La présence d’un ulcère du pied conduit encore aujourd’hui à la surinfection, la gangrène ou l’amputation. La grande majorité de ces conséquences seraient pourtant évitable grâce à une meilleure prévention. Les programmes ayant réussi à mettre en place une organisation centrée sur le patient et les acteurs de santé, pluridisciplinaire et réfléchie ont d’ailleurs réduit tant la prévalence des lésions du pied que les conséquences sur la morbi-mortalité. Il est donc de la responsabilité des soignants d’aider les patients à suivre les mesures de préventions. La pratique régulière de l’examen des pieds et à la gradation du risque podologique en constituent les piliers. L’utilisation de check listes peut constituer une aide précieuse. Elles permettent de rester systématique et possiblement de créer une culture partagée, entre les patients souffrant de diabète et leurs soignants, autour des risques liés au pied.
En 2012, la fédération internationale du diabète annonçait 372 millions d’individus souffrant de diabète sur l’ensemble de la planète et plus de 465 000 personnes seulement en Suisse. Des données alarmantes, tout comme les prévisions à vingt ans qui tablent sur une augmentation constante du nombre de patients diabétiques et des complications associées [1].
Les complications liées à la sphère podologique sont regroupées sous la terminologie du «pied diabétique». Elles découlent essentiellement de la survenue d’ulcères neuropathiques ou neuro-ischémiques qui fréquemment évoluent vers la surinfection, la gangrène ou l’ostéoartropathie diabétique. La prévalence des ulcères diffère selon la définition employée. En France, les ulcères non cicatrisés touchent entre 1,5 et 4,5% des patients diabétiques alors que l’ensemble des patients souffrant de diabète ayant présenté un ulcère du pied atteint 12 à 15% dans l’hexagone [2]. La présence d’un ulcère du pied multiplie la mortalité par deux chez les patients diabétiques et le risque d’amputation de dix à trente fois en comparaison à la population non diabétique [3, 4]. Aux Etats-Unis, plus de 71 000 amputations ont dû être réalisées durant l’année 2010 chez des patients souffrant de diabète, alors que le 85% serait évitable [1]! Des données solides montrent, en Europe comme aux USA, qu’une organisation centrée sur le patient et les acteurs de santé, pluridisciplinaire et volontariste réduit tant la prévalence des lésions du pied que les conséquences sur la morbi-mortalité [5, 6]. Le consensus international sur l’étude du pied diabétique a identifié trois facteurs limitant la prise en charge du pied diabétique:
- la disponibilité des ressources
- les facteurs liés au patient
- les facteurs associés au système de soin [7].
L’exploration minutieuse de ces facteurs dépasserait le cadre de cet article qui vise à regrouper les définitions et les mesures utiles pour évaluer la situation podologique chez les patients souffrant de diabète en utilisant le principe de la check liste.
L’identification du pied à risque
Dans le canton de Vaud, une évaluation de l’état de santé des diabétiques a montré que 68% d’entre eux avaient eu un examen des pieds durant l’année 2011 [8]. La qualité de l’examen n’a toutefois pas pu être évaluée. Il est possible d’améliorer la qualité de la prise en charge du dépistage du pied, mais cela requiert la mise en place d’un enseignement spécifique des soignants et la création de dossiers standardisés [9]. L’existence de programmes structurés, centrés sur l’évaluation du risque et la mise en place des mesures préventives a permis dans plusieurs centres de diminuer le nombre d’amputation et de baisser les coûts de santé publique [5, 6].
Ces succès sont encourageant et laissent supposer, bien qu’il soit formellement impossible de le démontrer, qu’il existe des moyens susceptibles d’activer les processus neuro-cognitifs nécessaires au changement chez l’humains [10]. En l’occurrence, dans la problématique du pied diabétique, il s’agit pour les soignants d’amener le patient à suivre
- les recommandations de soins
- le port d’un chaussage adapté.
Des changements qui en apparence semblent simples mais qui dans la réalité sont peu suivis.
L’utilisation d’une check liste, ou liste de vérification, est commune dans les domaines où la sécurité prévaut. En aviation comme en chirurgie leur efficacité n’est plus à prouver [11]. La finalité de ces procédures est d’améliorer la sécurité par la vérification méthodique des aspects potentiellement dangereux. De manière inattendue, leur utilisation semble avoir permis l’émergence d’une culture commune autour de la sécurité avec des effets significatifs.
