La psychothérapie de la douleur comprend à la fois une approche axée sur les symptômes et une approche axée sur les problèmes. Les facteurs psychosociaux et liés au travail contribuent à la chronicité et doivent absolument être pris en compte dans le traitement. L’éducation est une composante importante de la promotion du coping et de la compliance.
Le mal de dos est un problème de santé important dans les pays industrialisés occidentaux. Dans l’enquête de Schmidt et al. [1], 76% des personnes interrogées ont déclaré avoir eu mal au dos au cours des 12 derniers mois. Toutes les études [2] permettent de constater les aspects suivants : Les femmes sont plus souvent touchées que les hommes, les douleurs dorsales se retrouvent dans toutes les classes d’âge et tous les milieux sociaux, les jeunes adultes présentent une prévalence annuelle élevée dès l’âge de 20 ans, la prévalence des douleurs dorsales chroniques augmente avec l’âge. Un taux élevé de récidive associé à une tendance à la chronicité font du mal de dos un problème de santé publique et de politique sociale, car la chronicité des douleurs s’accompagne de conséquences médico-sociales croissantes, telles qu’une réduction de l’incapacité de travail et de l’invalidité, mais aussi du recours à des prestations médicales.
Définition et symptômes
Les causes sous-jacentes ou les mécanismes pathologiques des maux de dos englobent un grand nombre de processus pathologiques. Cependant, des maladies spécifiques, telles qu’une hernie discale ou des processus inflammatoires, ne constituent la base pathologique que dans quelques cas. La grande majorité des maux de dos sont considérés comme des maux de dos “non spécifiques”. Dans 80 à 90% des cas, la cause exacte reste inconnue ; outre les changements dégénératifs, on trouve des dysfonctionnements qui affectent les disques intervertébraux, les muscles, les fascias, les ligaments et les articulations des arcs vertébraux [3]. Non-spécifique signifie qu’aucun résultat pathologique structurel ou seulement un résultat pathologique structurel non pertinent peut être trouvé pour la symptomatologie douloureuse.
Facteurs de chronicité
L’approche et le traitement purement médicaux du mal de dos se heurtent toujours à leurs limites, car ils négligent d’autres facteurs d’influence importants dans le processus de chronicisation. Les “drapeaux” du tableau 1 décrivent ces facteurs de risque de manière exhaustive [4].
Les caractéristiques du poste de travail (“black flags”) telles que le travail physique lourd, le stress dû aux vibrations et les positions corporelles constantes adoptées pendant de longues périodes sont décrites comme défavorables au pronostic. Il existe cependant des doutes quant à une relation directe entre les conditions objectives du poste de travail et l’apparition de douleurs dorsales : la prévalence des douleurs dorsales dans les pays industrialisés augmente, bien que les conditions ergonomiques du poste de travail s’améliorent de plus en plus. Cependant, les facteurs de risque pertinents pour la chronicisation des troubles sont avant tout des caractéristiques telles que la charge de travail subjectivement vécue (“blue flags”) et les facteurs psychosociaux (“yellow flags”), les stratégies d’adaptation dysfonctionnelles et également les réactions émotionnelles aux troubles (anxiété, dépression) [5].
Le handicap subjectivement ressenti par le patient (disability) et l’idée qu’il se fait de la nature et de la traitabilité de la maladie, de sa propre capacité d’influence et du comportement face à la maladie qui en découle (passivité, ménagement, incapacité de travail, recours aux services de santé) constituent des facteurs essentiels de maintien des troubles. Si le patient est convaincu que ses douleurs signalent un danger physique et qu’elles sont la conséquence d’un effort physique, il évitera à l’avenir de s’exposer afin d’éviter tout autre dommage physique potentiel et toute aggravation de la douleur. La peur de la douleur et du préjudice entraîne un comportement dit de “peur-avoir”. En théorie de l’apprentissage, cela s’explique de la manière suivante : L’association à médiation cognitive entre la douleur et l’effort physique résulte d’un conditionnement classique et est renforcée de manière opérationnelle par le comportement d’évitement motivé par la peur ( fig. 1).
