Des conflits éthiques peuvent survenir lors de la définition d’un traitement lorsqu’il existe des divergences de vues sur les objectifs thérapeutiques réalisables et raisonnables. La première étape d’un traitement éthiquement bien fondé consiste à évaluer de manière réaliste les objectifs thérapeutiques fondamentalement réalisables. La seconde consiste à impliquer le patient dans la réflexion fondamentale sur les preuves médicales et scientifiques afin de définir l’objectif thérapeutique souhaitable pour chaque patient. Avant d’initier un traitement, une planification préalable des soins de santé (Advance Care Planning) devrait être effectuée pour les situations de décision futures dans lesquelles le patient n’est pas capable de discernement.
Une patiente de 77 ans est admise en soins intensifs la nuit pour une pneumonie après un cycle de chimiothérapie intensive pour une leucémie myéloïde aiguë. Lors de la visite du matin, le médecin-chef responsable demande : “Comment se fait-il qu’une patiente de cet âge subisse une chimiothérapie aussi intensive ? Et jusqu’où devons-nous aller ici ?”
L’éthique est indissociable de la médecine. L’éthique est au cœur de la légitimité de toutes les professions de santé. Des questions éthiques centrales se posent lors de chaque traitement de patient : Que puis-je, que puis-je faire, que dois-je faire ? Il n’est pas rare que nous soyons confrontés à des dilemmes, et non à des situations “gagnant-gagnant” : chaque option présente non seulement différents avantages et inconvénients, qu’il convient de connaître et de communiquer, et qui sont pondérés différemment pour de bonnes raisons, mais elle viole un principe ou un objectif important du traitement médical. Il est quasiment impossible de sortir de telles situations sans se salir les mains. L’éthique clinique actuelle s’occupe notamment de sensibiliser à ces questions et d’aider les patients et les équipes soignantes dans ces situations. L’objectif est de trouver des solutions bien fondées qui intègrent de manière transparente les meilleures preuves ainsi que les expériences et les valeurs (figure 1).
Nous nous pencherons ici sur les aspects éthiques du traitement des leucémies aiguës à un âge avancé. Il aborde également brièvement le concept actuellement très discuté d'”Advance Care Planning”, la planification préalable des soins de santé. Il joue également un rôle important dans ces situations de maladie, afin d’aboutir à un plan de traitement globalement bien justifié et conforme à la volonté du patient.
Différents objectifs thérapeutiques
Dans les documents centraux qui décrivent l’essence de la médecine, quatre objectifs sont tout aussi pertinents et désirables :
- Prévention des décès prématurés
- Prévention des maladies
- Prendre soin des personnes malades (Care)
- Soulager la souffrance [1].
Ces objectifs peuvent être différenciés davantage (tableau 1). Très souvent, au cours d’une maladie, ces objectifs sont parcourus l’un après l’autre. Cependant, il s’agit toujours d’une qualité de vie et souvent aussi d’une qualité de mort. Des conflits éthiques surviennent souvent lors de la définition du traitement au sein de l’équipe soignante ou entre l’équipe soignante et le patient, en raison de divergences de vues sur les objectifs thérapeutiques réalisables et raisonnables. Il n’est pas rare non plus de penser que la prolongation de la vie est toujours un objectif souhaitable pour les patients, que le fait de ne pas atteindre cet objectif signifie l’échec du traitement et que, par ailleurs, le soulagement de la souffrance et la prolongation de la vie s’excluent fondamentalement l’un l’autre. La plupart du temps, les conflits surviennent lors de la transition entre les objectifs thérapeutiques “prolonger la vie pour une maladie donnée” et “augmenter/préserver la qualité de vie” dans la phase palliative stable et entre le “contrôle des symptômes/la lutte contre la souffrance” primaire et la “facilitation d’une bonne mort” dans la phase palliative instable (“diagnosing dying”). Cela vaut également pour le traitement des patients âgés en général, et en particulier pour les patients âgés atteints de leucémie aiguë.
