Depuis 2019, l’eskétamine (SPRAVATO®) est autorisée* en Suisse pour le traitement de la DRT en association avec les ISRS/IRSN, et elle est considérée comme l’une des stratégies thérapeutiques les mieux étudiées [6, 7]. Dans le cadre de l’entretien qu’il nous a accordé, le Prof. Dr méd. Jochen Mutschler, du service de psychiatrie de Lucerne, nous parle des possibilités offertes par l’eskétamine aux patientes et patients suisses.
La majorité des patientes et patients atteints de troubles dépressifs sévères ne répondent pas suffisamment au traitement de première ligne. Dans de nombreux cas, les tentatives de traitement ultérieures n’ont pas de succès non plus; on parle alors de dépression résistante au traitement (DRT) [7]. Avec l’eskétamine, ces patientes et patients disposent désormais d’une option prometteuse qui se distingue par un bon profil de sécurité à long terme et une bonne tolérance [1-4]. Les données cliniques obtenues pendant plusieurs années ainsi que les données probantes en conditions réelles portant sur l’utilisation de l’eskétamine, qui démontrent une réponse rapide et un taux de rémission accru chez les patientes et patients atteints de DRT, plaident en faveur de l’utilisation de l’eskétamine [1, 2, 5].
Délai d’action rapide et tolérance à long terme
Les premières études cliniques de phase 3 portant sur l’efficacité de l’eskétamine administrée par voie intranasale chez les patientes et patients atteints de DRT ont évalué l’amélioration du score MADRS (Montgomery-Åsberg Depression Rating Scale) sur une période de 24 heures et de 28 jours en cas d’administration deux fois par semaine [3, 8, 9]. L’administration deux fois par semaine d’eskétamine par voie intranasale a montré un délai d’action rapide après 24 heures ainsi que l’amélioration du score MADRS après 28 jours dans le groupe de patients traités par l’eskétamine [3]. En tant que traitement d’entretien pour la prévention des rechutes, l’eskétamine a démontré une réduction significative des taux de rechute chez les patientes et patients présentant une DRT: ainsi, le traitement a réduit de 70% le risque de rechute chez les patientes et patients présentant une réponse stable (hazard ratio [HR]: 0,30; IC à 95%: 0,16-0,55; p = 0,001) et de 51% chez les patients en rémission stable (HR: 0,49; IC à 95%: 0,29-0,84; p = 0,003) par rapport à un placebo associé à des antidépresseurs [1]. L’étude SUSTAIN-2 a décrit les vertiges (32,9%), la dissociation (27,6%), les nausées (25,1%) et les céphalées (24,9%) comme les événements indésirables liés au traitement les plus fréquents sous eskétamine, l’étude ESCAPE-TRD ayant montré que la plupart des effets indésirables ne sont que transitoires [2, 4].
Études actuelles et données en conditions réelles
Les données de l’étude ESCAPE-TRD illustrent l’efficacité à long terme et la tolérance de l’eskétamine + ISRS/IRSN* par rapport à la quétiapine XR + ISRS/IRSN. Après 8 semaines, l’administration d’eskétamine + ISRS/IRSN a été associée à une probabilité de rémission 74% plus élevée (odds ratio ajusté: 1,74; IC à 95%: 1,20-2,52; p = 0,003) et, après 32 semaines, à une probabilité 72% plus élevée de rémission et de réduction des rechutes (odds ratio ajusté: 1,72; IC à 95%: 1.15-2.57; p = 0,008) par rapport à la quétiapine XR + ISRS/IRSN [4]. Une analyse post-hoc récente de données en conditions réelles, de même que des données en conditions réelles provenant d’Italie, viennent désormais compléter les résultats des études contrôlées randomisées portant sur l’efficacité et le profil de sécurité bien toléré, même dans le cas de profils de patientes et patients présentant des comorbidités. [5, 10]
Conclusion
L’eskétamine administrée par voie intranasale offre aux personnes atteintes de DRT une option thérapeutique qui a un effet positif sur l’obtention d’une rémission et sur la prévention des rechutes. Le traitement peut ainsi conduire à des améliorations durables du tableau clinique [1-4].
Entretien avec Prof. Dr. méd. Jochen Mutschler

Dans quelle mesure la DRT est-elle bien prise en charge dans la pratique clinique en Suisse? Est-il possible de faire mieux?
