Le nombre de patients en chirurgie viscérale a considérablement augmenté ces dernières années. Après de grandes opérations avec ouverture de la paroi abdominale suite à des maladies chroniques, oncologiques ou aiguës, presque tous les patients souffrent de faiblesse musculaire, d’une diminution de la fonctionnalité physique et d’une réduction de la capacité cardiopulmonaire. Ainsi, deux axes de traitement importants s’opposent dans la rééducation : d’une part, un traitement optimal et sans complications de la plaie chirurgicale et, d’autre part, le meilleur reconditionnement possible des capacités physiques pour retrouver mobilité et autonomie. Le traitement postopératoire doit donc être multidisciplinaire et complété par une éducation et une instruction détaillées du patient pour qu’il adopte un comportement respectueux de la paroi abdominale lors de l’entraînement et de la thérapie.
D’après les résultats d’une enquête [1], les médecins spécialistes donnent des indications différentes sur les limites de l’effort à fournir et sur les activités et mouvements qui peuvent être autorisés à tel ou tel stade de la rééducation. Tout le monde s’accorde à dire que la paroi abdominale ouverte en peropératoire doit être mise en décharge pendant les phases de cicatrisation de la plaie, soit de six semaines à trois mois selon la gravité, afin de garantir une fermeture optimale de la plaie et d’éviter les complications.
Pour le thérapeute, le défi consiste donc à garantir un entraînement de reconstruction axé sur la vie quotidienne, qui préserve la paroi abdominale, avec une intensité efficace pour l’entraînement, mais sans surcharger la structure de la cicatrice abdominale.
Bases médicales
Il existe depuis longtemps des connaissances détaillées sur la capacité de charge structurelle postopératoire des tissus ouverts. Divers auteurs ont ainsi rapporté qu’un segment de tissu ouvert ne retrouvera jamais sa pleine capacité de charge [2]. Immédiatement après la fermeture de la plaie, la capacité de charge des tissus est réduite de moitié environ. Même après un an, il présente généralement moins de 90% de sa capacité de charge initiale. En outre, on peut s’attendre à ce que le tissu cutané ouvert soit plus rapidement résilient que le tissu musculaire blessé en dessous [3]. Dans le domaine des techniques médicales et chirurgicales, de grands progrès ont été réalisés avec les opérations laparoscopiques. Lorsque cela est approprié, il est possible de travailler avec des incisions plus petites et donc de moins endommager les tissus. Dans le meilleur des cas, cela permet une cicatrisation plus rapide de la plaie, une réduction de la douleur et une récupération rapide du patient [4].
Si la paroi abdominale est mise en charge trop tôt, la cicatrisation de la plaie et de la cicatrice peut être retardée et le tissu cicatriciel profond peut éventuellement se fissurer. La stabilité mécanique peut également être réduite à long terme [5].
Les autres complications sont les fractures ou les hernies cicatricielles, les infections et l’augmentation de la douleur. Outre les pressions et les tractions mécaniques dues à l’activité des muscles abdominaux, la pression intra-abdominale et la tension de la paroi abdominale sont d’autres facteurs d’influence essentiels et nettement plus difficiles à mesurer pour la protection de la paroi abdominale. Les cicatrices abdominales après une opération viscérale, illustrées sur la figure 1, donnent une idée de l’importance d’un traitement postopératoire aussi exempt de tensions que possible pour la cicatrisation.
Procédure et directives
Les informations fournies par les chirurgiens pour le suivi postopératoire sont très variables. Les consignes générales vont de “soulever un maximum de cinq kilogrammes pendant six semaines” à “faire des efforts en fonction des symptômes”. Les restrictions concrètes vont de “vélo ergomètre seulement après la quatrième semaine” à “vélo ergomètre autorisé en général”. Ces différences sont certainement dues à l’individualité du patient et de l’indication (âge, cicatrisation attendue en cas de diagnostics secondaires tels que le diabète, l’obésité, les tissus, l’incision, etc.
Il convient également de noter que la prise de médicaments contre la douleur affecte à la fois la perception du corps et la perception de la douleur. De ce fait, le thérapeute n’a pas nécessairement la certitude que les exercices indolores ne représentent généralement pas une surcharge pour les tissus.
