Les causes des douleurs thoraciques sont extrêmement variées, peuvent toucher différents systèmes d’organes dans la cage thoracique et sont – selon la cause – absolument inoffensives ou au contraire mettent la vie en danger de manière aiguë. Heureusement, au cabinet du médecin généraliste ou au service des urgences, un interrogatoire ciblé, un examen clinique et le recours à des examens complémentaires sélectionnés (électrocardiogramme, analyse de sang, imagerie) permettent de conclure à l’absence de risque dans environ 90% des situations, sans qu’il soit nécessaire de procéder à des examens complémentaires. Il s’agit en premier lieu d’exclure les circonstances dangereuses par une stratification ciblée des risques.
La douleur thoracique est un problème courant. Dans l’ensemble de la population suisse, 1 à 2 % en moyenne de toutes les personnes interrogées déclarent avoir ressenti des douleurs au niveau de la poitrine au cours des quatre dernières semaines (les femmes plus souvent que les hommes). On estime que 20 à 40% de la population totale souffrent de douleurs thoraciques au moins une fois dans leur vie. Ces plaintes font peur aux patients et, par conséquent, ce motif de consultation est très fréquent dans le cabinet du médecin généraliste, puisqu’il représente 4 à 10 % de toutes les visites médicales.
En particulier, les douleurs thoraciques aiguës dues à une pathologie cardiovasculaire sont des situations d’urgence sérieuses qui doivent être identifiées rapidement et traitées sans délai. Malgré les progrès impressionnants réalisés au cours des dernières décennies, les syndromes coronariens aigus/infarctus du myocarde, les dissections aortiques, les embolies pulmonaires, les troubles du rythme émergents, les situations/crises hypertensives et l’insuffisance cardiaque décompensée restent des pathologies qui contribuent de manière substantielle à la mortalité (et à la morbidité) de la population suisse dans son ensemble [1]. Ainsi, l’infarctus du myocarde moyen présente encore aujourd’hui une mortalité précoce (à l’hôpital) de plus de 4% [2]. Dans ce cas, il convient de mettre en place rapidement un traitement spécifique. Tout retard peut avoir des conséquences fatales sur l’évolution de la maladie ; ainsi, dans le cas d’une dissection aortique, un quart des patients décèdent dans les 24 heures suivant l’événement (1% de mortalité par heure !); dans le cas d’un infarctus du myocarde, une ouverture tardive de l’artère coronaire concernée entraîne notamment une perte irrémédiable de précieux tissu myocardique (conséquence : insuffisance cardiaque). Pour une prise en charge efficace des patients, il est essentiel de disposer d’un réseau efficace de médecins de premier recours, de spécialistes, de services de secours et d’hôpitaux.
Infarctus aigu du myocarde
La maladie coronarienne est une cause potentiellement dangereuse de douleur thoracique et concerne une grande partie des situations d’urgence cardiovasculaire. Les premières manifestations typiques sont : l’infarctus aigu du myocarde (40%), l’angine de poitrine stable (40%) ou l’arrêt circulatoire soudain/la mort cardiaque (20%). La maladie coronarienne comprend donc une forme de manifestation chronique (angine de poitrine stable), mais elle peut aussi être aiguë (syndrome coronarien aigu). (Fig. 1). Ces derniers peuvent être classés en cinq types sur le plan physiopathologique, la rupture spontanée d’une plaque d’athérosclérose dans une artère coronaire suivie d’une activation de la coagulation et d’une occlusion thrombotique (SCA de type 1) étant la forme la plus fréquente.
Pour la pratique clinique quotidienne, la classification en angor instable/NSTEMI (infarctus avec élévation non ST) et STEMI a fait ses preuves, car la stratégie de traitement diffère nettement. La prise en charge de l’infarctus du myocarde (Figure 2) peut être divisée en différentes phases, chacune présentant des caractéristiques spécifiques de soins médicaux, des fenêtres de temps diagnostiques/thérapeutiques différentes et des interfaces de communication différentes [3].
Stratégie de traitement/diagnostic
Le diagnostic d’un infarctus aigu du myocarde avec sus-décalage du segment ST (STEMI) est purement électrocardiographique (laboratoire et imagerie généralement inutiles) et doit généralement être réalisé dans les dix premières minutes suivant le premier contact médical (médecin généraliste, service de secours sur place, service d’urgence). Une intervention aiguë dans le laboratoire de cathétérisme cardiaque le plus proche, par le biais d’une orientation directe par le premier contact médical, est utile dans les 12 à 24 heures suivant l’événement douloureux. Dans ce laps de temps, chaque minute compte et le patient doit être orienté le plus rapidement possible vers un traitement aigu. L’objectif d’une prise en charge optimale est de réaliser une intervention dans les 60 à 90 minutes suivant le premier contact médical.
