Les infections sexuellement transmissibles de l’anorectum peuvent imiter les maladies inflammatoires chroniques de l’intestin. Pour un diagnostic correct, l’entretien d’anamnèse doit se dérouler dans un climat de confiance et d’empathie.
Une brève description du cas : un homme de 41 ans qui s’adresse lui-même per anum en raison d’un écoulement muqueux et sanguin. Les plaintes existent depuis un an. Il y a dix mois, il a été examiné et un antibiotique lui a été prescrit, ce qui a réduit l’intensité des symptômes pendant un certain temps. L’anamnèse personnelle révèle un traitement pour canal rachidien étroit et une carence chronique en fer. Les documents demandés révèlent que le patient a été transféré d’un service d’urgence vers le service de gastro-entérologie du même établissement dix mois auparavant. L’examen de l’époque, rectoscopie et endosonographie rigide, a révélé un ulcère dans le rectum et une proctite. Des biopsies ont été prélevées, mais pas de frottis. Le fait que l’homme ait eu des relations sexuelles avec des hommes est mentionné dans le rapport d’enquête.
L’anoscopie et la sigmoïdoscopie flexible (Fig. 1) que nous avons réalisées montrent un ulcère dans le canal anal, correspondant soit à un effet primaire de la lèse, soit à un lymphogranulome vénérien. Le frottis est positif pour N. gonorrhoeae et Chlamydia trachomatis, sérovars L1, L2, L3 et L2B. Après un traitement par 2× 100 mg de doxycycline, le patient ne présente plus de symptômes après quelques semaines. Des contrôles ultérieurs révèlent des condylomes acuminés traités par le beamer à l’argon, sans récidive depuis lors. Un an plus tard, nouvelle auto-affectation après un contact sexuel avec un homme chez qui une gonorrhée a été diagnostiquée. Les prélèvements (oraux, anaux, urétraux) de notre patient étaient négatifs, un traitement préemptif de 2 g de Rocephin® i.m. a été mis en place.
Un deuxième cas : un homme de 48 ans, assigné pour une proctite chronique. Depuis deux mois, écoulement de mucus et de sang per anum, il existe une marisque dorsale très dolente. Épisode similaire il y a quatre ans, jugé à l’époque comme une proctite ulcéreuse. Infection par le VIH connue depuis cinq ans, traitée depuis huit mois, avec un nombre de cellules CD4+ désormais normal et un virus IH supprimé. Le patient a eu des rapports sexuels non protégés avec des hommes.
L’anorectoscopie montre une proctite distale très florale avec de grands plis cutanés, en partie macérés. Les frottis sont positifs pour N. gonorrhoeae et C. trachomatis. Leur différenciation donne le sérovar L2b, ce qui prouve le diagnostic de lymphogranulome vénérien. Le processus de guérison est lent. Après un deuxième traitement de 2× 100 mg de doxycycline pendant trois semaines, la proctite guérit complètement. Les marisques persistantes sont réséquées à la demande du patient. Un an plus tard, nouvelle présentation avec l’image d’une récidive de LGV, confirmée par PCR et à nouveau traitée avec succès par la doxycycline.
Relevé des antécédents médicaux
En cas de proctite nouvellement diagnostiquée chez un homme, la possibilité d’une infection sexuellement transmissible doit être envisagée. Le médecin doit alors être conscient que l’homosexualité signifie différentes choses : comportement sexuel, préférence sexuelle et identité. La question pertinente ici est : “Avez-vous eu des rapports sexuels avec un homme dans le passé ?” Comment aborder cette question avec tact dans une conversation ? Une façon de le faire est de mentionner que les agents pathogènes sexuellement transmissibles peuvent provoquer des tableaux cliniques similaires à ceux de “notre” patient. Il convient ensuite de noter qu’il est difficile, mais néanmoins important, de parler de sexe, suivi d’une déclaration selon laquelle le médecin ne valorise pas l’activité sexuelle ou les maladies transmissibles. Par exemple, en disant que “le sexe fait partie d’une vie saine, chacun le pratique à sa manière”. Il faudrait également préciser que ces maladies sont répandues chez les hommes ayant eu des rapports sexuels avec des hommes et qu’elles peuvent être traitées efficacement. Le patient doit avoir la possibilité de répondre à ces déclarations en faisant des pauses. Une conversation menée avec empathie et tact permet d’instaurer la confiance et de faire tomber les barrières. Si l’on peut répondre à la question ci-dessus, on se rapproche du diagnostic. Se rabattre sur les maladies intestinales chroniques à médiation auto-immune, moins “délicates”, revient à passer à côté du diagnostic.