Au fur et à mesure de l’inactivité, on observe une perte de mobilité, des problèmes de coordination, un déconditionnement, une mauvaise posture et un affaiblissement des muscles (atrophies) [6]. Les mouvements contrôlés (guarded movement) qui accompagnent le comportement de peur-avidité entraînent des schémas de mouvements non physiologiques, une attention accrue à soi-même et une tension musculaire accrue. Ce comportement est plutôt renforcé par les écoles du dos classiques, qui “apprennent” au patient certains modèles de mouvements. Par exemple, le patient apprend à s’agenouiller lorsqu’il ne veut que ramasser des objets légers. Les patients décrivent ici une sensation de mouvement très rigide et conscient, comme dans un corset. L’observation du comportement permet également d’identifier ces schémas de mouvement.
Outre ces croyances spécifiques d’évitement de la peur chez les patients souffrant de lombalgie, d’autres cognitions défavorables liées à la douleur peuvent être identifiées comme facteurs de risque. Les attributions de contrôle externe (“seule une opération peut m’aider”), les attributions causales stables prononcées (“ma colonne vertébrale est un tas de débris, on ne peut rien y faire”) et la tendance au catastrophisme (“la douleur va s’aggraver et je vais devenir un cas de soins”) constituent les schémas de pensée maladaptés les plus fréquents à cet égard. Le sentiment d’impuissance et de désespoir associé à de telles pensées favorise à son tour un comportement de protection et d’évitement et des stratégies d’adaptation plutôt passives. Le repli sur soi, l’incapacité à travailler et le sentiment d’impuissance peuvent aggraver l’état dépressif et l’anxiété. Il en résulte une perte du rôle social existant (par exemple, celui de soutien de famille), des conflits au sein de la famille et avec l’environnement social. L’estime de soi peut être altérée, le déroulement de la journée est de plus en plus déterminé par la “gestion” de la douleur.
En revanche, un autre groupe de patients a tendance à persévérer, à avoir des exigences de performance élevées et à dépasser régulièrement les limites physiques, ce qui contribue également à la chronicité. Il existe souvent une double charge de travail (plusieurs emplois, famille monoparentale, membres de la famille à soigner) qui favorise ce coping dysfonctionnel. Ces patients ont souvent une mauvaise perception du stress, certains minimisent les symptômes et utilisent également des analgésiques pour fonctionner au quotidien. On distingue les “persévérants dépressifs”, qui décrivent souvent une humeur dépressive et irritable, car il est difficile de faire face aux exigences quotidiennes avec des douleurs chroniques, mais ils “s’accrochent”, des “persévérants joyeux”, qui utilisent des injections et des médicaments pour fonctionner et qui sont souvent peu conscients du problème. Mais parfois, il s’agit plutôt d’une “pokerface”, la personne concernée affiche un visage joyeux parce que le contexte professionnel ou familial l’exige, mais l’humeur est en fait nettement affectée. Les patients qui font preuve d’une telle persévérance se surmènent souvent pendant des années, jusqu’à ce qu’ils soient de plus en plus souvent contraints de se ménager par épuisement et finissent par devenir incapables de travailler à long terme. Les performances physiques diminuent progressivement avec le temps, car le corps n’a pas suffisamment de temps pour se régénérer avant la prochaine activité.
Outre ces facteurs psychosociaux (“yellow flags”), la chronicisation dite iatrogène (“pink flags”) [7] joue un rôle essentiel. Iatrogène signifie : influences néfastes résultant du comportement et de l’absence de comportement thérapeutique. Le système de soins médicaux soutient les idées profanes du patient sur la maladie, en mettant l’accent sur la pathologie locale et les possibilités de traitement purement médical, mais en négligeant les facteurs psychosociaux.
A cela s’ajoutent les conditions du marché du travail régional, qui rendent la réintégration dans la vie professionnelle peu probable en cas de mauvaises qualifications et d’atteinte par les problèmes de dos. Si la période de maladie se prolonge, il devient alors plus probable d’envisager une demande de pension. L’interaction des conséquences psychologiques, sociales et somatiques des troubles entraîne la poursuite des troubles, à la manière d’un cercle vicieux.
