Le sepsis est défini comme un dysfonctionnement d’organe menaçant le pronostic vital, provoqué par une réponse immunitaire déréglée à une infection. Le dépistage précoce est d’une importance capitale pour le pronostic dans l’enfance. Il est crucial de reconnaître les signes cliniques d’alerte non spécifiques mais très sensibles afin de mettre en place le traitement de soutien et antibiotique le plus rapidement possible, mais le suivi est également d’une importance capitale après un traitement réussi.
Le terme sepsis décrit un syndrome, c’est-à-dire des symptômes non spécifiques apparaissant ensemble et signalant un dysfonctionnement infectieux et inflammatoire de plusieurs systèmes d’organes. La distinction avec les réactions inflammatoires systémiques bénignes (SIRS) dues par exemple à des infections virales intercurrentes étant imprécise selon les anciennes définitions du sepsis de 1991 et 2001 [1], et afin de tenir compte de la pathogenèse et de la menace, le sepsis a été redéfini dans la troisième conférence de consensus internationale la plus récente, Sepsis-3, comme un dysfonctionnement d’organe mettant en jeu le pronostic vital, provoqué par une réponse immunitaire déréglée à une infection.
La difficulté au quotidien est bien sûr de reconnaître le sepsis à son stade initial. C’est important, car la détection précoce et le traitement immédiat ont une influence décisive sur le pronostic. Il est bien connu que chaque heure de retard avant la réversion réussie du choc double la mortalité du sepsis. En accord avec cela, un travail récemment publié sur 130 enfants atteints de sepsis sévère ou de choc septique a montré une mortalité 3 à 4 fois plus élevée lorsque la latence entre l’apparition des symptômes du sepsis et la première dose d’antibiotique est supérieure à trois heures [2]. La raison en est que les septicémies fulminantes se déroulent de manière exponentielle, de sorte que chaque étape précédente de la cascade infernale potentialise les événements suivants. Aujourd’hui encore, la plupart des enfants qui succombent à une septicémie grave meurent dans les 24 à 48 heures suivant leur hospitalisation.
La détection précoce de la septicémie
La détection tardive d’une septicémie est fréquente non seulement dans les cabinets médicaux et les services d’urgence, mais aussi chez les patients hospitalisés. Plusieurs études récentes se sont donc concentrées sur l’amélioration de la détection précoce du sepsis. Des expériences positives ont été rapportées avec un algorithme de détection précoce du sepsis pour les enfants hospitalisés, basé sur une anomalie de température, définie comme une température corporelle de <36,0°C ou >38,5°C, plus une tachycardie et/ou une brady- ou tachypnée comme signes d’alerte [3]. Ces signes d’alerte se sont révélés très sensibles, mais, comme on pouvait s’y attendre, peu spécifiques. Les valeurs limites de fréquence cardiaque et respiratoire utilisées à cet effet, adaptées à l’âge et à la température, sont présentées dans les tableaux 1 et 2. Le tableau montre que pour chaque augmentation de 0,5 à 0,6°C de la température, la limite de fréquence cardiaque augmente de 5/min à chaque fois. Les limites s’appliquent à condition que les facteurs supplémentaires tels que la douleur, l’anémie, la déshydratation, etc. soient exclus.
Un autre travail a évalué, sur la base de près de 20 000 enfants présentant des anomalies de température (<36,0°C ou >38,5°C), un algorithme systématique de détection précoce du sepsis par rapport à une évaluation clinique conventionnelle dans une population typique de notre quotidien, avec une prévalence très faible du sepsis, de seulement un cas pour 200 enfants [4]. Cet algorithme prenait en compte différents paramètres vitaux ainsi que le temps de recapillation, la vigilance et un éventuel morbus de base et s’est avéré très sensible avec une valeur prédictive négative de plus de 99,5%, mais seulement 2,5% des enfants détectés positifs avaient effectivement un sepsis. En revanche, l’évaluation clinique était moins sensible, mais nettement plus spécifique. Les algorithmes de détection précoce ont donc avant tout une fonction de “drapeau rouge”.
Le message est qu’un bon taux de détection précoce conduit inévitablement à ce que la suspicion ne soit pas confirmée chez de nombreux enfants, ce qui ne doit pas être interprété comme un manque de sens clinique.