Dans le cas du pied diabétique, il est crucial d’identifier le risque afin de mettre en place les mesures adéquates. Des check listes ou des formulaires spécifiques ont justement été utilisés par les programmes ayant réussit à diminuer la morbi-mortalité [5, 6]. Le groupe de travail international sur le pied diabétique (IWGDF) en propose une: «Easy to use foot screening assessment sheet for clinical examination» qui est simple d’emploi et permet de déterminer l’existence d’un risque podologique, sans le grader (tabl. 1) [7]. Il en existe d’autres, comme le «Foot screen record sheet of the Saskatchewan Health’s» (www.health.gov.sk.ca/diabetes-health-providers), utiles au suivi et à une meilleure identification du degré de risque pour les lésions du pied.
Pied à risque ou pied diabétique?
Il est important de faire la distinction entre le pied diabétique et la notion de pied à risque, présentant des déficits sensoriels. La définition du pied diabétique, selon les MeSH (Medical Subject Headings) est justement: «une problématique commune aux pieds des diabétiques caractérisée par l’association d’au moins deux des trois facteurs que sont la neuropathie diabétique, l’artériopathie périphérique et la survenue d’une infection qui conduit encore fréquemment à l’ostéomyélite, la gangrène et l’amputation».
Neuropathie périphérique: lésions caractéristiques en fonction du type d’atteinte. La présence d’une neuropathie est particulièrement fréquente chez les patients diabétiques. Presque 10% des patients présentent des stigmates dès le diagnostic et plus de 50% en subit les conséquences après 25 ans d’évolution [12]. La simplicité de la terminologie masque pourtant une réalité complexe car le terme «neuropathie des membres inférieurs» englobe de fait trois atteintes distinctes: les déficits sensitifs, les atteintes motrices et végétatives [13].
La neuropathie sensitive constitue l’atteinte cardinale, l’absence de signal douloureux en cas de frottement, de brûlure ou de contrainte mécanique engendre un risque élevé de lésions par le simple frottement et tout particulièrement en cas de chaussage inadapté. D’autre part, la présence d’une hypoesthésie conduit à un enraidissement progressif du pied face aux contraintes biomécaniques ce qui participe à générer des troubles de la statique et une altération de l’appui.
L’atteinte des fibres motrices est responsable d’un déséquilibre entre les muscles extenseurs et les fléchisseurs du pied. Elle se traduit par des déformations progressives des orteils (orteils en griffe avec proéminence des têtes des métatarsiens ou orteils en marteau), l’émergence de points d’hyper-appui caractérisé par la formation de zones d’hyperkératose qui en l’absence de prise en charge conduisent à la survenue de lésions ulcérées classiquement appelées mal perforant plantaire (MPP). L’autre aspect de ces déformations est l’apparition d’un déséquilibre dans la répartition des forces biomécaniques à la marche qui engendre de l’arthrose et une susceptibilité aux fractures.
L’atteinte végétative autonome conduit à l’apparition d’une sécheresse cutanée secondaire à la dysfonction des glandes sudoripares (xérose) et à des troubles vasomoteurs. Elle conduit dans certains cas à l’émergence d’une l’hyperhémie cutanée (shunt artério-veineux liés à une perte de la vasomotricité des capillaires) et à l’apparition d’œdèmes (sans lien avec une insuffisance veineuse ou un lymphœdème).
La résultante de l’atteinte neuro-végétative est une fragilisation cutanée supplémentaire.
L’évaluation des stigmates de la neuropathie diabétique touchant le pied est donc principalement clinique (tabl. 2).
Malheureusement, une évaluation méthodique n’intervient souvent qu’après la survenue d’un mal perforant plantaire, donc à un stade tardif! Les recommandations sur la prise en charge du pied diabétique ne proposent pas la réalisation d’examens complémentaires ou de bilan spécialisé pour le suivi. Elles s’avéreraient couteuses et ne conduiraient pas plus à la mise en place des mesures de préventions adéquates. Il convient néanmoins de distinguer le suivi et la phase du diagnostic durant laquelle l’élaboration du diagnostic différentiel et un bilan biologique étiologique sont souhaitables afin d’écarter ou intégrer à la prise en charge l’éventualité d’une étiologie sur- ajoutée (toxiques, déficit vit. B12, maladie vénériennes, etc.).
