Lors de la première journée du congrès du Swiss Derma Day à Lucerne, les maladies sexuellement transmissibles étaient au centre de l’attention. Il s’agissait d’un aperçu différencié de l’épidémiologie et des possibilités de diagnostic et de traitement. Entre-temps, des casuistiques remarquables ont apporté la touche pratique nécessaire.
Le Dr Severin Läuchli, de l’Hôpital universitaire de Zurich, a fait le point sur la prise en charge de l’infection à HPV. Il s’agit de la maladie sexuellement transmissible (MST) la plus fréquente, avec 5,5 millions de nouvelles infections par an aux États-Unis, et d’un cancérogène important (cancer anal et du col de l’utérus). 90% des cancers de l’anus sont causés par l’HPV (incidence en hausse chez les hommes comme chez les femmes). Les HSH (hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes), les patients séropositifs et les patients immunodéprimés ayant subi une transplantation d’organe sont les plus susceptibles de développer un carcinome anal. Les HPV sont également présents dans 72% des cancers oropharyngés et constituent un facteur de risque indépendant d’infection par le VIH (rupture de la barrière muqueuse, cellules CD4 dans la muqueuse).
Plus de 180 types d’HPV sont connus à ce jour. En principe, les virus peuvent être classés dans les groupes dits à faible risque (dont les principaux représentants sont les HPV 6, 11) et à haut risque (dont les principaux représentants sont les HPV 16, 18). L’infection se produit par contact cutané/muqueux, généralement à un jeune âge et est souvent transitoire. La période d’incubation est de un à trois mois et 90% des infections ne sont plus détectables après deux ans. La contamination est souvent latente, mais une réactivation est toujours possible après plusieurs années. Récemment, une étude a montré que le risque de persistance du virus par voie orale augmentait significativement avec le sexe masculin, l’âge et surtout la consommation de cigarettes [1].
L’objectif du traitement est d’éliminer les verrues symptomatiques – y compris chez le partenaire, bien que le traitement du partenaire n’ait globalement pas de valeur probante. Les options thérapeutiques sont résumées dans le tableau 1. Il est recommandé de combiner un traitement par application externe (cryothérapie oulaser CO2) et un traitement auto-appliqué (podophyllotoxine pour le pénis, imiquimod périanal, éventuellement polyphénone ou 5-fluorouracile). Par exemple, si l’on combine lelaser CO2 avec l’imiquimod 3×/semaine pendant trois mois, on obtient un taux de réussite de 65,4% avec un taux de récidive de 7,3% à six mois [2].
“En ce qui concerne le risque opératoire avec lelaser CO2, même si de l’ADN viral a été détecté dans la fumée et sur l’opérateur, les verrues ne sont globalement pas plus fréquentes chez les chirurgiens laser que dans la population normale, selon une étude [3]”, a déclaré le conférencier.
Aux États-Unis, la vaccination contre le HPV est recommandée aussi bien pour les filles jusqu’à 26 ans que pour les garçons. L’OFSP recommande de vacciner toutes les jeunes filles avant leur 15e anniversaire (deux doses de vaccin avec un intervalle de 4 à 6 mois, “rattrapage” jusqu’à 26 ans avec trois doses). Au moment de l’événement, la question de savoir quels efforts de vaccination devaient être entrepris chez les garçons n’avait pas encore trouvé de réponse. Mais entre-temps, l’OFSP a également étendu ses recommandations de vaccination au sexe masculin.
Mise à jour sur les gonocoques
“Pour la première fois depuis 2014, le nombre d’infections à gonocoques est en légère baisse en Suisse”, a déclaré le Dr Philipp Cesana, de l’Hôpital universitaire de Bâle. D’un point de vue démographique, ce sont surtout les hommes (homosexuels) de la tranche d’âge 20-24 ans qui sont concernés. La période d’incubation d’une infection à Neisseria gonorrhoeae est de deux à sept jours. Les hommes développent généralement une urétrite classique, les femmes se présentent souvent avec une cervicite et une urétrite concomitante ou un tableau clinique non spécifique (chez plus de 50% des femmes, l’infection reste asymptomatique). La gonorrhée pharyngée et rectale est asymptomatique dans 90% des cas. “Chez les personnes à risque (HSH, VIH, partenaires multiples), il est donc judicieux de procéder à un dépistage des gonocoques du pharynx et du rectum”, explique le Dr Cesana. “Une technique d’écouvillonnage correctement réalisée augmente considérablement le rendement. Au niveau pharyngé, il faut veiller à exercer une pression suffisante lors de l’écouvillonnage. L’oropharynx, y compris les deux amygdales, doit être prélevé. Le déclenchement du réflexe nauséeux est en corrélation avec le taux de détection [4]”.
De toutes les méthodes de détection, les “Nucleic Acid Amplification Tests” (NAATs) ont la plus grande sensibilité diagnostique et peuvent être utilisés pour pratiquement tous les matériaux d’examen clinique. Il convient toutefois de noter que les TAAN issus d’échantillons d’urine de femmes présentent une sensibilité moindre par rapport aux prélèvements de l’appareil génital. Avant le traitement antibiotique, une culture de gonocoques doit toujours être effectuée en plus de l’amplification génique.