Quels sont les objectifs réalisables ?
La première étape d’un traitement éthiquement bien fondé doit consister à évaluer de manière réaliste les objectifs thérapeutiques fondamentalement réalisables. Les médecins ne sont pas tenus de proposer un traitement médicalement inutile ou de le réaliser à la demande du patient. La question de savoir ce qu’est un traitement médicalement inutile, par exemple où se situe la limite d’un traitement acceptable pour prolonger la vie, n’est cependant pas triviale et est définie de manière très différente dans le monde entier pour les mêmes groupes de patients [2]. Une bonne pratique éthique clinique exige de rendre transparentes les évaluations professionnelles et les valeurs qui interviennent déjà dans l’établissement d’indications prétendument objectives. Il convient ensuite de vérifier si les mesures mises en œuvre ou proposées sont également appropriées pour atteindre cet objectif.
Par exemple, si les patients atteints d’une tumeur se trouvent encore dans une situation palliative stable, il est souvent utile de poursuivre une dilution du sang déjà entamée pour cause de fibrillation auriculaire, afin de réduire le risque à long terme d’attaque cérébrale et, selon la tumeur, le risque de thrombose lié à la tumeur. Il n’est cependant pas rare que des patients en phase palliative instable, clairement axés sur le meilleur contrôle possible des symptômes, reçoivent une anticoagulation pour fibrillation auriculaire, commencée il y a dix ans déjà, jusqu’à peu de temps avant leur décès. Il convient donc de vérifier en permanence si une mesure visant à prolonger la vie est encore fondamentalement appropriée pour atteindre cet objectif et si les contraintes qu’elle implique sont adaptées à l’objectif – de plus en plus pertinent au fur et à mesure de l’évolution de la maladie – de maintenir la meilleure qualité de vie possible. Par analogie, il convient de vérifier si les thérapies visant principalement à contrôler les symptômes permettent d’atteindre cet objectif aussi bien, voire mieux, que les mesures visant également à prolonger la vie.
Évaluation du pronostic, des risques et des bénéfices
Pour les patients plus âgés, une évaluation tout aussi nuancée de la situation doit être effectuée. Il est désormais indiscutable que ce n’est pas seulement l’âge, mais les comorbidités et l’état fonctionnel qui sont déterminants pour le pronostic et le rapport risque/bénéfice des mesures médicales. Les données des grands registres américains sur la réanimation à l’hôpital montrent par exemple que la courbe de survie et de survie de bonne qualité est en forme de U par rapport à l’âge : les patients réanimés à l’âge de 18 ans ont en moyenne un taux de survie ou de survie aussi élevé que les autres. une petite chance de 10%, comme les patients de 80 ans, de survivre à une réanimation du tout et avec un bon résultat. En effet, les jeunes patients qui nécessitent une réanimation sont généralement déjà très malades – et les personnes de 80 ans qui sont réanimées malgré leur âge avancé sont généralement vigoureuses auparavant [3,4].
La même différenciation doit être faite pour les stades de la maladie dans les maladies oncologiques. Les patients qui nécessitent une réanimation en aplasie n’ont que 0 à 1 % de chances de survivre à la réanimation ; le consensus mondial est que cela est inutile (“futile”). Il serait donc éthiquement justifié – mais lié à de grands défis de communication – de discuter, malgré la chimiothérapie intensive clairement orientée vers la prolongation de la vie, voire la guérison, qu’aucune réanimation ne soit effectuée dans le cas très rare d’un arrêt cardiaque sous aplasie. Les patients atteints de tumeurs solides ont une meilleure chance de survie que les patients atteints de maladies hématologiques. Ce n’est pas la présence de métastases qui est déterminante pour le résultat d’une réanimation en cas de cancer, mais l’indice de Karnofsky. Si cet indice est encore supérieur à 50, les chances de survie à la réanimation sont presque égales à la moyenne normale (15% pour tous les patients après réanimation), mais si l’indice de Karnofsky est inférieur à 50, les chances tombent à moins de 5% [5].
