Environ 90% des patients atteints de démence développent au cours de la démence, en plus des troubles cognitifs, une série de troubles comportementaux et psychologiques décrits dans la littérature sous le nom de BPSD (Behavioural and Psychological Symptoms of Dementia). Pour la personne concernée et ses proches, le traitement des troubles du comportement est plus important que l’amélioration des capacités cognitives. Ce sont précisément ces symptômes, tels que l’agitation, l’anxiété et l’agressivité, qui nuisent massivement à la qualité de vie des personnes atteintes de démence, qui pèsent sur les proches soignants et les découragent, et qui sont souvent responsables d’une institutionnalisation précoce.
La démence est un terme générique qui désigne un grand nombre de maladies. Les quelque 55 sous-formes de démence ont en commun d’entraîner une perte des facultés mentales. La caractéristique la plus saillante de cette maladie sont les troubles de la mémoire. On ne peut toutefois parler de démence que si, en plus du déficit de mémoire, d’autres fonctions mentales sont touchées, comme par exemple la capacité à parler, à agir de manière appropriée, à reconnaître ou à planifier et à gérer le quotidien. (Tab.1). Ces troubles doivent atteindre un niveau tel que les activités de base de la vie quotidienne deviennent des obstacles insurmontables pour les personnes concernées (par exemple, s’habiller, se laver, etc.). Plus de la moitié des formes de démence peuvent être rattachées cliniquement et neuropathologiquement à la maladie d’Alzheimer (MA).
70 à 90% des personnes atteintes développent des troubles comportementaux et psychologiques au cours de la démence [1]. Le terme de troubles du comportement regroupe tous les troubles non cognitifs de la démence. L’Association internationale de gérontopsychiatrie (International Psychogeriatric Association, IPA) a proposé le terme de “Behavioural and Psychological Symptoms of Dementia” (BPSD) pour désigner ces troubles de la démence. On entend par là notamment les troubles dépressifs, les phénomènes psychotiques, les états d’agitation et les comportements agressifs. Les fréquences relevées dans les études vont jusqu’à 80% pour la dépression, 20-73% pour le délire, 15-49% pour les hallucinations et jusqu’à 20% pour l’agressivité [2]. Bien que ces troubles soient la cause la plus fréquente d’hospitalisation ou de placement en institution, leur importance clinique est souvent sous-estimée [3]. Selon Förstl, ces symptômes devraient être considérés comme équivalents aux troubles cognitifs, et non comme des manifestations réactives de la démence, en raison des modifications neuropathologiques communes [4]. Les SCPD ne sont pas seulement la conséquence des processus dégénératifs du cerveau, mais aussi l’expression d’une interaction étroite avec les influences psychosociales, la structure de la personnalité prémorbide, la multimorbidité souvent existante et les stratégies de gestion des conflits encore en place.
Troubles du comportement et changements de personnalité
Au début de la maladie, l’état de la personne concernée est souvent caractérisé par des troubles de l’élan vital, de l’anxiété, de la dépression et de l’irritabilité. Certains patients présentent également des symptômes proches de la schizophrénie au stade intermédiaire de la maladie, tels que des hallucinations, des idées délirantes et de l’agitation. Au stade tardif, outre les troubles du rythme veille-sommeil, des comportements stéréotypés peuvent apparaître comme la déambulation, les cris, la désinhibition, etc. Certaines formes de démence se manifestent même par une apparition plus précoce des troubles du comportement, par exemple la démence à corps de Lewy avec hallucinations visuelles ou la démence fronto-temporale avec modification notable de la personnalité (tab. 2).
Alors que les troubles cognitifs et les compétences quotidiennes présentent une détérioration continue au cours de la démence, les SCPD présentent un caractère épisodique au cours de l’évolution de la démence, disparaissent souvent ou s’inversent après quelques semaines ou mois. Les troubles du comportement et les troubles cognitifs influencent et détériorent de la même manière les compétences quotidiennes de la personne concernée. Ainsi, un traitement optimal des SCPD peut avoir un impact positif à la fois sur les capacités cognitives et sur les compétences quotidiennes.
Les conséquences des SCPD sont graves, tant pour les personnes concernées que pour leurs proches ou leurs soignants : les SCPD entraînent un déclin cognitif plus rapide, une détérioration des compétences quotidiennes, une baisse massive de la qualité de vie, une hospitalisation ou une institutionnalisation plus précoce et une augmentation des coûts des soins. (Tab.3). Jusqu’à 50% des aidants familiaux développent une dépression cliniquement significative au fil du temps.