Diagnostic de la septicémie
Bien que la conférence internationale de 2001 sur la définition du sepsis ait spéculé sur le fait qu’à l’avenir, la réaction inflammatoire systémique ne serait plus identifiée cliniquement, mais uniquement biochimiquement et immunologiquement, les biomarqueurs ne sont toujours pas décisifs pour le diagnostic du sepsis, car ils ne peuvent ni exclure un sepsis au stade précoce, ni être spécifiques à celui-ci [5]. Le diagnostic est avant tout clinique, les examens de laboratoire font partie de l’élaboration du diagnostic. L’analyse des gaz du sang (acidose) et le dosage des lactates reflètent l’ampleur de la restriction cardio-pulmonaire. Une élévation initiale du lactate, généralement considérée dans le sepsis comme l’expression d’une microcirculation insuffisante, semble également être un marqueur d’un pronostic plus grave chez les enfants, même si les données sont moins robustes que chez les adultes. Ainsi, chez 1 300 enfants atteints de septicémie, la mortalité a été multipliée par trois lorsque le lactate initial était de >4 mmol/L. Les résultats de l’étude ont montré que le taux de lactates était plus élevé chez les enfants atteints de septicémie que chez les autres. Cependant, les augmentations du lactate dans le sepsis peuvent également être dues à une augmentation de la glycolyse adrénergique ou à une diminution de la clairance hépatique. Les examens microbiologiques, les techniques d’imagerie et les valeurs d’organes et d’inflammation font également partie du traitement diagnostique, ces dernières étant utiles comme paramètres d’évolution. Cependant, la protéine C-réactive et la procalcitonine ne permettent pas d’écarter la suspicion de sepsis [6].
Prise en charge initiale de l’enfant septique
Les principaux piliers du traitement du sepsis en cas d’urgence restent l’oxygène, la substitution par des liquides cristallins, les antibiotiques empiriques et l’assistance respiratoire si nécessaire. Les liquides doivent être administrés généreusement, mais en fonction de l’effet recherché. Cela reste vrai après la publication de l’étude FEAST, qui a suscité une certaine incertitude, car dans cette étude, l’administration initiale de bolus à plus de 3000 enfants africains se présentant aux urgences avec de la fièvre et une perfusion périphérique compromise était associée à une mortalité plus élevée [7]. Des études récentes suggèrent également que l’insuffisance circulatoire est un facteur pronostique déterminant et qu’une substitution hydrique insuffisante est l’une des causes évitables d’infections bactériennes graves et létales [8].
Il va de soi que la surveillance doit être continue, car la stabilité respiratoire et circulatoire peut changer rapidement. L’oxymétrie de pouls et le schéma respiratoire, la fréquence cardiaque et la circulation sanguine périphérique ainsi que la vigilance et la réactivité sont les paramètres les plus importants.
Que faire dans la pratique (si disponible et réalisable) ?
- Monitoring et, le cas échéant, Basic Life Support (BLS)
- Oxygène, 1-2 (-4) L/min par lunettes nasales
- Liquide, NaCl 0,9% ou Ringer lactate, 20 ml/kg en bolus, à répéter éventuellement
- hémocultures, à condition qu’il n’en résulte pas un retard substantiel de la première administration d’antibiotiques [9].
- Antibiotique à large spectre
Les recommandations actuelles ont pour objectif d’administrer le premier bolus de liquide dans les 30-60 min [5] et la première dose d’antibiotique dans les 60 min [9] après la reconnaissance du sepsis. L’étendue des soins primaires dans la pratique dépend donc non seulement de l’état de l’enfant et des disponibilités locales, mais aussi du délai prévu avant l’arrivée de l’équipe d’urgence ou à l’hôpital. Les créneaux horaires mentionnés peuvent alors servir d’aide à la décision.
Suivi des patients
Bien que l’on estime qu’un tiers des décès dans les grandes unités de soins intensifs pédiatriques concernent des enfants atteints de septicémie, plus de 70 à 80% des enfants non oncologiques souffrant de septicémie sévère ou de choc septique survivent et retournent chez leur médecin traitant.
Les nouveaux épisodes de septicémie grave au cours de l’évolution sont extrêmement rares chez les enfants immunocompétents, mais ces derniers restent des enfants à risque pendant les premiers mois suivant leur sortie de l’hôpital. Près de la moitié des patients doivent être réhospitalisés dans les mois qui suivent un sepsis sévère, en moyenne trois fois et le plus souvent en urgence [10]. Cela concerne surtout les enfants présentant des comorbidités et les très jeunes enfants.
