Pour améliorer la prise en charge des symptômes dépressifs en soins primaires, il existe des guidelines spécifiquement adaptés à ce contexte. Il n’est pas rare que les médecins généralistes soient le premier ou le seul point de contact des patients dépressifs. L’étiologie peut être très variable. Des plaintes somatiques diffuses cachent parfois une dépression larvée.
iFightDepression® [1] est un projet financé par la Commission européenne, dans le cadre duquel des fiches d’information ont été élaborées sur certains aspects de la maladie. Ni l’UE [2] ni l’OMS [3] ne fournissent leurs propres lignes directrices, mais abordent le sujet dans le cadre de l’agenda de la santé. Les guidelines américaines [4] et allemandes [5] se réfèrent aux conditions culturelles et aux systèmes de santé respectifs, qui diffèrent des conditions suisses.
Guidelines de Mednetbern
En complément des directives sur le traitement somatique de la dépression [6,7] et sur la psychothérapie de la dépression [8], qui sont disponibles depuis longtemps en Suisse et qui ont été élaborées sous l’égide des sociétés de psychiatrie, le réseau de médecins mednetbern [9] a développé des directives spécifiquement adaptées aux conditions et aux besoins du setting ambulatoire des soins primaires dans notre pays. Les utilisateurs ciblés sont les médecins et les recommandations s’appliquent aux adultes, quels que soient leur groupe d’âge et leur sexe. Le présent article contient un résumé concis des lignes directrices valables dans leur version actuelle jusqu’en 2021 au moins.
Les auteurs des lignes directrices définissent la dépression comme suit [9] : “Syndrome neurobiologique avec de graves répercussions psychologiques, mentales, physiques et sociales. Symptômes principaux : Humeur déprimée, manque de joie, altération de l’estime de soi, de l’état physique et du sommeil (prévalence à vie de 15%). Non diagnostiquée et non traitée, la maladie peut entraîner la mort par suicide et avoir un impact négatif sur l’évolution de nombreuses maladies et sur la capacité de travail”.
Le rationnel théorique du manuel d’évaluation se base entre autres sur la procédure recommandée au niveau international pour la prise en charge des troubles dépressifs (CIM-10 : F32.- Episode dépressif) [10]. L’objectif est de contribuer à mieux identifier, évaluer et traiter la dépression [9]. Cela inclut, entre autres, des conseils sur les médicaments, la capacité de travail et l’aptitude à la conduite. Des critères de décision clairs ont été définis pour le renvoi. Des questionnaires psychométriques validés sont inclus comme outils pour une évaluation rationnelle. Le “Guideline Depression” de mednetbern est disponible gratuitement sur le web [11,12]: www.guidelines.fmh.ch ; www.mednetbern.ch
Algorithme de diagnostic
Selon la classification actuellement en vigueur, les critères suivants doivent être remplis pour poser le diagnostic de “dépression” : depuis au moins 4 semaines ≥2 symptômes principaux et au total ≥4 symptômes principaux et supplémentaires qui ne peuvent pas être attribués à l’abus de substances psychotropes. Un épisode dépressif lié à une maladie somatique ou à des médicaments est considéré comme un trouble mental organique (F06.32) [10].
En termes de diagnostic différentiel, il convient notamment de faire la distinction entre la réaction de deuil, le trouble de l’adaptation, les troubles liés à la dépendance à une substance et d’autres maladies psychiques. Les symptômes physiques (par exemple la perte de poids) doivent toujours être examinés.
Il existe un grand nombre d’outils de diagnostic qui peuvent être utilisés comme aide. Les Guidelines de mednet Bern recommandent les procédures suivantes : a) Test en deux questions [13]: b) une évaluation diagnostique en trois parties, c) évaluation combinée de la dépression (aperçu 1).
Recommandations de traitement
Sur la base des résultats de l’évaluation, un traitement peut être mis en place dans le but d’atteindre la guérison ou la rémission, de réduire la mortalité, notamment par suicide, et d’éviter les rechutes et les récidives [9]. Chaque patient peut recevoir des mesures/conseils généraux (counselling) par l’intermédiaire de son médecin généraliste. La psychothérapie et la pharmacothérapie constituent des mesures thérapeutiques supplémentaires. En cas d’épisodes dépressifs légers ou modérés, la préférence du patient doit déterminer quelle mesure doit être appliquée en premier. En cas d’épisodes dépressifs légers, les antidépresseurs ne doivent être utilisés en première intention qu’après une évaluation particulièrement critique du rapport bénéfice/risque. En cas d’épisodes dépressifs majeurs, la combinaison d’une psychothérapie et d’une pharmacothérapie est obligatoire.
Mesures générales (counselling) : La prise de décision participative favorise la compréhension et l’engagement/l’adhésion.