Préserver la paroi abdominale au quotidien
La réadaptation en milieu hospitalier a pour objectif fondamental de réintégrer le plus rapidement possible les patients dans leur environnement habituel avec la plus grande autonomie possible, dans une perspective globale. Dès le premier jour postopératoire, il y a inévitablement des situations qui peuvent représenter une charge trop importante pour la paroi abdominale. Cela nécessite une bonne formation et des instructions au patient pour qu’il prenne soin de lui-même et gère correctement ces situations. Sur le plan médical, des dispositions doivent être prises (fig. 2 et 3) pour aider le patient à respecter ces consignes.
Ainsi, une constipation ou une obstruction de la prostate peut entraîner des manœuvres de poussée lors de l’utilisation des toilettes, ce qui augmente massivement la tension de la paroi abdominale. La toux, les éternuements et le rire font également partie d’une catégorie difficile à contrôler pour le patient et nécessitent une bonne information et instruction par toutes les disciplines concernées (tableau 1).
Il est possible d’utiliser une ceinture abdominale pour soulager la cicatrice tout en stabilisant le tronc avec une légère pression. Les patients trouvent généralement cela subjectif et agréable. Souvent, le port d’une ceinture abdominale est même obligatoire dans le cadre du schéma de post-traitement.
Préservation de la paroi abdominale dans l’entraînement et la thérapie
L’éducation et l’instruction du patient décrites ci-dessus concernant un comportement quotidien qui préserve la paroi abdominale sont transmises de manière uniforme par toutes les disciplines telles que les soins, la médecine et la thérapie dans le cadre d’une rééducation stationnaire. Les physiothérapeutes et les thérapeutes sportifs sont responsables des programmes d’entraînement et d’exercices individuels et réalisables. Là encore, le patient doit pouvoir se faire une idée cohérente des mouvements réalisables dans le cadre de la rééducation et de ceux qui peuvent représenter un surmenage. L’objectif est d’augmenter le volume et l’intensité de l’activité physique à mesure que la cicatrisation progresse.
Musculation et thérapie médicale d’entraînement
De nombreux exercices de musculation entraînent une co-activation stabilisatrice des muscles du tronc qu’il est difficile d’éviter [6]. Ce mécanisme, nécessaire à la posture et à la statique du corps, est souhaité dans l’entraînement général de la force et, dans la plupart des cas, il est délibérément recherché et provoqué afin de rendre les exercices fonctionnels et globaux. Dans le cas d’une procédure postopératoire de préservation de l’abdomen, ce mécanisme, difficile à diriger et à contrôler, doit être minimisé autant que possible.
Dans une étude pilote [1] menée à la clinique d’altitude de Davos à Zurich, l’activité des muscles abdominaux de sujets sains a été comparée à l’aide d’un EMG de surface lors de divers exercices de musculation avec les valeurs mesurées lors d’activités quotidiennes. Cela a permis d’établir un catalogue d’exercices appropriés et inappropriés qui ne peut pas être transposé tel quel dans l’entraînement des patients, mais qui permet de fonder le choix des exercices sur des données compréhensibles. Concrètement, il s’avère que les appareils de musculation classiques tels que le rameur, la presse pectorale ou la presse à jambes peuvent être utilisés sans risque, même à des intensités élevées, si le haut du corps peut être soulagé en s’appuyant dessus. En revanche, les exercices libres avec des haltères courts ou à la poulie dépassent nettement toutes les charges ADL, même à une intensité moyenne.
En revanche, en position assise avec le buste appuyé, de nombreux exercices, y compris à la poulie, impliquent une co-activation nettement moins importante des muscles du tronc. Le tableau 2 résume les principaux principes d’un entraînement qui préserve la paroi abdominale.
Entraînement sur ergomètre
Comme nous l’avons vu plus haut, les avis divergent quant à savoir si un entraînement d’endurance sur bicyclette ergométrique est réalisable et à partir de quel stade. La valeur ajoutée d’un entraînement cardio-pulmonaire submaximal est indéniable : stabilisation du système cardiovasculaire, activation des muscles et du métabolisme, amélioration de la perception du corps et de l’estime de soi. Comme pour les autres exercices, l’intensité, l’étendue et le choix de l’équipement lui-même sont déterminants. Le ressenti subjectif du patient est ici absolument primordial. Il est impératif d’éviter la surcharge et le surentraînement.