Diagnostic
L’anamnèse et les examens cliniques doivent être complétés par des prélèvements intra-anaux pour la détection de l’agent pathogène. La technique est simple : on introduit délicatement un écouvillon rotatif de 2 à 4 cm dans l’anus et on balaie la paroi anale à plusieurs endroits. Le patient peut également le faire lui-même en suivant les instructions. D’autres écouvillons sont prélevés au niveau urétral et pharyngé. Pour des raisons de coût, les écouvillons peuvent être mis en commun, c’est-à-dire que les trois écouvillons peuvent être envoyés dans un seul récipient d’échantillon. Une PCR devrait être demandée pour les agents pathogènes les plus courants tels que Chlamydia trachomatis, N. gonorrhoeae et T. pallidum, ainsi qu’une culture et un test de résistance supplémentaires pour N. gonorrhoeae. Parmi les agents pathogènes plus rares de la proctite infectieuse figurent l’herpès simplex et, en cas d’antécédents de voyage, les amibes et Giardia lamblia. Selon le fabricant, la PCR n’est généralement pas autorisée pour les frottis rectaux, mais elle s’est avérée supérieure à toutes les autres méthodes dans les études. Les sérologies pour Chlamydia trachomatis et N. gonorrhoeae ne sont pas pertinentes en raison d’une sensibilité et d’une spécificité médiocres. Comme pour toutes les maladies sexuellement transmissibles, des sérologies supplémentaires doivent être prescrites pour le VIH, les hépatites A, B et C, et le T. pallidum.
Il est essentiel que ces résultats soient expliqués au patient en temps utile et qu’une copie soit envoyée aux autres médecins impliqués. Le traitement nécessite une surveillance et un débriefing afin d’assurer l’adhésion et d’éviter les récidives. Lors d’une consultation de suivi, il convient d’aborder la prophylaxie, notamment le “safer sex”, les tests réguliers et la PrEP (chimioprévention du VIH).
Thérapie
Le traitement d’une proctite à chlamydia, à gonocoque ou syphilitique est en principe identique à celui d’une infection génitale. On distingue plusieurs sérovars génotypiques de la chlamydia, qui se différencient par leur tropisme tissulaire et sont traités différemment. Les sérovars A-C provoquent le trachome, les sérovars D-K une urétrite, une cervicite, une pharyngite et rarement une proctite. Les sérovars L1 à L3 provoquent des proctites et des infections génito-anales telles que le lymphogranulome vénérien (LGV). Les chlamydiae des sérovars A-K sont traités par la doxycycline 100 mg deux fois par jour pendant une semaine. Les chlamydiae des sérovars L1 à L3 doivent être traitées par doxycycline 2× 100 mg pendant trois semaines. La détermination des sérovars implique un surcroît de travail, raison pour laquelle certains laboratoires ne proposent pas ces analyses dans leur offre. Dans l’ignorance des sérovars, le traitement de trois semaines est indiqué, car les sérovars L1 à L3 sont justement plus fréquents dans les proctites.
Il existe plusieurs recommandations thérapeutiques pour le traitement de la N. gonorrhoeae. Celles-ci découlent de la prise en compte des différentes épidémiologies de résistance (régions, groupes à risque). Actuellement, la bithérapie est recommandée avec une dose unique de ceftriaxone 1 g i.m. (ou i.v.) plus azithromycine 1,5 g p.o. est recommandée.
Le traitement de la syphilis est la benzathine-pénicilline 2,4 UI i.m. ventroglutéale. En cas de syphilis précoce (infection <1 an), une seule injection suffit. En cas de syphilis tardive ou si la durée de la maladie est inconnue, l’injection doit être répétée les jours 8 et 15.
Les partenaires sexuels des six derniers mois doivent, si possible, être testés pour les infections urétrales, rectales et pharyngées et traités par antibiotiques si l’agent pathogène est détecté positif. Si le test n’est pas possible, une thérapie peut être mise en place sans diagnostic préalable.
Discussion
Les deux cas ont en commun le fait que les proctites ont été jugées non infectieuses, bien que les deux patients aient dit à leurs médecins qu’ils avaient eu des rapports sexuels avec des hommes. Mais les deux patients ne se sentaient pas pris en compte, ce qui empêchait d’aborder “plus en détail” les rencontres sexuelles passées. Les deux cas ont en commun le fait qu’il s’agissait d’infections multiples et que les deux hommes se sont présentés à nouveau un an plus tard avec une nouvelle infection.
Les maladies sexuellement transmissibles sont très répandues chez les hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes (HSH). Le risque de ces infections bactériennes a augmenté au cours des dernières années. Cela s’explique par le fait que, depuis quelques années, la transmission du VIH peut être évitée par la chimioprévention (PrEP) et que les patients infectés par le VIH sous traitement ne sont pas infectieux. En raison d’une modification de la perception des risques, il n’est donc plus nécessaire d’utiliser un préservatif pour se protéger d’une infection par le VIH lors de rapports sexuels en dehors des relations monogames. Les préservatifs n’empêchent pas la transmission des infections vénériennes classiques, mais ils en réduisent la propagation. L’augmentation des maladies sexuellement transmissibles “classiques” est également attestée en Suisse.