Des agents pathogènes hautement résistants ou des échecs thérapeutiques à la ceftriaxone n’ont pas été observés dans notre pays jusqu’à présent. Toutefois, compte tenu des tendances en matière de résistance à l’étranger, il faut s’attendre à ce que la situation en matière de résistance continue de se dégrader en Suisse également. En cas d’infection à Neisseria gonorrhoeae non compliquée de l’urètre, du col de l’utérus, du rectum ou du pharynx, les directives IUSTI/OMS 2012 recommandent une dose unique de 500 mg de ceftriaxone i.m. en association avec 2 g d’azithromycine per os. La Commission fédérale pour la santé sexuelle recommande également, pour toutes les localisations et même pendant la grossesse et l’allaitement, 500 mg de ceftriaxone, mais en association avec 1 g d’azithromycine. Le traitement dans des situations particulières (infection invasive, résistance, etc.) doit se faire en consultation avec un spécialiste. Un “test of cure”, c’est-à-dire un contrôle du traitement, est en principe indiqué pour toutes les personnes traitées (deux semaines après la fin du traitement par NAAT). Si les symptômes persistent trois à sept jours après le début du traitement ou si l’évolution est récidivante après une réponse initiale, il est impératif de procéder à une culture et, si celle-ci est négative, à un TANA complémentaire.
Tous les partenaires des 60 derniers jours doivent être testés par TAAN et culture en raison du taux élevé d’infection. Le traitement du partenaire doit être effectué simultanément (c’est-à-dire avant même que le résultat du test ne soit disponible). Si le traitement est terminé et qu’aucun symptôme n’apparaît, il faut s’abstenir d’avoir des rapports sexuels pendant une semaine.
Hépatite et IST
Selon le professeur Andri Rauch, de l’Hôpital de l’Île à Berne, l’hépatite B aiguë chez les adultes en Suisse est le plus souvent acquise par voie sexuelle. 23% des partenaires sexuels des patients atteints d’hépatite B aiguë sont également infectés dans les six mois. En ce qui concerne l’hépatite A et C, on observe des épidémies chez les hommes homosexuels, mais ces deux types de virus ne sont pas considérés en soi comme sexuellement transmissibles et se transmettent principalement par voie oro-fécale via une contamination involontaire (A) ou par le sang, par exemple par la consommation de drogues par voie intraveineuse (C). L’augmentation de l’hépatite C “sexuellement transmissible” (alors que la forme classique induite par injection diminue) est notamment due à certaines techniques sexuelles comme le fisting ou la provocation de traumatismes anorectaux sanglants, dont la pratique est en augmentation.
L’objectif de tous les traitements de l’hépatite est d’éviter les complications hépatiques à long terme. Une infection aiguë par le VHC devient plus souvent chronique qu’une infection aiguë par le VHB (50-85% contre 5-25%), le risque de cirrhose ou d’éventuel carcinome hépatocellulaire consécutif est élevé dans les deux formes après dix ans (il est parfois de 20-25%). Le cycle de vie viral détermine l’objectif du traitement dans la mesure où, dans le cas du VHB, on vise une suppression virale et qu’un traitement à vie est donc nécessaire pendant des années, alors que dans le cas du VHC, on vise une élimination du virus et donc une perspective de guérison. Ainsi, c’est surtout le traitement de l’hépatite C qui a fait l’objet de beaucoup d’attention (et de critiques) ces derniers temps. Les combinaisons d’antiviraux directs (AAD) sans interféron ont provoqué une véritable révolution, avec des taux de guérison supérieurs à 90%, et ce pour une durée de traitement plus courte, un mode d’administration plus simple et une bonne tolérance. Cependant, en raison de leur tarification et de leur accès limité, ils suscitent également de profonds débats éthiques et professionnels.
Manifestations orales
Le professeur Peter Itin, de l’Hôpital universitaire de Bâle, a présenté quelques cas de manifestations orales d’IST. Le mot d’ordre du premier cas était de ne pas oublier les causes évidentes. Un patient de 35 ans se présente pour une modification récente de la muqueuse buccale. L’anamnèse montre que l’homme est séropositif depuis des années, mais qu’il prend les médicaments antirétroviraux de manière fiable et ne présente pas de charge virale détectable. Il est dans une relation stable. L’examen physique est normal et le laboratoire ne révèle rien. Quel est le diagnostic à envisager ? L’explication la plus simple est ici la bonne : hématome après un rapport sexuel orogénital, appelé syndrome de la fellation.
Dans un autre cas, il s’agissait d’un patient souffrant d’aphtes douloureux (depuis deux mois) et d’une perte de poids de 8 kg. Le diagnostic était ici le suivant : La syphilis est le caméléon de la dermatologie”, déclare le professeur Itin. “Les lésions typiques de la muqueuse buccale dans la syphilis de stade II sont le condylome lata, l’angine spécifique, les plaques opalines et la chéilite érosive. Dans la syphilis congénitale, des manifestations dentaires (dents de Hutchinson) sont possibles”. De toute façon, la forme congénitale doit être surveillée, car ces dernières années, on a constaté une nette augmentation du nombre de femmes infectées en âge de procréer [5].