Prof. Mutschler : Si l’on considère que les dépressions comptent parmi les maladies psychiques les plus fréquentes dans le monde et que les chiffres, en particulier pour les DRT, ont tendance à continuer d’augmenter, on comprend l’ampleur de la nécessité d’agir [11]. Malgré cette évolution alarmante, les innovations pharmacologiques pour le traitement des DRT ont été peu nombreuses ces dernières années. Jusqu’à présent, il n’existe qu’une palette limitée de possibilités de traitement et l’on a souvent recours à des méthodes d’augmentation plus anciennes, comme l’ECT ou le lithium, qui sont toutefois souvent associées à des effets indésirables.
Il existe donc un grand potentiel d’amélioration des approches thérapeutiques. Nous sommes par conséquent très heureux que l’eskétamine constitue désormais une option présentant un profil de sécurité relativement bon et soit ainsi une arme précieuse dans la lutte contre les DRT.
Quelles ont été les opportunités pour le traitement des DRT découlant de la mise sur le marché de l’eskétamine en spray nasal?
Personnellement, j’ai vu un grand nombre de patientes et patients qui avaient été diagnostiqués comme dépressifs chroniques de manière systémique depuis des années ou qui avaient été classés sans perspective d’amélioration durant de longues périodes. Ces patientes et patients avaient déjà suivi une multitude d’approches thérapeutiques et reçu des médicaments différents sans obtenir de résultats significatifs. On parle alors de dépression difficile à traiter. Il est donc d’autant plus impressionnant de constater que l’utilisation de l’eskétamine a effectivement permis d’obtenir des évolutions positives. Un grand nombre de ces patientes et patients étaient pratiquement prisonniers de leur état, sans espoir d’amélioration. Mais tout à coup, avec cette option supplémentaire, une lueur d’espoir est apparue, offrant une réelle chance d’amélioration qui, pour beaucoup d’entre eux, a longtemps semblé impensable.
Combien de vos patients sont éligibles à un traitement par SPRAVATO® et comment évaluez-vous le succès de ce traitement?
La répartition varie bien sûr en fonction du contexte. Ainsi, la proportion de patientes et patients résistants aux traitements provenant d’un très vaste territoire est bien souvent relativement élevée dans les unités de soins pour dépressions, en raison des possibilités thérapeutiques spécialisées qui peuvent y être proposées. Ce que nous savons, c’est que les DRT touchent au moins un tiers des personnes atteintes de dépression, car tôt ou tard, un grand nombre de patientes et patients développent une résistance aux méthodes de traitement courantes. Cela signifie qu’un nombre important de patientes et de patients sont en principe éligibles à l’eskétamine.
Cependant, ce n’est pas seulement l’indication médicale qui détermine si un traitement est approprié. D’autres facteurs externes jouent aussi un rôle essentiel. Outre le lieu de résidence et donc l’accès à de tels traitements, les préférences et les craintes personnelles des personnes concernées sont déterminantes. Ainsi, le lithium présente certes une bonne efficacité, mais il est souvent mal accepté en raison de ses effets secondaires. L’ECT a certes connu un certain essor ces dernières années, mais la procédure est d’une part liée à des effets secondaires cognitifs, et elle est d’autre part relativement coûteuse et nécessite une brève anesthésie, qui comporte à son tour ses propres risques. À cet égard, l’eskétamine nous permet de disposer désormais d’une option valable pour aider ces patientes et patients.
Comment évaluez-vous la coopération avec les centres?
Les professionnels et les centres collaborent généralement de manière efficace, ce qui est très réjouissant. D’après mon expérience, le fait que les patientes et patients soient traités dans des centres spéciaux plutôt que par leur psychiatre ordinaire n’a pas posé de problème jusqu’à présent. Pour les médecins établis, il n’y a pas non plus de risque que leurs patientes et patients soient pris en charge, car les capacités des centres, en particulier dans le domaine ambulatoire, sont plus qu’épuisées. Dans de nombreux endroits, il existe des listes d’attente pour les places de traitement. De mon point de vue, il serait judicieux d’élargir l’offre. À long terme, je vois tout à fait la possibilité que le traitement par l’eskétamine puisse être proposé en dehors des centres spécialisés, pour autant que l’infrastructure nécessaire soit disponible. Je connais des exemples en Suisse centrale et dans d’autres cantons où l’eskétamine est déjà proposée avec succès par des cabinets privés.