Diagnostic des symptômes non cognitifs
L’identification et le diagnostic des SCPD sont les principales tâches du médecin. Ils nécessitent un examen précis du comportement, l’implication des soignants, l’anamnèse d’autrui et également la réalisation des tests standardisés et établis pour détecter les SCPD. L’outil le plus testé et le plus répandu pour évaluer et quantifier les SCPD dans la pratique est l’inventaire neuropsychiatrique, NPI-D [5]. L’enregistrement des troubles du comportement au moyen du NPI-D permet d’identifier la fréquence de certains symptômes, leur gravité ainsi que le niveau de stress des soignants. Néanmoins, la distinction complexe entre l’ESPT et les symptômes psychiatriques d’autres pathologies psychiatriques telles que la dépression, la schizophrénie ou le délire au stade initial de la démence peut entraîner des difficultés considérables en matière de diagnostic différentiel.
Gestion thérapeutique
Dans le traitement de la démence, une relation constante et empathique entre le médecin et la personne concernée ou ses proches aidants ou soignants est essentielle. Il est très important, non seulement d’un point de vue thérapeutique, mais aussi dans une optique de prévention primaire, de trouver un accès approprié à la personnalité du malade, à ses habitudes de vie et à ses valeurs. Ce n’est que de cette manière qu’il est possible de développer un concept de traitement individuel, adapté aux besoins de la personne concernée.
Avant de traiter les SCPD, il est indispensable d’analyser soigneusement les causes de leur apparition et d’établir un diagnostic correct des symptômes. Selon les recommandations de toutes les directives internationales et nationales sur le traitement des SCPD, il est clairement établi que les mesures préventives ou non médicamenteuses doivent être préférées à un traitement médicamenteux [6]. Ces mesures, par exemple la structuration de l’environnement psychosocial ainsi qu’une série d’interventions de thérapie comportementale, réduisent clairement la fréquence et l’ampleur des troubles du comportement. La thérapie comprend des interventions de thérapie de milieu, mais aussi différentes formes d’entraînement de la mémoire ainsi que des thérapies par le mouvement, l’art et l’activation. Les proches doivent être impliqués dans le traitement dès que possible. La psychoéducation des personnes concernées au stade précoce de la maladie, ainsi que celle de leurs proches, montre une grande efficacité dans la réduction des SCPD. Ce n’est que si ces mesures ne donnent pas de résultats que le traitement doit être complété par des stratégies de traitement médicamenteux (fig. 1).
Traitement médicamenteux des SCPD
La base de tout traitement de la MA est le traitement par inhibiteurs de l’acétylcholinestérase (donépézil, rivastigmine, galantamine). Ces médicaments ont pour effet de retarder temporairement la progression des symptômes et ont un impact positif sur les SCPD. Il n’existe aujourd’hui aucune autorisation de mise sur le marché de ces substances pour d’autres formes de démence. Sur la base des études cliniques disponibles et des modifications neuropathologiques connues, leur utilisation est tout à fait appropriée dans les cas de démence vasculaire, à corps de Lewy et de Parkinson. La mémantine est indiquée et remboursée pour le traitement de la MA modérée et sévère (MMST <14) et surtout pour le traitement des SCPD.
Différents psychotropes, principalement des neuroleptiques atypiques et des antidépresseurs nouvellement développés, sont utilisés pour influencer les SCPD (par ex. troubles dépressifs, anxiété, symptômes délirants, agitation et troubles du sommeil). La mauvaise tolérance, les nombreux médicaments associés en cas de multimorbidité, la mauvaise observance due aux troubles cognitifs et l’altération du métabolisme compliquent et rendent difficile le traitement médicamenteux des SCPD. Il est donc de la plus haute importance de connaître les effets souhaités et indésirables ou paradoxaux des psychotropes les plus courants. Les nouveaux inhibiteurs sélectifs du recaptage de la sérotonine (sertraline, citalopram, escitalopram) sont des médicaments de premier choix dans le traitement des états dépressifs liés à la démence en raison de leur bonne tolérance et de leur profil d’effets secondaires favorable. Leur utilisation est justifiée par leur effet anxiolytique, car les dépressions des patients déments sont souvent accompagnées de symptômes d’anxiété.