“Informed consent” ou “Shared decision making” (prise de décision partagée)
La deuxième étape d’un traitement éthiquement bien fondé consiste à impliquer le patient – dans la mesure du possible et de son choix – dans les considérations fondamentales décrites ci-dessus concernant les preuves médicales et scientifiques et l’expérience, afin de définir l’objectif thérapeutique souhaitable pour le patient individuel. Toutes les personnes de plus de 80 ans n’ont pas une mauvaise qualité de vie, toutes les personnes de moins de 60 ans ne souhaitent pas être réanimées en étant bien informées des risques et des bénéfices de la réanimation cardio-pulmonaire.
Dans ce contexte, le standard minimal du “consentement éclairé” diffère fondamentalement du standard de la “prise de décision partagée”, qui est aujourd’hui souvent considéré comme l’étalon-or de la prise de décision avec les patients. Dans le cas du “consentement éclairé”, le médecin (ou le tumorboard) procède seul à l’évaluation des risques et des bénéfices et communique au patient une recommandation de traitement, voire une décision, sans vraiment rendre transparentes les considérations qui ont été prises, et le patient peut seulement accepter ou refuser cette option. Dans la “prise de décision partagée”, le patient est impliqué dans ces considérations de risque et de bénéfice, souvent avec l’aide d’outils d’aide à la décision basés sur les preuves et de compétences spécifiques en communication [6–8]. De tels outils d’aide à la décision, soumis à des normes de qualité élevées, ont été développés pour plusieurs centaines de situations pathologiques, par exemple pour évaluer si l’on souhaite ou non une réanimation, pour de nombreuses procédures de dépistage et de diagnostic (par ex. test PSA, dépistage par mammographie) et également pour des options thérapeutiques (par ex. anticoagulation en cas de fibrillation auriculaire, procédures de traitement en cas de cancer du sein ou du colon, chimiothérapies en cas de maladies hématologiques) [8].
Décisions de traitement chez les patients âgés atteints de leucémies aiguës
Pour les leucémies aiguës chez les patients âgés, il n’existe à ce jour, à la connaissance de l’auteur, aucune aide à la décision basée sur des preuves. Les aspects essentiels du point de vue de l’éthique clinique correspondent toutefois tout d’abord aux considérations de principe décrites. Les preuves et les avis d’experts concernant les bénéfices des chimiothérapies intensives dans les leucémies aiguës des patients âgés divergent, en particulier pour les objectifs thérapeutiques clés de qualité de vie et de prolongation de la vie. Certains auteurs y voient un avantage, d’autres en doutent [9,10]. L’étude révolutionnaire de Temel et al. a montré en principe que l’intégration précoce des soins palliatifs peut prolonger la vie de manière significative [11,12]. Mais selon les analyses du registre suédois, les patients âgés bénéficient également de la chimiothérapie intensive (par rapport aux traitements palliatifs primaires) en termes de qualité de vie [9]. Dans l’ensemble, des particularités spécifiques à la maladie doivent être prises en compte (tableau 2), qui exigent des considérations centrales (fig. 2).
Dans le cas d’un patient âgé atteint d’une leucémie aiguë, il est essentiel, lors de la planification du traitement, de déterminer l’objectif thérapeutique le plus souhaitable pour le patient (sur la base des objectifs thérapeutiques réalisables, du profil de risque spécifique et de la situation clinique globale, notamment des comorbidités et de l’état fonctionnel). Il n’est pas rare qu’après avoir bien réfléchi et impliqué le patient, il s’avère que l’objectif prioritaire est une mort à domicile aussi bien accompagnée que possible, car le patient considère en fin de compte que la vie est vécue. Dans une telle situation, il est logique de renoncer à une chimiothérapie intensive, car le risque de mourir à l’hôpital est assez élevé. Si la qualité de vie est considérée comme élevée et la chance de vivre encore plus longtemps comme prioritaire, une chimiothérapie intensive devrait être envisagée, adaptée au profil de risque individuel.