De telles maladies sont asymptomatiques chez la majorité des HSH. Chez les patients atteints de proctite, le diagnostic peut être manqué car la clinique et les résultats de l’examen (anoscopie, sigmoïdoscopie) sont interprétés à tort comme une maladie inflammatoire chronique de l’intestin. Une série israélienne décrit 16 patients d’un même centre pour lesquels une erreur d’évaluation initiale a entraîné un retard d’un à 24 mois dans l’établissement d’un diagnostic correct. Les infections à chlamydia, N. gonorrhoeae et T. pallidum sont chroniques et sont associées à un taux de transmission de l’infection par le VIH jusqu’à neuf fois plus élevé.
Conclusion
Les infections sexuellement transmissibles de l’anorectum peuvent imiter à s’y méprendre les maladies inflammatoires chroniques de l’intestin (maladie de Crohn ou colite ulcéreuse). Le diagnostic clinique et endoscopique ne permet parfois pas de faire la distinction entre l’origine infectieuse et l’origine chronique auto-immune. Une bonne relation médecin-patient, basée sur la confiance et l’empathie, est déterminante pour le diagnostic. L’anamnèse doit être recueillie sans jugement, avec tact et empathie. Le diagnostic est simple : un frottis pour Neisseria gonorrhoeae, un pour Chlamydia trachomatis et un pour Treponema pallidum (PCR), prélevés sur l’anus, le méat urétral et la gorge, envoyés dans un kit de frottis. Le traitement peut être commencé immédiatement en cas de suspicion clinique fondée ou après l’arrivée des résultats en cas d’incertitude. En fonction de l’épidémiologie (antécédents de voyage), le diagnostic doit être étendu aux amibes et à Giardia lamblia. En cas d’ulcères douloureux de l’anoderme, il faut penser à une infection herpétique.
Un diagnostic sérologique pour le VIH, le T. pallidum, les hépatites A, B et C doit être effectué pendant le traitement. Les patients doivent être informés sur la transmission, l’évaluation du partenaire et la prévention des maladies sexuellement transmissibles. Il est essentiel de planifier rigoureusement les contrôles (sérologie, clinique) et d’indiquer où les patients peuvent s’adresser en cas de questions sur la santé sexuelle, si cela n’est pas possible dans le cabinet du médecin traitant. La prise en charge de ces patients nécessite une collaboration interdisciplinaire entre les disciplines de la médecine générale, de la dermatologie/vénérologie, de la gastro-entérologie et de l’infectiologie.
Messages Take-Home
- Les infections sexuellement transmissibles de l’anorectum peuvent imiter à s’y méprendre les maladies inflammatoires chroniques de l’intestin (maladie de Crohn ou colite ulcéreuse).
- Une relation médecin-patient basée sur la confiance et l’empathie est déterminante pour le diagnostic.
- Le diagnostic est en principe simple : prélèvements pour Neisseria gonorrhoeae, Chlamydia trachomatis et Treponema pallidum (PCR) sur l’anus, le méat urétral et la gorge, envoyés dans un kit de prélèvement. En cas d’anamnèse de voyage correspondante, le diagnostic doit être étendu aux amibes et à Giardia lamblia.
- Le traitement peut être administré immédiatement en cas de suspicion clinique fondée ou après l’arrivée des résultats en cas d’incertitude.
- Les patients doivent être informés sur la transmission, l’évaluation du partenaire et la prévention des maladies sexuellement transmissibles.
Littérature complémentaire :
- De Vries HJ : Infections sexuellement transmissibles chez les hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes. Clinics in Dermatology 2014 ; 32 : 181-188.
- Lourtet Hascoet J, et al : Aspects cliniques diagnostiques et thérapeutiques de 221 infections anorectales consécutives à Chlamydia trachomatis et Neisseria gonorrhoeae transmises par voie sexuelle chez des hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes. International Journal of Infectious Diseases 2018 ; 71 : 9-13.
- Hoentjen F, Rubin DT : Proctite infectieuse : quand la suspecter n’est pas une maladie inflammatoire de l’intestin. Dig Dis Sci 2012 ; 57 : 269-273.
- Levy I, et al : Diagnostic retardé des maladies sexuellement transmissibles colorectales en raison de leur ressemblance avec les maladies inflammatoires de l’intestin. International Journal of Infectious Diseases 2018 ; 75 : 34-38.
- Farfour E, et al. : Augmentation des infections sexuellement transmissibles dans une cohorte d’hommes séropositifs en consultation externe ayant des rapports sexuels avec des hommes en région parisienne. Médecine et maladies infectieuses 2017 ; 47 : 490-493.
PRATIQUE DU MÉDECIN DE FAMILLE 2019 ; 14(1) : 17-19