Les atteintes vasculaires: En 2010, 202 millions de personnes dans le monde étaient atteintes d’artériopathie périphérique. Au cours de la dernière décennie, la prévalence a augmenté de 28,7% dans les pays à revenus faibles ou moyens et de 13,1% dans les pays à revenus élevés [14]. L’évaluation de l’artériopathie repose sur la recherche de souffle, la palpation des pouls qui peut être facilitée par l’emploi d’un doppler et la réalisation de l’index cheville-bras. Mais contrairement à la neuropathie, le bilan artériel spécialisé constitue une étape incontournable et décisive pour en préciser le stade. Le tableau 2 reprend les signes cliniques des atteintes neuropathiques et ischémiques.
L’artériopathie est secondaire à des lésions vasculaires des grands vaisseaux. Ces lésions macro-angiopathiques sont généralement plus distales et plus diffuses que chez les non diabétiques. Elles entraînent une hypoxie tissulaire, une diminution des facteurs immunitaires endogènes et limitent le passage d’éventuels antibiotiques. Le rôle des lésions micro-angiopathiques n’est pas prédominant dans l’atteinte ischémique du pied diabétique, car elles ne sont pas impliquées dans l’hypoxie tissulaire, bien qu’elles contribuent à la fragilité neuro-cutanée existante.
Enfin, une des caractéristiques de l’artériopathie chez les patients diabétiques est que son évolution tend à être plus sévère. La découverte intervient là encore suite à la présence d’une atteinte trophique, donc tardive. Ce retard diagnostique tient aussi à l’absence des signes de claudication artérielle classique en lien avec la présence d’une neuropathie sensitive sous-jacente.
Lésions surinfectées: La survenue de la moindre lésion cutanée entraîne un risque de surinfection. Lorsque c’est le cas pour une lésion du pied, les chances de guérison s’amenuisent et le traitement doit être adapté. Le pronostic de guérison dépendra ensuite de la sévérité de la diffusion infectieuse qui est lié à la profondeur et au nombre des structures sous-cutanées impliquées (muscles, tendons, articulations et os).
Les patients diabétiques réunissent au niveau des pieds l’ensemble de facteurs de risque favorable à la propagation infectieuse. En effet, le pied est constitué d’une multitude de structures musculo-tendineuse. Il est de par sa localisation plus fréquemment en contact avec des charges polymicrobienne et possiblement plus vulnérable sur le plan immunitaire suite au déséquilibre glycémique. Ces facteurs se surajoutent à l’existence des complications neuropathiques et vasculaires (fig. 1) conditionnant le traitement ainsi que son succès. Il est donc particulièrement important d’évaluer au plus vite les plaies chez les diabétiques afin de limiter le risque de surinfection.
L’examen clinique du pied: régularité et méticulosité
Le diabète favorise la survenue des atteintes neuro-ischémiques des pieds. Procéder régulièrement à un examen clinique du pied permet d’identifier précocement la survenue des stigmates neuro-ischémiques afin d’éviter la survenue de complications ultérieures. Pour parvenir à ce résultat, l’évaluation doit être méthodique et complète. Le groupe de travail international sur le pied diabétique propose d’évaluer cinq points [7]:
- L’examen clinique du pied diabétique
- L’identification et la gradation du risque podologique
- L’éducation des patients, de la famille et des soignants
- L’adéquation du chaussage
- Le traitement des lésions non ulcéreuses
L’examen clinique du pied diabétique: L’examen du pied ne se limite pas à l’identification des stigmates neuropathiques (tabl. 2) et ischémique. Il doit inclure l’observation de l’ensemble des troubles morphostatiques (fig. 1) ainsi que l’observation des chaussettes et du chaussage qui sera traité ultérieurement. Le tableau 3 propose une petite liste des différents items à évaluer lors de l’examen clinique.
L’autre aspect à considérer est que l’examen clinique du pied implique une analyse transversale des constations étant donné que les items évalués font partie intégrante de plusieurs systèmes distincts (neurologique, vasculaire, tégumentaire et ostéo-articulaires).
L’identification et la gradation du risque podologique: Les observations de l’examen clinique doivent être complétées par une évaluation objective des éventuels déficits sensitifs. Il existe à cet effet deux tests validés et peu couteux: le monofilament de 10 gr de Semmes-Weinstein et l’emploi du diapason [9].
C’est en effet la présence de la neuropathie qui signe le risque d’ulcération comme le montre le tableau de la gradation du risque proposé par le groupe international de travail sur le pied diabétique. Dans le tableau 4, nous avons repris la version 2007 pour sa simplicité ainsi que les mesures pratiques liées au degré de risque.
