Le risque d’infection par le coronavirus et d’évolution grave n’est pas généralement augmenté chez les patients atteints de maladies gastro-entérologiques et dépend du traitement. Un groupe d’experts a publié une évaluation des risques et des recommandations pour la prise en charge de la MCE dans le contexte de la coronapandémie actuelle.
Un addendum aux lignes directrices S3 sur la maladie de Crohn et la colite ulcéreuse aborde les principales questions relatives à la prise en charge des patients atteints de maladies inflammatoires chroniques de l’intestin (MICI) dans le cadre de la pandémie COVID-19 [1]. Pour la plupart des patients, la maladie commence pendant la période d’école/de formation et se poursuit tout au long de la vie. Il est bien connu que le risque d’infection est plus élevé chez les patients suivant un traitement immunosuppresseur ou une médication à base de stéroïdes. Les implications dans le contexte du SRAS-CoV-2 ont été résumées dans des recommandations pratiques par 68 experts qui ont participé à l’élaboration des directives CED actuellement en vigueur de la DGVS. Celles-ci portent sur le risque d’infection, l’évolution possible de la maladie et les conséquences sur le traitement de la maladie sous-jacente, ainsi que sur les mesures générales de prévention des infections et les possibilités de traitement adjuvant. Les messages clés de ces recommandations consensuelles sont les suivants :
- Les personnes atteintes de CED ne présentent généralement pas de risque accru d’infection par le SRAS-CoV-2. Néanmoins, ces patients doivent prendre soigneusement des mesures de protection individuelles.
- Les patients souffrant d’une MCE et suivant un traitement immunosuppresseur présentent un risque accru d’infection par le SRAS-CoV-2 et doivent donc mettre en œuvre avec soin des mesures de protection individuelles. Le degré d’augmentation du risque semble varier selon les immunosuppresseurs.
- Les patients atteints de DICS et d’une infection par le SRAS-CoV-2 présentent un risque accru d’évolution grave de la maladie COVID-19 dans certaines conditions (comorbidités/facteurs de risque). Ce groupe de patients doit être surveillé de près en cas d’aggravation rapide de leur maladie.
- Les patients atteints de MCE et suivant un traitement immunosuppresseur ne présentent généralement pas de risque accru de développer une infection grave par le SRAS-CoV-2. Un traitement immunosuppresseur ne doit donc pas être réduit en cas de maladie COVID-19 légère à modérée. Les exceptions sont le traitement prolongé par des stéroïdes systémiques, en particulier à des doses supérieures à 20 mg d’équivalent prednisone/jour. Il convient donc de l’éviter autant que possible ou de le réduire et d’y mettre fin dans la mesure où cela est cliniquement acceptable.
- Au cours de la pandémie de SRAS-CoV-2, il convient de privilégier un traitement biologique dont on peut attendre un début d’efficacité rapide par rapport à un traitement stéroïdien systémique à haute dose lors d’une poussée aiguë.
Chez les patients atteints d’une maladie COVID-19 sévère, le traitement par thiopurines, méthotrexate et tofacitinib doit être interrompu et repris lorsque l’infection est surmontée.
Les patients hospitalisés atteints de DICS et de COVID-19 doivent recevoir au moins une thromboprophylaxie prophylactique. Chez les patients ambulatoires atteints de MCE et souffrant de COVID-19, la décision de recourir à une prophylaxie de la thrombose doit être prise de manière généreuse en fonction de leur profil de risque individuel et de leur médication concomitante.
Pendant la pandémie, les présentations de patients dans les établissements de santé doivent être restrictives. Les consultations CED doivent être poursuivies en tenant compte de l’urgence de la présentation et en optimisant les mesures de prévention des infections telles que l’éloignement géographique et après avoir exploité les possibilités de la télémédecine.
Pendant la pandémie, tous les examens endoscopiques doivent faire l’objet de mesures de protection particulières. L’étendue des mesures de protection doit être adaptée aux risques.