Environ 1/3 des survivants de l’étude SPROUT portant sur 500 enfants atteints de sepsis sévère présentaient encore une perte plus ou moins importante des compétences neuromotrices à la sortie de l’hôpital ou après 90 jours, selon le score de la catégorie globale de performance pédiatrique (POPC) [11]. Par analogie, une étude de suivi neuropsychologique portant sur des enfants hospitalisés en soins intensifs 3 à 6 mois après une maladie grave a révélé que les enseignants avaient constaté les difficultés scolaires suivantes chez ces enfants par rapport à des témoins sains [12]:
- une baisse de la performance académique dans 29% vs 4%, p=0,007
- plus de difficultés à terminer les travaux scolaires dans 33% vs 8%, p=0,01
- une diminution de la capacité d’attention partagée dans 44% vs 11%, p=0,004
- une diminution de la capacité à envisager différentes options dans 44% vs 8%, p=0,001
Les enfants ayant eu une méningo-encéphalite ont obtenu les plus mauvais résultats, suivis de ceux ayant eu une septicémie. Les déficits de la mémoire et de l’attention sont les plus fréquents. Différents facteurs sont évoqués comme causes. D’une part, on peut supposer que 30% des enfants souffrent d’un trouble de stress post-traumatique (TSPT), ce qui peut notamment entraîner des troubles de l’attention et d’autres fonctions exécutives. D’autre part, les lésions cellulaires neuronales dues aux microabsorptions, à l’inflammation systémique et aux troubles de la microcirculation jouent probablement un rôle et peuvent impliquer d’autres domaines cognitifs en plus des troubles fonctionnels mentionnés ci-dessus. Les déficits les plus marqués sont observés chez les enfants qui ont subi des crises convulsives au cours de la septicémie, qui sont d’une part un symptôme d’irritation des cellules neuronales, mais qui peuvent d’autre part être nocives pour les cellules si elles durent longtemps. On sait peu de choses sur le pronostic à long terme. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, les enfants plus jeunes semblent être plus touchés par les dommages permanents que les enfants plus âgés en raison d’une plus grande vulnérabilité de la plasticité cérébrale.
L’insuffisance rénale aiguë dans le cadre d’un sepsis est fréquente et augmente la mortalité et le risque de séquelles cérébrales, mais le pronostic à long terme de la fonction rénale est peu connu. De nombreux enfants sont perdus pour le suivi. La littérature suggère qu’au moins 10% des enfants présentent une fonction rénale pathologique à long terme, sous la forme d’une microalbuminurie, d’une protéinurie ou d’une hypertension artérielle, et que jusqu’à la moitié des personnes concernées présentent un débit fonctionnel glomérulaire (DFG) légèrement diminué, dont la valeur clinique n’est pas claire en termes de pronostic à long terme. Des analyses régulières du sédiment urinaire et des mesures de la pression artérielle à intervalles croissants sont donc conseillées à long terme [13].
La fonction cardiovasculaire semble généralement bien récupérée, la morbidité pulmonaire à long terme dépend de l’étendue de l’atteinte pulmonaire ou de la survenue d’un syndrome de détresse respiratoire aiguë (SDRA).
Résumé
La détection précoce de la septicémie est essentielle chez les enfants. En l’absence de marqueurs spécifiques, celle-ci s’appuie sur des signes d’alerte très peu spécifiques mais très sensibles, tels qu’une température anormale, une tachycardie, une respiration approfondie, une apathie et une diminution de la vigilance. L’oxygène, la BLS si nécessaire, un premier bolus de liquide et des antibiotiques à large spectre sont les étapes thérapeutiques initiales. Le suivi revêt une grande importance, notamment en ce qui concerne les déficits neuropsychologiques et, le cas échéant, les troubles de la fonction rénale.
Messages Take-Home
- Le sepsis est redéfini comme un dysfonctionnement d’organe mettant la vie en danger, provoqué par une réponse immunitaire déréglée à une infection.
- Les évolutions fulminantes étant fréquentes, un dépistage précoce est essentiel pour le pronostic. Celle-ci repose sur des signes non spécifiques d’anomalie de température, de tachycardie, de brady- ou tachypnée, plus une suspicion clinique. L’apathie et la diminution de la vigilance sont d’autres signes d’alerte importants.
- L’oxygène, la substitution par des liquides cristallins, les antibiotiques empiriques et l’assistance respiratoire si nécessaire sont les pierres angulaires des soins primaires.
- Au cours des premiers mois suivant la sortie de l’hôpital, les enfants doivent être suivis de près. A plus long terme, ce sont surtout des déficits neuropsychologiques et, le cas échéant, des séquelles néphrologiques qui sont à prévoir et qui justifient des contrôles d’évolution appropriés.
Littérature :
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