Thérapie
En Allemagne, la caisse d’assurance maladie Barmer Ersatzkasse décrit dans son rapport 2015 une comparaison de la thérapie de 2006 avec celle de 2014 : malgré la mise à jour de la ligne directrice nationale de soins pour la lombalgie en 2017, il y a eu un taux d’augmentation de la thérapie interventionnelle de la douleur. La thérapie multimodale a quadruplé, mais le rapport entre la thérapie interventionnelle de la douleur et la thérapie multimodale interdisciplinaire de la douleur est de 11:1. Dans l’ensemble, il existe en Allemagne un manque, une insuffisance et un excès de soins pour le mal de dos chronique.
La douleur chronique est un phénomène multifactoriel qui peut être expliqué et rendu compréhensible par une approche biopsychosociale. En conséquence, les approches thérapeutiques doivent également avoir un caractère multimodal et une orientation interdisciplinaire et représentent aujourd’hui l’étalon-or dans le traitement de la douleur. L’échange régulier entre les disciplines (médecine, psychothérapie, physiothérapie), le langage et la philosophie communs sont importants pour pouvoir transmettre au patient un modèle de maladie approprié et faciliter ainsi à long terme la gestion des troubles, ce qui inclut obligatoirement le traitement des facteurs psychosociaux aggravant la douleur.
Les objectifs généraux de la thérapie interdisciplinaire sont présentés dans le tableau 2 [8].
Les objectifs de la psychothérapie de la douleur [9,10] sont, outre l’éducation d’un modèle de la maladie, l’enseignement de stratégies d’adaptation assimilatives pour influencer le symptôme (par ex. par la confrontation avec des mouvements évités, un meilleur équilibre entre repos et activité, des techniques de relaxation, des stratégies de distraction). Au fur et à mesure que la chronicité augmente, l’enseignement de stratégies d’adaptation accommodantes (par exemple, une plus grande flexibilité dans la gestion des plaintes, la construction d’une acceptation du symptôme et de la restriction qui en découle) représente un aspect important. En outre, il s’agit d’améliorer la gestion des facteurs influençant la douleur, comme l’entraînement aux compétences en matière de stress, le traitement du stress professionnel et familial et, enfin, le traitement des éventuels traumatismes biographiques. Environ un tiers des patients souffrent d’une comorbidité de troubles affectifs ou anxieux, qui doivent également être traités en plus de l’approche axée sur les symptômes.
Certains aspects sont expliqués plus en détail ci-dessous :
Les patients souffrant de douleurs dorsales présentent souvent un tableau clinique très somatique. L’objectif de l’éducation est de transmettre un modèle biopsychosocial de la maladie, la différence entre les douleurs aiguës et chroniques (traitement de la douleur, processus physiologiques de sensibilisation à la douleur, facteurs de maintien) et de bien informer sur ses propres possibilités d’influence et leurs limites.
Le biofeedback permet de renvoyer des signaux physiques de manière visuelle ou sonore. Le biofeedback est très bien accepté – “on peut y voir ma douleur”. Dans le cas d’un modèle de douleur à orientation somatique, il sert à améliorer l’observance par la transmission d’un modèle biopsychosocial, est en outre utilisé pour compléter et illustrer le contenu de l’éducation et la capacité de relaxation peut être améliorée.
Les méthodes de relaxation telles que la relaxation musculaire progressive ou l’imagination font partie intégrante de la psychothérapie de la douleur et poursuivent simultanément des objectifs très différents : stabilisation musculaire et végétative, distraction de la douleur, amélioration de la perception corporelle et gestion du stress. En outre, les techniques de relaxation sont appropriées pour aider à l’endormissement et au maintien du sommeil et des stratégies d’hygiène du sommeil appropriées sont enseignées.
Pour réduire la peur de bouger, le patient a besoin d’être rassuré par un professionnel de la santé et d’une explication de ses résultats somatiques (par exemple, radiographie, IRM) afin de pouvoir s’engager dans une thérapie d’activation et une exposition aux mouvements évités. “Fear of pain” est associé à la peur de la douleur lors d’un mouvement. L’objectif de la confrontation avec le stress redouté est un “recadrage” (changement de la conviction que le stress est nuisible) et l’établissement d’une plus grande confiance dans le corps en cas de stress. Un traitement conjoint par un psychologue et un kinésithérapeute est souvent utile. Le psychologue guide le patient dans le mouvement anxiogène, le kinésithérapeute peut également enseigner des stratégies utiles après l’effort, comme des étirements ou des assouplissements.