* En Suisse, l’eskétamine (SPRAVATO®), en association avec un antidépresseur oral, est indiquée pour le traitement des épisodes de dépression majeure résistants au traitement chez les adultes qui n’ont pas répondu à au moins 2 antidépresseurs différents pour le traitement de l’épisode dépressif modéré à sévère actuel [6]. De plus, la limitation s’appliquant au remboursement est plus restrictive que l’indication [12].
Abréviations: ECT = électroconvulsivothérapie; MADRS = Montgomery-Åsberg Depression Rating Scale (échelle d’évaluation de la dépression selon Montgomery-Åsberg); IRSN = inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine et de la noradrénaline; ISRS = inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine; DRT = dépression résistante au traitement.
Texte: Dr ès sc. Tanja Blumenschein
Cet article a été rédigé avec le soutien financier de Janssen-Cilag AG, a Johnson & Johnson company, Gubelstrasse 34, CH-6300 Zoug.
CP-484718 Nov 2024
Références
1. Daly, E.J., et al., Efficacy of Esketamine Nasal Spray Plus Oral Antidepressant Treatment for Relapse Prevention in Patients With Treatment-Resistant Depression: A Randomized Clinical Trial. JAMA Psychiatry, 2019. 76(9): p. 893-903.
2. Wajs, E., et al., Esketamine Nasal Spray Plus Oral Antidepressant in Patients With Treatment-Resistant Depression: Assessment of Long-Term Safety in a Phase 3, Open-Label Study (SUSTAIN-2). J Clin Psychiatry, 2020. 81(3): p. 19m12891.
3. Popova, V., et al., Efficacy and Safety of Flexibly Dosed Esketamine Nasal Spray Combined With a Newly Initiated Oral Antidepressant in Treatment-Resistant Depression: A Randomized Double-Blind Active-Controlled Study. Am J Psychiatry, 2019. 176(6): p. 428-438.
4. Reif, A., et al., Esketamine Nasal Spray versus Quetiapine for Treatment-Resistant Depression. N Engl J Med, 2023. 389(14): p. 1298-1309.
5. Martinotti, G., et al., Real-world experience of esketamine use to manage treatment-resistant depression: A multicentric study on safety and effectiveness (REAL-ESK study). J Affect Disord, 2022. 319: p. 646-654.
6. Information professionnelle actuelle de Spravato® (eskétamine). www.swissmedicinfo.ch, mise à jour en septembre 2024, dernière consultation: novembre 2024.
7. McIntyre, R.S., et al., Treatment-resistant depression: definition, prevalence, detection, management, and investigational interventions. World Psychiatry, 2023. 22(3): p. 394-412.
8. Fedgchin, M., et al., Efficacy and Safety of Fixed-Dose Esketamine Nasal Spray Combined With a New Oral Antidepressant in Treatment-Resistant Depression: Results of a Randomized, Double-Blind, Active-Controlled Study (TRANSFORM-1). Int J Neuropsychopharmacol, 2019. 22(10): p. 616-630.
9. Ochs-Ross, R., et al., Efficacy and Safety of Esketamine Nasal Spray Plus an Oral Antidepressant in Elderly Patients With Treatment-Resistant Depression-TRANSFORM-3. Am J Geriatr Psychiatry, 2020. 28(2): p. 121-141.
10. d’Andrea, G., et al., The rapid antidepressant effectiveness of repeated dose of intravenous ketamine and intranasal esketamine: A post-hoc analysis of pooled real-world data. J Affect Disord, 2024. 348: p. 314-322.
11. GBD 2019 Mental Disorders Collaborators. Global, regional, and national burden of 12 mental disorders in 204 countries and territories, 1990-2019: a systematic analysis for the Global Burden of Disease Study 2019. Lancet Psychiatry, 2022. 9(2): p. 137-150.
12. Liste des spécialités (LS), Office fédéral de la santé publique (OFSP), www.listedesspecialites.ch, mise à jour en octobre 2022, dernière consultation: novembre 2024.
Les documents peuvent être demandés.