“10% des personnes infectées par le VIH ont leur première manifestation clinique dans la muqueuse buccale”, a expliqué le professeur Itin. L’une de ces manifestations, l’aphtose associée au VIH, présente par exemple les caractéristiques suivantes : localisation atypique (à n’importe quel endroit de la muqueuse buccale), taille atypique (inhabituellement grande), évolution atypique (guérison prolongée pendant des mois) et réponse thérapeutique atypique (extrêmement réfractaire au traitement).
Manifestations anorectales
Enfin, le professeur Stephan Lautenschlager, de l’hôpital municipal de Triemli, a présenté le cas d’un patient de 42 ans qui souffrait d’abcès anaux récurrents depuis un an. Il avait déjà subi trois opérations, était marié et n’avait pas déclaré de relations homosexuelles. Son anamnèse était par ailleurs sans particularité. Enfin, le lymphogranulome vénérien (provoqué par Chlamydia trachomatis L1-L3), rare dans le monde occidental mais dont la fréquence semble augmenter, a été constaté [6]. Dans les régions occidentales, cette IST touche principalement les hommes homosexuels (séropositifs). La variante L2b de Chlamydia trachomatis est la plus fréquente (la variante L2c est beaucoup plus rare). Les chiffres sont trop faibles pour documenter d’éventuelles différences cliniques entre les différentes variantes.
La maladie se présente classiquement en trois stades (tableau 2). Cependant, l’épidémie actuelle chez les hommes homosexuels se caractérise par une proctite et des ulcères anorectaux, des douleurs rectales, des pertes rectales sanglantes/purulentes, l’absence de “bosses” inguinales et une constipation. Selon une étude récente [7] portant sur 587 Néerlandais, rien n’indique actuellement que le lymphogranulome vénérien se propage aussi rapidement chez les hétérosexuels que chez les homosexuels (bien que quelques cas aient été observés en Europe ces dernières années).
Il existe globalement peu de preuves sur le traitement : on peut envisager la doxycycline orale 2× 100 mg/j pendant trois semaines (recommandé), l’érythromycine 4× 500 mg/j pendant trois semaines (deuxième ligne) et éventuellement l’azithromycine 1 g/semaine pendant trois semaines (pas de preuves). Les nouvelles directives IUSTI 2013 [8] recommandent également un dépistage des IST pour tous les patients atteints de lymphogranulome vénérien, y compris le dépistage du VIH et du VHC. Pour exclure toute réinfection, il est recommandé de procéder à un dépistage de contrôle trois mois après le diagnostic.
A l’aide de plusieurs casuistiques, le spectre possible des IST par voie périanale, endoanale et rectale a été présenté dans un aperçu final. En particulier, en présence d’une proctite, les MST doivent être incluses dans le diagnostic différentiel chez les HSH, mais aussi chez les femmes.
Source : Swiss Derma Day, 28-29 janvier 2015, Lucerne
Littérature :
- Beachler DC, et al : Risk Factors for Acquisition and Clearance of Oral Human Papillomavirus Infection Among HIV-Infected and Uninfected Adults. Am J Epidemiol 2015 Jan 1 ; 181(1) : 40-53.
- Hoyme UB, et al. : Effet de la crème adjuvante imiquimod 5% sur l’élimination durable des verrues anogénitales après le traitement au laser. Infect Dis Obstet Gynecol 2002 ; 10(2) : 79-88.
- Gloster HM, Roenigk RK : Risque d’acquisition du papillomavirus humain à partir du panache produit par le laser au dioxyde de carbone dans le traitement des verrues. J Am Acad Dermatol 1995 Mar ; 32(3) : 436-441.
- Mitchell M, et al : La technique d’échantillonnage est importante pour une isolation optimale de la gonorrhée pharyngée. Sex Transm Infect 2013 Nov ; 89(7) : 557-560.
- Meyer Sauteur PM, et al : La syphilis congénitale en Suisse : disparue, oubliée, au retour. Swiss Med Wkly 2012 Jan 11 ; 141 : w13325. doi : 10.4414/smw.2011.13325.
- Vargas-Leguas H, et al. : Lymphogranuloma venereum : a hidden emerging problem, Barcelona, 2011. Euro Surveill 2012 Jan 12 ; 17(2). pii : 20057.
- Heiligenberg M, et al. : No evidence for LGV transmission among heterosexuals in Amsterdam, the Netherlands. BMC Res Notes 2014 Jun 10 ; 7 : 355.
- de Vries HJC, et al : 2013 European Guideline on the Management of Lymphogranuloma Venereum. J Eur Acad Dermatol Venerol 2014 [epub ahead of print].
DERMATOLOGIE PRATIQUE 2015 ; 25(2) : 34-36