La première journée suisse de la psychosomatique, qui s’est tenue à la Giesserei de Zurich-Oerlikon, avait pour thème “L’épuisement, le burnout et la société fatiguée”. Sommes-nous vraiment de plus en plus fatigués et épuisés ? Et quelles sont les difficultés auxquelles sont confrontés les médecins lorsqu’ils tentent de résoudre cet état diffus ? Comment mettre en mots, quantifier, diagnostiquer et finalement traiter les maladies ? Dans tous les cas, la fatigue et l’épuisement restent un défi social et médical majeur qui mérite d’être débattu. Certains aspects pertinents pour la pratique médicale quotidienne ont été abordés lors de la conférence.
Comment décrire et quantifier plus précisément la fatigue, une souffrance généralement difficile à exprimer pour les patients et pourtant extrêmement éprouvante ? “Roland von Känel, de la clinique Barmelweid, en guise d’introduction. L’inventaire dit multidimensionnel des symptômes de fatigue, dont la version courte (MFSI-SF) utilise 30 items et une échelle de Likert de 0 à 4 pour évaluer la fatigue des sept derniers jours dans les dimensions “générale”, “physique”, “émotionnelle”, “cognitive” et “énergétique”, permet de mesurer la fatigue globale (pour les études par exemple). Pour l’état émotionnel du moment, on peut faire appel au Profile of Mood States (POMS), qui est sensible au changement dans les 24 heures et qui est notamment utilisé en médecine sportive. Il évalue les dimensions “abattement” (14 items), “fatigue/fatigue” (7 items), “mauvaise humeur” (7 items) et “envie d’agir” (7 items). Le POMS peut être utilisé, par exemple, pour la détection précoce du surentraînement : Le volume d’entraînement a montré dans des études une corrélation positive avec la fatigue et une corrélation négative avec l’envie d’agir.
“En principe, il faut faire une distinction : Toutes les fatigues ne se ressemblent pas. La forme chronique peut être le signe d’une maladie sous-jacente ou avoir elle-même valeur de maladie, comme le syndrome de fatigue chronique (SFC)”, a expliqué le conférencier. Après la douleur, la fatigue ou la fatigue cliniquement significative est le deuxième symptôme le plus fréquent dans la population générale et la deuxième raison pour laquelle les gens consultent un médecin. C’est ce qu’a notamment révélé une enquête [1] sur trois ans portant sur les 14 symptômes les plus fréquents chez 1 000 patients d’un service ambulatoire de médecine interne du Texas. Un test de diagnostic a été effectué dans plus de deux tiers des cas. Malgré cela, après une période de trois ans, une cause organique n’a été trouvée que pour 16% de tous les symptômes relevés (y compris la fatigue). 74% des cas ont été définis comme incertains/idiopathiques. D’autres études [2] confirment la prévalence élevée de la fatigue dans la population générale.
Quelle est l’importance du laboratoire ?
Il n’existe pas de test de laboratoire ou de biomarqueur cliniquement accepté pour diagnostiquer la fatigue chronique. Les examens de laboratoire permettent toutefois d’exclure d’éventuelles causes de fatigue, qui auraient des conséquences thérapeutiques claires. C’est pourquoi l’importance des résultats de laboratoire ne doit en aucun cas être considérée comme négligeable. En outre, une anamnèse détaillée (y compris les médicaments et substances consommés), un état physique et mental et, selon le cas, des tests supplémentaires selon la clinique et les résultats de laboratoire (par exemple, laboratoire du sommeil, examen sur table basculante, test VIH) sont indiqués.
Pour le quotidien trépidant du cabinet, les deux questions “A quel point êtes-vous fatigué en ce moment ?” et “A quel point étiez-vous fatigué en moyenne la semaine dernière ?” sur une échelle de notation numérique de 0 à 10 peuvent suffire pour une première évaluation. Un journal de fatigue ou d’énergie est à nouveau un outil utile pour le suivi de l’évolution. L’échelle de sévérité de la fatigue (Fatigue Severity Scale, FSS) permet en outre d’évaluer les répercussions dans la vie quotidienne (par exemple, “ma fatigue m’empêche d’accomplir certaines tâches et responsabilités”).