Information professionnelle abrégée de Spravato® (chlorhydrate d’eskétamine)
Forme pharmaceutique de Spravato®: Spray nasal à usage unique avec 28 mg d’eskétamine en 2 pulvérisations. I: Spravato, en association avec un antidépresseur oral (AD), est indiqué a) pour le traitement des épisodes de dépression majeure résistants au traitement (DM; DRT) chez les adultes qui n’ont pas répondu à au moins 2 antidépresseurs différents pour le traitement de l’épisode dépressif modéré à sévère actuel. b) en traitement aigu et à court terme pour réduire rapidement les symptômes dépressifs chez les patients adultes en cas d’épisodes sévères d’une dépression majeure (sans sympt. psychotiques), lorsque la symptomatologie évaluée cliniquement est classée comme une urgence psychiatrique (urg. psy. – TDM). P: La décision de prescrire Spravato doit être prise par un psychiatre. Spravato doit être administré en complément d’un traitement par un AD oral. Destiné à l’administration par le pat. lui-même, sous la supervision directe d’un médecin. Spravato doit être utilisé dans un lieu de traitement doté d’un équipement de réanimation approprié et d’un personnel médical formé à la réanimation cardiopulmonaire. Cela comprend notamment des mesures de ventilation active et de gestion des crises hypertensives. Une séance de traitement comprend l’administration nasale de Spravato et une surveillance ultérieure d’au moins 2 heures. TRD: semaines (S) 1-4: 2 traitements/S; Jour 1, 56 mg (≥ 65 ans: dose recommandée 28 mg), puis: 56 mg ou 84 mg. Évaluer le bénéfice thérapeutique après 4 S. S. 5-8: 56 mg ou 84 mg par semaine. Dès la S 9: 56 mg ou 84 mg toutes les 2 S. ou 1×/S. Évaluer la nécessité de poursuivre le traitement à intervalles réguliers. Traitement aigu et à court terme urg. psy. – TDM: 84 mg 2×/S. pendant 4 S., pos. réd. à 56 mg en fonction de la tolérance. Évaluer le bénéf. thérap. après 4 S. pour déterminer la nécessité de poursuivre le traitement. CI: Risque grave en cas d’augmentation de la pression artérielle (PA) ou de la pression intracrânienne: maladie vasculaire anévrismale connue ou antécédent d’hémorragie intracérébrale ou antécédent d’événements cardiovasculaires au cours des 6 dernières S., y c. infarctus du myocarde. Hypersens. à l’eskétamine, à la kétamine ou aux excipients. PR: Surveillance étr. pour détecter la survenue de dissociation, sédation ou dépression respiratoire. Si PA élevée avant l’admin. > 140/90 mmHg < 65 ans et > 150/90 mmHg ≥ 65 ans: modifier le style de vie et/ou les médicaments avant le traitement pour diminuer la PA. Contrôle de la PA 40 min après l’admin., puis selon l’appréciation clin. Au moins 2 h sous surv. médicale jusqu’à la stabilisation clin. Abus ou dépendance à des substances, y comp. l’alcool: évaluer soigneusement le rapport bénéfice/risque. Prêter attention aux signes de dépendance. Effets pot. sur le dév. fœtal non exclus, ne pas utiliser pend. la grossesse, sauf en cas de nécessité absolue. EI: Très fréquents: dissociation, anxiété, dysgueusie, vertiges oscillatoires, sédation, hypoesthésie, céphalées, vertiges rotatoires, nausées, vomissements, aug. de la PA. Fréquents: humeur euphor., tension psychique, altération ment., tremblements, léthargie, dysarthrie, tachycardie, gorge irrit., affections nasales, sécheresse buccale, hyperhidrose, pollakiurie, dysurie, sens. anormale, sens. d’ivresse, asthénie. Autres EI, voir IP. IA: La sédation peut être renforcée lors de l’utilisation concom. avec des ag. dépresseurs du SNC. La PA peut augmenter en cas d’utilis. concomit.de psychostimulants ou d’inhibiteurs de la MAO. Lors de l’utilis. concomit. d’agents dépresseurs du SNC, de subst. psychostimulantes ou d’inhibiteurs de MAO, une surveillance étr. est nécessaire sur le plan métabol., notamment du foie; aucun potentiel clin. pert. d’inhibition ou d’induction de la glycoprotéine P ou des enzymes du CYP. Présentations: 1,2 ou 3 sprays nasaux destinés à un usage unique. Cat. de remise: Liste A. Inf.: www.swissmedicinfo.ch. Tit. de l’AMM: Janssen-Cilag AG, Gubelstrasse 34, 6300 Zoug (CH_ CH_CP-416116.v2.0).