Les dermatoses bulleuses auto-immunes résultent d’une réponse immunitaire dirigée par des auto-anticorps contre des protéines structurelles de la peau. Les plaies chroniques dans le cadre de l’épidermolyse bulleuse dystrophique héréditaire récessive (RDEB) sont très sensibles à la transformation maligne en carcinomes épidermoïdes de la peau, qui peuvent mettre la vie en danger. Les chercheurs combinent des techniques de profilage moléculaire et cellulaire avec des tests fonctionnels afin d’identifier des marqueurs qui pourront éventuellement être utilisés un jour pour le diagnostic et le traitement.
L’épidermolyse bulleuse héréditaire (EB) est un groupe de maladies qui se caractérise par une fragilité pathologique de la peau et des muqueuses, accompagnée de cloques et d’érosions. A ce jour, plus d’un millier de mutations dans 20 gènes différents sont connues pour être associées à l’EB [1]. Il s’agit principalement de gènes codant pour des protéines structurelles dans l’épiderme ou au niveau de la zone de jonction dermoépidermique. En fonction de la profondeur du niveau morphologique de formation des bulles, on distingue principalement les 4 types d’EB suivants [2] :
- EB simplex (EBS suprabasal et basal)
- EB fonctionnelle (JEB)
- EB dystrophique (DEB)
- Syndrome de Kindler
Une mutation dans COL7A1 est considérée comme la cause de la DEB. Ce dernier code pour un composant important des fibrilles d’ancrage, le collagène VII [1]. Selon son mode de transmission, la DEB est divisée en une DEB dominante (DDEB) et une DEB récessive (RDEB). Le RDEB se caractérise par une fragilité épidermique, des cloques dues à un traumatisme et des plaies à long terme difficiles à cicatriser. Dans les formes généralisées et graves de RDEB, les carcinomes épidermoïdes (CES) sont proportionnellement plus fréquents en raison d’un traumatisme inflammatoire chronique et récurrent des tissus et d’une régénération/hyperprolifération réactive permanente.
Le RDEB est associé à une manifestation précoce du SCC
Le risque de réduction de l’espérance de vie en raison de métastases liées au SCC est supérieur à 87% chez les patients atteints de RDEB, a expliqué le professeur Iris Gratz, Sciences de la vie et biologie médicale, Université Paris Lodron, Salzbourg (A) [2]. Le risque augmente en fonction de l’âge et de la forme d’évolution, mais il est déjà beaucoup plus élevé chez les moins de 40 ans que dans la population générale (encadré). La fibrose qui se développe rapidement dans la peau RDEB contribue à la fois aux plaies chroniques et aux carcinomes épidermoïdes – la principale cause de décès dans ce groupe de patients [3]. Comme dans d’autres maladies fibrotiques, certaines voies de signalisation moléculaires sont perturbées dans le RDEB [3]. Les chercheurs dirigés par le professeur Gratz étudient le rôle des cellules T cutanées en utilisant des cultures de peau organotypiques en 3D, des modèles de souris pour l’inflammation de la peau médiée par les cellules T et des modèles de souris pour la xénogreffe. Il s’agit tout d’abord de découvrir des facteurs inconnus et sous-estimés qui contribuent à la chronicité des plaies, à la transformation maligne et à la progression tumorale, afin de pouvoir, espérons-le, utiliser ces connaissances plus tard pour le diagnostic et le traitement. Récemment, les chercheurs ont mis en évidence le comportement de recirculation des cellules T mémoires résidentes de la peau humaine [4], ont analysé les cellules T CD4+ humaines circulantes in vivo d’un point de vue fonctionnel et transcriptionnel [5] et ont développé un nouveau modèle de souris humanisée par la peau pour étudier la migration des cellules T et l’activation des TRM cutanés humains in vivo [6].