En cas d’infarctus du myocarde sans sus-décalage du segment ST (NSTEMI) ou d’angine de poitrine instable, le traitement aigu adéquat résulte de la stratification initiale du risque : ainsi, un événement douloureux unique avec un résultat ECG négatif et sans augmentation des marqueurs d’infarctus en laboratoire peut tout à fait faire l’objet d’un examen complémentaire électif au cours de l’évolution (épreuve d’effort, imagerie ou autre), tandis qu’un patient présentant des douleurs persistantes malgré les premiers soins, même sans sus-décalage du segment ST, doit être directement soumis à une intervention aiguë par cathétérisme.
Premiers soins médicamenteux et suivi
Le traitement médicamenteux initial du STEMI ne diffère que très peu de celui du NSTEMI/angine de poitrine instable, seul le traitement antithrombotique fait l’objet de protocoles différents. L’utilisation de stratégies modernes de traitement médicamenteux, interventionnel et logistique permet de réduire la mortalité et la morbidité à la phase précoce de l’infarctus du myocarde.
L’intervention initiale ne fait que traiter le problème aigu (infarctus du myocarde), elle ne guérit pas la maladie (maladie coronarienne/athérosclérose). Le contrôle cohérent à long terme des facteurs de risque cardiovasculaire selon des valeurs cibles de prévention secondaire est d’autant plus important. L’utilisation du traitement antithrombotique nécessite souvent une combinaison de médicaments adaptée au patient (en fonction du risque hémorragique, de l’indication simultanée d’une anticoagulation orale, des opérations à venir, de la durée optimale, etc.) – dans ce cas, la solution optimale résulte généralement d’une concertation directe entre le médecin traitant et le médecin spécialiste/cardiologue.
Les patients qui développent une insuffisance cardiaque nécessitent une attention accrue. Ces patients ont particulièrement de mal à reprendre leurs activités quotidiennes après un infarctus du myocarde, leurs capacités physiques sont limitées et leur pronostic (mortalité/morbidité) est mauvais. Bien que les médicaments actuels puissent être efficaces, l’installation d’un traitement étendu de l’insuffisance cardiaque est un processus long de plusieurs semaines (titrage de l’IEC/du bêtabloquant, contrôles cliniques/chimiques en laboratoire, mise en place éventuelle d’un antagoniste de l’aldostérone, utilisation de diurétiques à court/long terme, etc.) Il s’agit également d’identifier les patients qui bénéficieraient de traitements spécifiques de l’insuffisance cardiaque (par ex. défibrillateur implantable [ICD], thérapie de resynchronisation cardiaque [CRT], assistance circulatoire médicamenteuse/mécanique, transplantation cardiaque).
Angine de poitrine stable
La stratégie d’investigation en cas de suspicion d’origine coronarienne des douleurs thoraciques chroniques et stables est principalement basée sur la détermination individuelle de la probabilité pré-test de la présence d’une maladie coronarienne causale chez le patient concerné(Fig. 3). La place de l’ergométrie est controversée. Même en cas de faible probabilité post-test (ergométrie formellement et subjectivement normale), le risque de présence d’une maladie coronarienne significative reste d’environ 10-20% (maladie multiviscérale 4%).
Lors du choix de la stratégie de traitement, l’objectif thérapeutique doit être clairement formulé. Il existe à la fois des indications de traitement pronostiques (sténoses du tronc principal, sténoses proximales du RIVA, maladies multiviscérales avec fonction ventriculaire gauche altérée ou détection par imagerie d’une large zone d’ischémie) et des situations purement symptomatiques. L’option de traitement optimale (revascularisation par cathéter, chirurgie de pontage coronarien ou traitement médicamenteux) doit toujours être évaluée individuellement.
Conclusion
Une perception attentive des symptômes physiques, un suivi médical ciblé et rapide ainsi qu’une stratification individuelle des risques permettent d’évaluer et de traiter au mieux les douleurs thoraciques dans le cadre d’un réseau bien établi de médecins généralistes/médecins de premier recours, de spécialistes, de services de secours et d’hôpitaux.
PD Dr. med. Christophe Wyss
Littérature :
- Mortalité et ses principales causes en Suisse, source : OFS, 29.4.2013.
- Résultats actuels des syndromes coronariens aigus. Cardiovascular Medicine 2013 ; 16(4) : 115-122.
- ESC Clinical Practice Guidelines. European Heart Journal 2012 ; 33 : 2569-2619.