Les nouveaux neuroleptiques ayant moins d’effets secondaires extrapyramidaux (rispéridone, quétiapine et olanzapine) doivent être privilégiés en cas de troubles du comportement aigus et frappants tels que l’agressivité, le délire et l’agitation. (Tab.4). Dans une situation aiguë avec des troubles du comportement prononcés, l’administration initiale d’un neuroleptique classique tel que l’halopéridol peut s’avérer utile, qui sera ensuite remplacé par un neuroleptique plus récent en se chevauchant. Seule la rispéridone est autorisée pour le traitement des SCPD. L’utilisation d’autres neuroleptiques se fait hors étiquette. Le traitement par neuroleptiques entraîne un risque plus élevé d’événements cérébrovasculaires et thromboemboliques et une augmentation de la mortalité a été démontrée [7]. C’est pourquoi ce traitement ne doit être utilisé qu’après avoir épuisé toutes les mesures non médicamenteuses, à la dose la plus faible possible, de manière limitée dans le temps et sous contrôle étroit.
Les mêmes restrictions, dues aux effets secondaires graves tels que le risque de chute, la dépression respiratoire et la perte d’efficacité, s’appliquent à l’utilisation de benzodiazépines telles que le lorazépam, l’oxazépam et le témazépam, qui sont souvent utilisées pour traiter l’anxiété et les troubles du sommeil. Les antidépresseurs et les neuroleptiques à effet hypnotique tels que la trazodone, la trimipramine et la doxépine ont un effet positif sur la durée et la qualité du sommeil.
En règle générale, les substances ayant des effets secondaires anticholinergiques doivent être évitées. Dans la démence à corps de Lewy et la démence de Parkinson, les substances ayant des effets secondaires anticholinergiques ne doivent pas être utilisées. Dans ces démences, les inhibiteurs de l’acétylcholinestérase et l’utilisation à faible dose de la quétiapine ont des effets positifs sur les symptômes psychotiques concomitants dans les premières lignes. En cas d’absence de réponse, la clozapine est considérée comme un médicament de deuxième intention (tableau 5). Dans les formes de démence vasculaire, les antipsychotiques doivent être évités en raison du risque accru d’événements cérébrovasculaires. En principe, le traitement médicamenteux des personnes âgées se résume à “start low, go slow”. En général, on vise une dose cible plus faible, généralement un tiers de la dose normale pour adultes.
Conclusion
Les démences sont à ce jour incurables, c’est pourquoi toutes les mesures médicales prises au cours de l’évolution de la maladie ont un caractère palliatif. Néanmoins, le nihilisme thérapeutique n’est pas de mise. Un traitement optimal des SCPD entraîne une nette amélioration de la qualité de vie de la personne concernée et de ses proches soignants et évite souvent un transfert dans une institution psychiatrique, ce qui permet non seulement d’éviter le changement de milieu traumatisant pour les personnes atteintes de démence, mais aussi d’éviter et d’économiser des coûts élevés pour le traitement hospitalier.
Littérature :
- Teri L, Larson EB, Reifler BV : Troubles du comportement dans la démence de type Alzheimer . Journal of the American Geriatric Society 1988 ; 36 : 1-6.
- Finkel SI : Managing the behavioural and psychological signs and symptoms of dementia. Int Clin Psychopharmacol 1997 ; 12(Suppl. 4) : S25-28.
- Haupt M, Kurz A : Predictors of nursing home placement in patients with Alzheimer’s disease. International Journal of Geriatric Psychiatry 1993 ; 8 : 741-746.
- Förstl H, et al. : Correlats neuropathologiques des phénomènes psychotiques dans la maladie d’Alzheimer confirmée. Archives of General Psychiatry 1994 ; 165 : 53-59.
- Cummings JL : L’inventaire neuropsychiatrique. Neurology 1994 ; 44 : 2308-2314.
- Groupe d’experts suisse : Recommandations pour le diagnostic et le traitement des symptômes comportementaux et psychologiques de la démence (BPSD). Pratique 2014 ; 3 : 135-148.
- Gill SS, et al : Atypical antipsychotic drugs and risk of ischaemic stroke : population based retrospective cohort study. BMJ 2005 ; 330(7489) : 445.
- Lyketsos CG, et al : Mental and behavioral disturbances in dementia:findings from Cache County Study on Memory and Aging. Am J Psychiatr 2000 ; 157 : 708-714.
- Burns A, et al : Pratique clinique des médicaments anti-démence : une déclaration de consensus de la British Association for Psychopharmacology. J Psychopharmacol 2006 ; 20 : 732-755.
- Emre M, et al : Rivastigmine for Dementia Associated with Parkinson’s Disease. N Engl J Med 2004 ; 351 : 2509-2518
- McKeith I, et al. : Efficacité de la rivastigmine dans la démence avec corps de Lewy : une étude internationale randomisée, en double aveugle, contrôlée par placebo. Lancet 2000 ; 356 : 2031-2036.
PRATIQUE DU MÉDECIN DE FAMILLE 2015 ; 10(8) : 34-38