mode de vie et un traitement par un Diur et au moins deux autres antihypertenseurs d’autres classes de substances à des doses adéquates. L’hypertension résistante au traitement peut être l’expression de problèmes liés au mode de vie, de la prise chronique de substances hypertensives, de formes d’hypertension secondaires, du syndrome d’apnée obstructive du sommeil, mais aussi l’expression de lésions d’organes terminaux non encore détectées – comme une insuffisance rénale – qui entraînent une hypertension. De bons effets antihypertenseurs ont été observés dans cette situation avec l’utilisation d’antagonistes des récepteurs aux minéralocorticoïdes (ARM ; spironolactone, éplérénone), la doxazosine, une augmentation de la dose de diurétiques ou l’utilisation de diurétiques de l’anse [9].
Les nouvelles méthodes de traitement de l’hypertension réfractaire – et notamment la dénervation rénale, principale innovation dans le domaine du traitement antihypertenseur (voir l’article du Dr Ewen et al., p. 10 et suivantes) – se répandent actuellement à une vitesse fulgurante. Les études menées jusqu’à présent montrent des résultats prometteurs en termes de réduction de la pression artérielle [1, 10]. Toutefois, les études à long terme sur la sécurité et l’efficacité par rapport au meilleur traitement médicamenteux possible font toujours défaut. En outre, on ne sait pas encore si les nouvelles procédures techniques peuvent réduire la morbidité et la mortalité cardiovasculaires.
PD Dr. med. Thomas Dieterle
Littérature :
- The Task Force for the management of arterial hypertension of the European Society of Hypertension (ESH) and of the European Society of Cardiology (ESC). 2013 ESH/ESC guidelines for the management of arterial hypertension. J Hypertens 2013 ; 31 : 1281-1357.
- Lovibond K, et al : Lancet 2011 ; 378 : 1219-1230.
- Nielsen M, et al. : Benefits of implementing the primary care patient-centered medical home : a review of cost and quality results 2012. www.healthtransformation.ohio.gov. Dernier accès : 14/09/2013.
- Fagard RH, et al : J Hypertens 2007 ; 25 : 2193-2198.
- Graham I, et al : Eur Heart J 2007 ; 28 : 2375-2414.
- Bombelli et al : J Hypertens 2009 ; 27 : 2458-2464.
- Ninomiya T, et al : J Am Soc Nephrol 2009 ; 20 : 1813-1821.
- The ACCORD Study Group : NEJM 2010 ; 362 : 1575-1585.
- Volpe M, et al : Expert Rev Cardiovasc Ther 2010 ; 8 : 811-820.
- Schmieder R, et al : J Hypertens 2012 ; 30 : 837-841.
CARDIOVASC 2013 ; No. 5 : 4-8