Les comparaisons d’images suivantes (fig. 4 et 5) montrent la différence que font la position assise et le réglage des pédales, en particulier chez les patients en surpoids ou porteurs d’une iléostomie.
La flexion au niveau de l’articulation de la hanche sur la figure 5 est nettement plus faible lorsque le rayon de pédale est raccourci et que le réglage du siège est adapté, ce qui réduit considérablement le mouvement et “l’agitation” dans la région abdominale. Cet aspect semble à première vue très banal, mais dans la pratique, il s’avère qu’en particulier chez les patients obèses postopératoires ou les patients porteurs d’une stomie, un entraînement sans réduction du rayon de pédale est subjectivement désagréable, voire douloureux, et donc contre-indiqué. Le raccourcissement du levier et l’augmentation de l’effort de pédalage qui en résultent peuvent être compensés par une réduction de la puissance d’entraînement en watts. Une alternative est bien sûr l’entraînement à la marche sur tapis roulant, éventuellement à la course à pied. avec une légère pente, peut être choisi pour gérer l’entraînement cardiovasculaire. D’autres appareils comme les rameurs ergométriques, les ergomètres pour le haut du corps ou les vélos elliptiques sont à éviter en raison de l’activité des muscles du tronc.
Discussion
Comme pour d’autres restrictions postopératoires, par exemple une mise en charge partielle après une prothèse totale de hanche, il s’avère que le patient ne respecte pas entièrement les procédures prescrites dans la vie quotidienne, ni ne peut les suivre de manière réaliste [7]. Il est donc également clair qu’il convient d’informer, d’instruire et de conseiller le patient individuellement, en fonction de sa situation et sur la base de ses questions et de ses craintes, en plus des directives générales en vigueur. Il faut se méfier d’une protection excessive de la paroi abdominale, car elle peut favoriser une respiration inutile, une immobilisation ou une constipation. Une fois la cicatrisation terminée, il est important de faire travailler progressivement les muscles du tronc, qui ont été soulagés pendant la “période de repos”, afin de prévenir les déséquilibres et les faiblesses musculaires. Cette information ne doit pas non plus être cachée au patient, afin qu’il puisse reprendre confiance en son corps et en sa capacité à supporter l’effort.
Si tous les aspects sont pris en compte, rien n’empêche d’entraîner activement le patient très tôt après une opération viscérale et de garantir ainsi une rééducation globale. Il est également important du point de vue de l’économie de la santé : on peut s’attendre à une reconditionnement et à une autonomie plus rapides et, par conséquent, à une durée de séjour plus courte dans la clinique de rééducation.
Silvio Catuogno
Sandra Brülisauer
Littérature :
- Strub C, et al : EMG based conclusions for an abdominal gentle medical training therapy. Swiss Med Wkly 2009 ; 139 (7-8) : 169.
- Fast J, Nelson C, Dennis C : Rait of gain in strength in sutured abdominal wall wounds. Surg Gynecol Obstet 1947 ; 84 : 685-688.
- Ellis H : La cause et la prévention des adhérences intrapéritonéales postopératoires. Surg Gynecol Obstet 1971 ; 133 : 497-511.
- Schwenk W, et al : Short term benefits for laparoscopic colorectal resection. Base de données Cochrane 2001.
- Vogt HJ : Cicatrices. Hippokrates Verlag ; Stuttgart 1993 ; 15-19.
- Arokoski JP, et al : Fonctionnement des muscles dorsaux et abdominaux pendant les exercices de stabilisation. Archives of Physical Medicine and Rehabilitation 2001 ; 82(8):1089-1098.
- Klöpfer-Krämer I, Augat P : Charge partielle en rééducation. Der Unfallchirurg 2010 ; 113(1) : 14-20.
InFo Oncologie & Hématologie 2014 ; 2(6) : 12-16