Planification avancée des soins
Dans les deux cas, il convient de bien prévoir ce qui se passera en cas de détérioration de la santé. Si le patient opte pour l’objectif thérapeutique d’une palliation primaire la meilleure possible, il convient de bien évaluer où celle-ci peut avoir lieu. Si le patient souhaite mourir à domicile, il faut un plan complexe de soins palliatifs avec une participation intensive des services ambulatoires. En cas de décision en faveur de l’objectif de prolongation de la vie, il faut également planifier les situations dans lesquelles ce “plan A” ne se réalise pas. Avant d’initier le traitement, il est essentiel de discuter intensivement, entre autres, de la réanimation en cas d’aplasie et des limites individuelles d’un traitement visant à prolonger la vie.
La planification préalable des soins (Advance Care Planning) est définie comme un processus de planification et de mise en œuvre de situations décisionnelles futures en matière de santé, dans lesquelles les patients ne sont pas capables de discernement. Les personnes clés de référence et les représentants de l’ensemble de la chaîne de traitement sont impliqués dans le processus : médecin généraliste, infirmiers en soins ambulatoires, ambulanciers, médecins urgentistes, spécialistes en milieu hospitalier. Le patient doit être aidé à rédiger des directives anticipées médicalement valables et adaptées à ses besoins, ainsi que des plans d’urgence adaptés à ses valeurs. Ce concept, de plus en plus établi dans le monde entier, y compris en oncologie, [13–15], notamment intégré dans le guide S3 des soins palliatifs basé sur l’évidence, est également évalué à l’hôpital universitaire de Zurich en coopération avec les cliniques d’hématologie et d’oncologie dans le cadre d’une étude soutenue par le Fonds national suisse [16].
Advance Care Planning complète un plan de traitement bien fondé sur le plan clinique et éthique pour le traitement des leucémies aiguës chez les patients âgés. L’Advance Care Planning contribuerait à ce que, dans le cas décrit au début, le médecin-chef responsable sache avec plus de certitude si le traitement de la pneumonie de la patiente de 77 ans serait dans son intérêt ou s’il faudrait passer à une situation de confort.
Littérature :
- Cassel EJ : N Engl J Med 1982 ; 306 : 639-645.
- Bagheri A, (éd.) : Medical futility : A cross-national study. Imperial College Press : Londres, 2014.
- Larkin GL, et al : Resuscitation 2010 ; 81 : 302-311.
- Levy PD, et al. : Circ Heart Fail 2009 ; 2 : 572-581.
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- Stiggelbout AM, et al : BMJ 2012 ; 344 : e256.
- Krones T : Relations entre les patients et les équipes de traitement/de soins et prise de décision commune. In Marckmann G (Hrsg) : Praxishandbuch Ethik in der Medizin. Medizinisch-Wissenschaftliche Verlagsgesellschaft, Berlin (in press).
- Stacey D, et al : Cochrane Database Syst Rev 2014 ; 1 : CD001431.
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- Kantarjian H, et al : Blood 2010 ; 116 : 4422-4429.
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- Marckmann G, In der Schmitten J : Zschr Med Ethik 2014 ; 59 : 213-227.
- Butler M, et al : Ann Intern Med 2014 ; 161 : 408-418.
- Ligne directrice S3, Soins palliatifs pour les patients atteints d’un cancer non curable. Mai 2015 Numéro d’enregistrement AWMF : 128/001OL.
- Essai MAPS : www.nfp67.ch/D/projekte/entscheidungen-motive-haltungen/planung-des-lebensendes/Seiten/default.aspx.
InFo ONKOLOGIE & HÄMATOLOGIE 2015 ; 14(5) : 14-17