Spinaliomes associés au RDEB : augmentation du risque corrélée à l’âge Les carcinomes épidermoïdes (SCC) associés aux RDEB sont plus agressifs et se caractérisent par une morbidité et une mortalité plus élevées que les SCC dans la population générale. Les SCC sont la principale cause de décès chez les patients atteints de RDEB généralisée sévère. Le risque cumulé pour ces patients de développer au moins un carcinome spinocellulaire est déjà de 67,8% à l’âge de 35 ans. A l’âge de 55 ans, le risque passe à 90,1% (National EB Registry, USA). Les SCC se développent typiquement dans des zones de plaies chroniques et de cicatrices, en particulier au niveau des extrémités. |
Gros plan sur les cellules TRM cutanées et circulantes dans le sang
En résumé, on peut affirmer à l’heure actuelle que le RDEB est une entité pathologique inflammatoire qui est associée à un risque massivement accru de carcinome épidermoïde (SCC) [1]. Des études empiriques ont montré que les cellules T cutanées produisent un taux élevé d’interleukine (IL) 17 et d’IL22. Il s’est également avéré que les cellules T cutanées à mémoire tissulaire ( TRM) pouvaient quitter la peau et circuler dans le sang [1]. Et il s’est avéré que le SCC était associé à une fraction significativement plus élevée de TRM circulants produisant de l’IL17A, alors que ce n’était pas le cas pour d’autres cytokines comme l’IL13, le GM-CSF ou l’IFN-gamma. Par ailleurs, il a été observé que les fibroblastes associés aux tumeurs présentent un transcriptome régulé par Th17. Sur la base de ces résultats, on suppose actuellement que l’IL17 et l’IL22 provenant des cellules T peuvent stimuler la croissance tumorale, d’une part directement et d’autre part indirectement via les fibroblastes (par exemple en déclenchant des processus pro-inflammatoires) [1]. Plusieurs études sont actuellement en cours pour déterminer si ces voies peuvent être bloquées, en utilisant des modèles de peau en 3D, des cultures SCC et des modèles de xénogreffes SCC. Entre autres, une analyse de cellules uniques de tissu RDEB a montré que l’expression d’IL17A était plus élevée dans le tissu RDEB affecté par le SCC que dans les échantillons de peau RDEB sans tumeur [1].
Congrès : ADF Annual Meeting
Littérature :
- Schweiger-Briel A, et al. : Epidermolyse bulleuse – Vue d’ensemble et réseau suisse. Paediatrica 2018 ; 29(3) : 36-34.
- “Skin inflammation and cancer – Can we learn from rare genetic diseases ?”, Dr Iris Gratz, ADF Annual Meeting, Innsbruck, 24.02.2023.
- Tartaglia G, et al : Impaired Wound Healing, Fibrosis, and Cancer : The Paradigm of Recessive Dystrophic Epidermolysis Bullosa. Int J Mol Sci 2021 ; 22(10) : 5104.
- Klicznik MM, et al : Les cellules T de mémoire résidentes cutanées humaines CD4+CD103+ sont trouvées dans la circulation d’individus en bonne santé. Sci Immunol 2019 ; 4(37).
- Höllbacher B, et al : Le profilage transcriptomique des sous-ensembles de cellules T effectrices et régulatrices humaines identifie des signatures de population prédictives. Immunohorizons 2020 ; 4(10) : 585-596.
- Klicznik MM, et al : Un nouveau modèle de souris humanisée pour étudier la fonction des cellules T de la mémoire cutanée humaine in vivo dans la peau humaine. Sci Rep 2020 ; 10(1) : 11164.
- Condorelli AG, et al : Epidermolysis Bullosa-Associated Squamous Cell Carcinoma : From Pathogenesis to Therapeutic Perspectives. Int J Mol Sci 2019 ; 20(22) : 5707. www.mdpi.com/1422-0067/20/22/5707,(dernière consultation 23.05.2023)
- Montaudié H, et al. : Epidermolyse bulleuse inhérente et carcinome épidermoïde : une revue systématique de 117 cas. Orphanet. J Rare Dis 2016 ; 11 : 11.
- Fine JD, et al. : Epidermolyse bulleuse et le risque de cancers mortels : l’expérience du Registre national EB, 1986-2006. JAAD 2009 ; 60 : 203-211.