Selon la définition de l’OMS, la polypharmacie consiste à prendre plus de 5 médicaments par jour, ce qui est particulièrement fréquent chez les patients âgés. Dans le groupe d’âge des plus de 70 ans, jusqu’à la moitié des patients remplissent ce critère. Il est important de prendre en compte les effets d’interaction possibles.
C’est évidemment un problème, car chaque médecin peut suivre lui-même l’évolution démographique dans son cabinet ou dans son service : Les personnes âgées de plus de 80 ans constituent le groupe de population dont la croissance est la plus rapide. Le patient type dans les cabinets médicaux et les hôpitaux est déjà le patient âgé avec plus de trois diagnostics. Très souvent, la douleur est un symptôme central chez ce groupe de patients. L’acte médical le plus courant est la prescription d’un produit pharmaceutique. Et il y a souvent des problèmes d’adhérence et d’interaction. La non-adhésion est estimée jusqu’à 50% selon les pathologies. Il y a plusieurs raisons à cela :
- Seuls 7 Allemands sur 100 ont un très bon niveau de compétences en matière de santé
- Plus de 50% ont des difficultés à utiliser les informations sur la santé
- Plus de 50% estiment qu’il est difficile d’évaluer les avantages et les inconvénients des options de traitement.
- Plus de 20% trouvent qu’il est difficile de suivre les instructions de prise de médicaments
- Selon le niveau d’éducation, l’origine ethnique et l’âge, 30 à 60% des personnes ont des difficultés à comprendre les notices des médicaments.
Le professeur Gerd Geißlinger, de l’Institut de pharmacologie clinique de l’hôpital universitaire de Francfort, qui a présenté ces chiffres, a souligné que des études menées en Allemagne ont montré qu’il fallait un niveau d’éducation compris entre le Mittlere Reife et l’Abitur pour comprendre une notice d’emballage allemande. “En Suisse, on a manifestement réfléchi à ce sujet”, poursuit-il, “car ces chiffres sont beaucoup plus parlants, les annexes sont donc apparemment écrites de manière plus compréhensible”.
Attention aux combinaisons avec des AINS
Les interactions polypharmaceutiques sont très souvent associées aux analgésiques, en particulier aux anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS). Ainsi, le professeur Geißlinger a fermement mis en garde contre l’association d’un AINS avec des anticoagulants, car ce sont des antiplaquettaires et le risque de saignement est accru. Le même risque existe en cas d’association avec un inhibiteur sélectif de la recapture de la sérotonine (ISRS). En revanche, du point de vue pharmacodynamique, il existe des interactions avec les opioïdes et les substances à action dépressive centrale, par exemple l’association avec une benzodiazépine, un barbiturique ou du pancuronium entraîne un renforcement des effets. “Et bien sûr, il ne faut pas combiner un opioïde de niveau 3 de l’OMS avec un opioïde de niveau 2”, a expliqué le pharmacologue. Il a mis l’accent sur une interaction en particulier, car bien qu’elle soit rare, elle peut avoir des conséquences dramatiques dans certains cas : le syndrome sérotoninergique.
Ce syndrome est provoqué par une augmentation de la sérotonine dans le SNC, souvent causée par une interaction médicamenteuse. Cela peut se produire en cas de prise simultanée de substances susceptibles d’augmenter les concentrations de sérotonine dans la fente synaptique (comme le tramadol) et d’ISRS. Les symptômes comprennent la tachycardie, la transpiration, l’augmentation du RR, la diarrhée et l’excitation du SNC, mais aussi l’agitation, les hallucinations, l’hypomanie, la dyskinésie et les tendances suicidaires. Sur le plan neuromusculaire, des tremblements, une augmentation des réflexes et une myoclonie peuvent se produire.
Le tramadol comme déclencheur
Le tramadol est un racémate, il y a un énantiomère plus et un énantiomère moins. Le (-)-tramadol inhibe préférentiellement l’absorption de la noradrénaline, tandis que le (+)-tramadol inhibe l’absorption de la sérotonine. En conséquence, l’association avec un ISRS entraîne une augmentation des concentrations de sérotonine et, dans certaines circonstances, ledit syndrome sérotoninergique.
Il n’est pas toujours possible de deviner par le nom qu’il faut être vigilant en tant que médecin : Il peut être encore relativement visible avec les ISRS, mais des substances comme le lithium peuvent également provoquer ce syndrome, car le lithium peut augmenter la sensibilité des récepteurs de la sérotonine. De même que les antidépresseurs, les triptans, les alcaloïdes de l’ergot de seigle ou l’extrait de millepertuis et aussi certaines drogues.
Près de 75% des substances sont métabolisées par le foie via le système d’isoenzymes du cytochrome (CYP) P450. Au sein de ce système, différentes substances sont métabolisées par différentes isoenzymes P450. Par exemple, la théophylline fonctionne via le CYP1A2, alors que la phenprocoumone et le tamoxifène fonctionnent via le CYP3A4 (tableau 1).
Là où il y a des substrats, il y a aussi des inhibiteurs : la ciprofloxacine, par exemple, est un puissant inhibiteur du CYP1A2. Cela signifie donc que si l’on associait la ciprofloxacine à la théophylline, il y aurait de gros problèmes, d’autant plus que la marge thérapeutique de la théophylline est relativement étroite. En revanche, le CYP3A4 peut être inhibé par de très nombreuses substances, par exemple le jus de pamplemousse – d’où la recommandation courante faite aux patients de prendre leurs médicaments avec de l’eau et en aucun cas avec du jus de pamplemousse.
Le professeur Geißlinger a recommandé de se familiariser avec les tableaux d’enzymes et d’y jeter un coup d’œil de temps en temps, car cela permet de prévoir et donc d’éviter de nombreuses interactions médicamenteuses.
Source : Symposium de l’industrie “Gestion moderne des patients souffrant de douleurs chroniques” dans le cadre du 125e Congrès de l’Association européenne de la douleur. Congrès de la Société allemande de médecine interne (DGIM), organisateur : Grünenthal
PRATIQUE DU MÉDECIN DE FAMILLE 2019, 14(6) : 26-27