L’éducation des patients, des familles et des soignants: A l’issue de tout examen du pied diabétique, le patient devrait être informé du résultat et des recommandations adaptées à sa situation. Cette information est nécessaire pour qu’il participe activement aux mesures pratiques et qu’il soit attentif à l’adéquation de son chaussage par rapport aux caractéristiques de son pied (tabl. 4). La complexité de l’enseignement lié au pied des diabétiques ne découle pas de la complexité des recommandations, mais de la difficulté à aider les patients à modifier des comportements nocifs pour leur santé sur la base d’une notion de risque. Pour parvenir à un résultat, l’importance de l’investissement sera similaire à celle nécessaire auprès d’un fumeur auquel il est suggéré d’arrêter le tabac ou du patient en surcharge pondérale à qui l’on propose de réduire son alimentation. C’est pour ces raisons qu’il est aussi nécessaire de former la famille à la gestion du diabète.
Enfin, il y a une nécessité de formation des professionnels à la problématique du pied diabétique afin d’assurer une meilleure identification du risque podologique et d’améliorer les réseaux de compétences pour permettre des prises en charges de qualité [9].
L’adéquation du chaussage: L’examen de la chaussure devrait faire partie intégrante de l’examen du pied comme mentionné précédemment, bien que l’évaluation fine du chaussage soit une affaire de spécialistes (orthopédistes et bottier orthopédistes).
Les préceptes à suivre sont simples. Ils nous renvoient à l’image en miroir des observations réalisées sur le pied. Il convient donc de vérifier la taille, l’adéquation de la forme et les points d’appuis (semelle et bords internes) de la chaussure afin de les comparer à la forme du pied. Il est par ailleurs utile de rechercher l’existence de rougeur sur le pied en regard des points d’appui retrouvés dans la chaussure.
L’observation des coutures et de la semelle interne de la chaussure conduit souvent à des découvertes inattendues (présence de corps étranger, absence de semelles, formes orthopédiques, etc.). Celle de la semelle révèle surtout l’usure et donc l’utilisation réelle des chaussures, ce qui est utile principalement chez les patients au bénéfice d’un chaussage thérapeutique. A noter qu’il existe peu de données sur l’efficacité des chaussures orthopédiques de série avec lit plantaire intégré, bien que cliniquement si elles sont bien adaptées et portées elles se révèlent efficaces.
Le traitement des lésions non ulcéreuses: Quel que soit le type de lésion du pied chez les patients diabétiques, il convient de suivre une démarche diagnostique structurée et systématique afin d’instaurer le traitement adéquat. L’étape principale du diagnostic consiste à préciser la nature première de la lésion: neuropathique, ischémique ou mixte (fig. 2).
Si aucune de ces étiologies n’est retenue, le traitement s’apparentera à de simples soins locaux et un suivi dans le but d’éviter la survenue d’une surinfection.
L’établissement d’un rapport sur le pied à risque: Les experts sur le pied diabétique suggèrent aussi à l’issue de tout examen de procéder à la rédaction d’un rapport médical comportant
- Gradation du risque podologique avec les implications pratiques (tabl. 4)
- La présence de troubles morphostatiques surajoutés
- L’évaluation du niveau d’éducation podologique du patient et de son entourage et son aptitude à l’auto-examen du pied.
Enfin, ils proposent que le rapport soit remis au patient ainsi qu’à l’ensemble des soignants impliqués dans la prise en charge.
Conclusions
- La survenue de complications du diabète est malheureusement fréquente; l’apparition d’un mal perforant plantaire, d’une gangrène ou d’une amputation est évitable dans la plupart des cas.
- Pour tenter de réduire ces complications, il est de la responsabilité des soignants d’aider les patients à suivre les mesures de préventions, en procédant régulièrement à l’examen des pieds et à la gradation du risque podologique. L’utilisation de check listes peut constituer une aide précieuse afin de rester systématique, notamment chez les soignants peu confrontés à la situation.
- L’examen des pieds devrait aussi favoriser la transmission des mesures de préventions adaptées aux patients et à l’ensemble des soignants impliqués. Les facteurs déclencheurs de lésion du pied restent malheureusement subordonnés à la méconnaissance du risque de lésion et des mesures adaptées.
Dr méd. Giacomo Gastaldi
Références
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