Les patients très déconditionnés avec une généralisation du comportement d’évitement doivent être activés de manière graduelle (graded activity) selon une approche basée sur des quotas. Le taux est une mesure de l’effort qui permet par exemple d’évaluer la durée de l’effort, la fréquence du mouvement ou encore la distance de marche jusqu’à l’augmentation de la douleur. On soustrait 20% de cette mesure pour déterminer le premier quota pour l’entraînement. Si le patient gère bien cette charge pendant l’entraînement, même un mauvais jour, il augmente de 20% par rapport à la valeur initiale. L’activation par quota s’effectue ainsi selon une procédure de contingence de la douleur, afin que celle-ci perde sa fonction discriminante de contrôle du comportement. Sans cette exigence de quota, le patient arrêterait l’effort en raison de la douleur. L’approche axée sur les quotas est appropriée, en plus de traiter les exigences de performance élevées et les “moteurs internes”, pour les patients qui ont un comportement persistant et qui dépassent leurs limites physiques personnelles. Le patient est félicité pour son comportement “sain” et fonctionnel (mise en place de charges quotidiennes significatives pour lui, comme par exemple le ménage, le travail, les courses, le sport), selon les principes du conditionnement opérant.
L’enseignement de stratégies d’adaptation accommodantes consiste à acquérir une plus grande flexibilité dans la gestion des troubles, à réduire l’écart entre les objectifs et les souhaits par rapport aux circonstances données, par exemple en réduisant le niveau d’exigence ou en fixant des objectifs réalistes, et éventuellement à parvenir à une réévaluation de sa propre situation. Les techniques de thérapie cognitivo-comportementale sont principalement utilisées à cet effet. Le rôle de ses propres moteurs internes et de ses croyances fondamentales dysfonctionnelles est identifié et remis en question afin de pouvoir construire de nouvelles attitudes internes plus appropriées. L’objectif est de développer un comportement plus flexible, plus adapté et une gestion plus adaptative des exigences, indépendamment de la situation.
La thérapie d’acceptation et d’engagement permet de mener une vie axée sur les valeurs et de construire une nouvelle perspective de vie. Il s’agit de construire une volonté de laisser les choses telles qu’elles sont pour le moment et de se tourner à nouveau vers d’autres domaines importants de la vie. Cependant, certains patients mettent toute leur énergie dans la “lutte” contre leur symptôme. Dans ce contexte, la pleine conscience représente une compétence de base et une base et est donc pratiquée à la fois dans des exercices formels (par exemple, la pleine conscience de la respiration, le bodyscan) et dans des exercices informels au quotidien.
D’autres thèmes importants sont souvent le développement de compétences d’affirmation de soi pour mieux se démarquer des exigences des collègues ou des membres de la famille, et aussi la gestion des problèmes et des conflits sur le lieu de travail afin de permettre un retour à la vie professionnelle.
Résumé
La douleur chronique est un problème de santé important. Dans le cadre d’une compréhension biopsychosociale de la maladie de la douleur chronique, on attribue de plus en plus d’importance aux facteurs psychiques et sociaux en plus des aspects physiques des troubles. Il est donc judicieux de ne pas proposer une thérapie unimodale purement médicale, mais de travailler de manière interdisciplinaire en cas de douleurs dorsales chroniques et d’intégrer la psychothérapie et la physiothérapie de la même manière.
Messages Take-Home
- Les facteurs psychosociaux et liés au travail contribuent largement à la chronicité, en plus des aspects iatrogènes dans le domaine de la santé, et doivent être pris en compte de toute urgence dans la thérapie.
- La psychothérapie de la douleur comprend à la fois une approche axée sur les symptômes et une approche axée sur les problèmes.
- L’éducation favorise une meilleure acceptation de sa propre maladie, réduit l’anxiété, aide à faire face à la maladie et augmente ainsi la compliance du patient à un traitement actif.
- En cas de douleurs dorsales chroniques, une approche interdisciplinaire associant la médecine, la psychothérapie et la kinésithérapie s’impose.
Littérature :
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