Données épidémiologiques actuelles sur le COVID-19 et la CED Dans le septième plus grand centre de CED en Chine, qui prend en charge plus de 20 000 patients, aucun cas de maladie COVID-19 n’a été décrit chez des patients atteints de CED [11] et aucun cas n’a été identifié dans une cohorte de 522 patients suivis systématiquement en Italie [12]. Dans une cohorte plus importante de Madrid comprenant 1918 patients atteints de CED, 12 infections à COVID-19 ont été rapportées, ce qui correspond à une incidence de 6,1 infections à COVID-19 pour 1000 patients atteints de CED (l’incidence dans la population générale est de 6,6/1000) [13]. Dans une cohorte encore plus importante de Nancy (France) et Milan (Italie), comprenant 6000 patients, on rapporte une incidence de 2,5/1000 patients atteints de CED pour une incidence de 1,7/1000 dans la population normale [14]. D’un point de vue méthodologique, l’interprétation des résultats de ces études doit tenir compte du fait que seuls les patients symptomatiques ont été pris en compte et que l’ensemble de la cohorte n’a pas été testé. |
Prise de décision partagée individuelle recommandée
Les enquêtes menées auprès des patients atteints de DICS montrent qu’ils sont préoccupés par un risque accru d’infection par le SRAS-CoV-2 [2]. Selon les premières données épidémiologiques, les patients atteints de CED ne présentent généralement pas de risque accru de développer la maladie COVID-19 (encadré). Les auteurs des recommandations de consensus dans l’addendum au guide S3 indiquent que les inquiétudes et les craintes des patients doivent être prises au sérieux et que les décisions thérapeutiques doivent être prises individuellement dans le cadre d’une “prise de décision partagée”. L’arrêt du traitement immunosuppresseur ou la réduction de la dose comporte le risque d’une aggravation de la maladie sous-jacente. Ainsi, l’évaluation de l’European Crohn’s and Colitis Organisation (ECCO), publiée le 13 mars 2020, souligne que l’arrêt ou la réduction de la dose ne sont pas recommandés pour réduire le risque de développer une maladie COVID-19 [3]. En ce qui concerne la thérapie biologique en particulier, il est difficile, en l’absence de preuves empiriques, de se prononcer clairement sur la question de savoir si, par exemple, l’allongement des intervalles entre les perfusions est une option raisonnable chez les patients en rémission stable [4,5]. Des recommandations plus claires sont possibles en ce qui concerne la thérapie par stéroïdes. La conclusion à ce sujet est que les traitements stéroïdiens systémiques à des doses supérieures à 20 mg/jour doivent être évités. On sait depuis longtemps qu’une telle dose de stéroïdes augmente le risque d’infections opportunistes, y compris les infections grippales et les pneumonies graves, et qu’elle entraîne une augmentation significative de la fréquence des hospitalisations et de la mortalité [6–9]. Dans une grande étude cas-témoins portant sur 140 000 patients atteints de MCE, la prise de stéroïdes était un facteur de risque indépendant d’infection par la grippe (odds ratio, 1,22 ; IC 95 % : 1,08-1,38) [10]. Les auteurs concluent donc que la prise de stéroïdes, en particulier à des doses élevées, doit être considérée comme un facteur de risque de la maladie COVID-19 [1].
Littérature :
- Addendum aux lignes directrices S3 sur la maladie de Crohn et la colite ulcéreuse : Prise en charge des patients atteints de maladies inflammatoires chroniques de l’intestin dans le cadre de la pandémie COVID-19 – questions ouvertes et réponses. Z Gastroenterol 2020 ; 58(7) : 672-692.
- Grunert PC, Reuken PA, Stallhofer J : IBD in the COVID-19 pandemic – the patients’ perspective. 2020
- Taskforce : PDCAobotC-E 2020. https://ecco-ibd.eu
- Papamichael K, Karatzas P, Mantzaris GJ : De-escalation of Infliximab Maintenance Therapy from 8- to 10-week Dosing Interval Based on Faecal Calprotectin in Patients with Crohn’s Disease J Crohns Colitis 2016 ; 10371-372. doi:10.1093/ecco-jcc/jjv206
- Giwa AL, Desai A, Duca A : Nouveau coronavirus 2019 SARS-CoV-2 (COVID-19) : An updated overview for emergency clinicians. Pratique de la médecine d’urgence. 2020 ; 22 : 1-2.
- Long MD, Martin C, Sandler RS : Risque accru de pneumonie chez les patients atteints de la maladie inflammatoire du côlon The American Journal of Gastroenterology 2013;108(2) : 240-248.
- Orlicka K, Barnes E, Culver EL : Prevention of infection caused by immunosuppressive drugs in gastroenterology Therapeutic advances in chronic disease 2013 ; doi:10.1177/2040622313485275
- Dorrington AM, et al : The historical role and contemporary use of corticosteroids in inflammatory bowel disease. J Crohns Colitis 2020. doi : 10.1093/ecco-jcc/jjaa053.
- Lichtenstein GR, Feagan BG, Cohen RD : Infection grave et mortalité chez les patients atteints de la maladie de Crohn : plus de 5 ans de suivi dans le registre TREAT The American Journal of Gastroenterology 2012. doi:10.1038/ajg.2012.218
- Tinsley A, et al : Increased Risk of Influenza and Influenza-Related Complications Among 140,480 Patients With Inflammatory Bowel Disease. Inflamm Bowel Dis 2018. doi : 10.1093/ibd/izy243
- Mao R, Liang J, Shen J : Implications de COVID-19 pour les patients atteints de maladies digestives préexistantes Lancet Gastroenterol Hepatol 20205426-428. doi : 10.1016/S2468-1253(20)30076-5
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- Allocca M, et al : Incidence et profils de COVID-19 chez les patients atteints de maladie inflammatoire de l’intestin des cohortes de Nancy et Milan. Clinical gastroenterology and hepatology : the official clinical practice journal of the American Gastroenterological Association 2020. doi : 10.1016/j.cgh.2020.04.071
PRATIQUE DU MÉDECIN DE FAMILLE 2020 ; 15(9) : 32-33