Mode de vie : l’hygiène du sommeil, une alimentation régulière et l’exercice physique (au moins 2 à 3 fois par semaine, 30 à 45 minutes d’entraînement d’endurance) doivent être recommandés. Les effets nocifs de l’alcool et des drogues doivent être soulignés.
Conseil/counselling : éducation, entretiens psycho-éducatifs et de soutien, auto-assistance qualifiée et guidée, approches de résolution de problèmes.
Pharmacothérapie : l’indication d’un produit donné doit être déterminée par le profil individuel d’effets secondaires et de risques.
- 1er choix : ISRS (inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine) : Escitalopram, Sertraline, Fluoxetine.
- 2ème choix : SNRI (inhibiteurs sélectifs de la recapture de la noradrénaline) : Venlafaxine, Duloxétine. Important : en cas d’épisode dépressif majeur (F32.2) [10], la venlafaxine est le médicament de premier choix.
- 3. cas particuliers : selon les guidelines (page 3) [12], par exemple, en fonction de la situation, mirtazapine en cas de troubles du sommeil, duloxétine ou amitriptyline en cas de douleurs chroniques.
- 4. stratégies en cas d’inefficacité : changement d’antidépresseur, augmentation des doses, associations de l’antidépresseur avec la psychothérapie, augmentation (association d’un antidépresseur avec la mirtazapine, les neuroleptiques atypiques, l’hormone thyroïdienne, le lithium).
Psychothérapie : les patients pour lesquels une psychothérapie est indiquée peuvent être adressés à des spécialistes : La thérapie cognitivo-comportementale, la psychothérapie par la parole ou la psychothérapie psychodynamique/analytique sont des méthodes de traitement de la dépression efficaces et fondées sur des données probantes [20,21].
Algorithme de traitement : les mesures thérapeutiques doivent être adaptées à la gravité de l’épisode dépressif et être poursuivies pendant des périodes clairement définies, même après amélioration ou rémission. Dans un premier temps, il est recommandé de mettre en place des mesures/conseils généraux (counselling) pour tous les patients. S’il s’agit d’une dépression légère, il est possible d’attendre une période de 14 jours avant d’entreprendre des mesures pharmacothérapeutiques ou psychothérapeutiques (“watchful waiting”). En cas de dépression légère ou modérée, il est conseillé de recourir à un antidépresseur ou à une psychothérapie. Pour les épisodes dépressifs majeurs, il est recommandé d’associer médicaments et psychothérapie.
Suivi : la réponse au traitement doit être évaluée sur à des intervalles de 14 jours. Si la réduction de la symptomatologie dépressive dans le questionnaire de suivi du PHQ-9 [19] est inférieure à 50%, l’observance doit être remise en question, le traitement modifié ou le patient réorienté.
Orientation : en urgence, vers un service d’urgences psychiatriques ou un hôpital psychiatrique : en cas de mise en danger de soi ou d’autrui, de dépressions très graves, de dépressions avec symptômes psychotiques. Régulièrement, à un psychiatre établi : en cas de dépression modérée à sévère, de troubles psychiatriques concomitants (par ex. abus de substances), de résistance à la thérapie.
Littérature :
- Alliance européenne contre la dépression : iFightDepression®, http://ifightdepression.com/de/
- Commission européenne : mesures contre la dépression, http://ec.europa.eu/health/ph_determinants/life_style/mental/docs/depression_de.pdf
- WHO Media Centre : Dépression. www.who.int/mediacentre/factsheets/fs369/en/
- Gelenberg AJ, et al. : Practice guideline for the treatment of patients with major depressive disorder, third edition. https://psychiatryonline.org/pb/assets/raw/sitewide/practice_guidelines/guidelines/mdd.pdf
- DGPPN : Ligne directrice S3 et ligne directrice nationale de soins (NVL) Dépression unipolaire. www.dgppn.de/leitlinien-publikationen/leitlinien.html
- Holsboer-Trachsler E, et al. : Le traitement somatique des troubles dépressifs unipolaires 1ère partie. Forum Med Suisse 2010 ; 10(46) : 802-809.
- Holsboer-Trachsler E, et al. : Le traitement somatique des troubles dépressifs unipolaires 2ème partie. Forum Médical Suisse. 2010;10(47):818-22.
- Küchenhoff J : Psychothérapie de la dépression. Recommandations de traitement pour la psychothérapie de la dépression. www.psychiatrie.ch/sgpp/
- Giania A, et al. : Guidelines pour les médecins de premier recours : Dépression. Directive de mednetbern. Prim Hosp Care (fr) 2018 ; 18(05) : 78-81.
- CIM-10, www.icd-code.de
PRATIQUE DU MÉDECIN DE FAMILLE 2020 ; 15(2) : 19-20