Stress et épuisement
Prof. Dr. phil. Urs Nater, de l’université Philipps de Marburg (D), a présenté des données sur le lien entre le stress et l’épuisement. Par exemple, le stress chronique pourrait-il être un facteur physiopathologique du SFC ? Enfin, il a été démontré que les personnes atteintes du SFC sont significativement plus nombreuses à rapporter un stress au cours des quatre dernières semaines (Perceived Stress Scale) et des événements de vie négatifs au cours des douze derniers mois (Life Events Scale), et sont également significativement plus nombreuses à présenter un état de stress post-traumatique [3].
Le cortisol semble jouer un rôle majeur. Des études basées sur la population montrent que les patients atteints de SFC ont des niveaux de cortisol salivaire plus bas que les témoins, à la fois le matin et après un facteur de stress aigu [4,5]. On peut parler dans ce contexte d’hypocortisolisme (relatif). En revanche, sur l’ensemble de la journée, on ne retrouve plus les mêmes différences dans les profils de cortisol. Dans l’ensemble, la courbe est légèrement aplatie ou moins dynamique chez les patients atteints de SFC [5].
Que signifie un faible taux de cortisol ? Le cortisol exerce un effet inhibiteur sur la sécrétion de cytokines pro-inflammatoires. L’une de ces cytokines est l’interleukine-6 (IL-6). La dérégulation de la sécrétion d’IL-6 a un impact direct sur le SNC. Il en résulte une plus grande fatigue et une sensibilité accrue à la douleur.
Dans une certaine mesure, ces changements biologiques semblent être réversibles. La thérapie cognitivo-comportementale (TCC) permet de réduire significativement la fatigue [6] et d’augmenter légèrement (mais de manière statistiquement significative) le cortisol global [7]. Malheureusement, ce sont les patients qui en auraient le plus besoin qui présentent des taux de réponse plus faibles : Les répondeurs à la TCC présentent des courbes de cortisol plus dynamiques que les non-répondeurs et des taux de cortisol plus élevés, notamment le matin [8].
La question de la causalité reste ouverte à ce jour : les anomalies concernant le cortisol pourraient être à la fois une cause et une conséquence, c’est-à-dire une prédisposition ou une conséquence du SFC. L’hypothèse susmentionnée offre un début d’explication qu’il convient d’approfondir.
Fatigue associée aux tumeurs
Au cours de l’évolution clinique, la fatigue peut apparaître comme un effet secondaire aigu d’un traitement anticancéreux ou dans le cadre d’un suivi, au sens d’une conséquence tardive. Selon le professeur Dr. phil. Joachim Weis, Clinique de biologie des tumeurs, Fribourg (D), la fatigue associée aux tumeurs est l’un des problèmes les plus fréquents résultant d’une maladie ou d’un traitement cancéreux. Chez les survivants à long terme, la fréquence est de 20 à 25%. Les patients atteints de cancer après une radiothérapie ou une chimiothérapie sont particulièrement concernés. Contrairement à la douleur ou aux nausées, la fatigue est encore sous-estimée et trop peu prise en compte, notamment parce que son traitement est difficile et ne réussit que dans de rares cas. Néanmoins, l’impact sur la qualité de vie, la vie quotidienne et la réintégration sociale des patients est énorme. Le syndrome de fatigue a une composante mentale, cognitive et physique. Toutes ces dimensions devraient également être prises en compte dans le diagnostic.
La fatigue peut être à la fois une cause et un symptôme de la dépression. 15 à 20 % des patients atteints de tumeur présentent un trouble dépressif. Les symptômes de la dépression et de la fatigue se chevauchent dans de nombreux domaines (p. ex. manque de motivation, troubles du sommeil, troubles de l’attention et de la concentration, perte d’intérêt), alors que dans d’autres, il existe des différences claires (pensées dépressives dysfonctionnelles, peur de l’échec et tendances suicidaires). Dans le cas de la fatigue, les problèmes physiques sont au premier plan (“Je veux, mais je ne peux pas”), tandis que dans le cas de la dépression, le niveau motivationnel est davantage affecté (“Je ne peux rien/je ne vaux rien”). Les facteurs susceptibles d’influencer le syndrome de fatigue associé au cancer sont présentés sur la figure 1. Cependant, le mécanisme exact de son apparition reste en grande partie inexpliqué.
Comment traiter ?
Recommandations comportementales générales : Les stratégies comportementales (économiser l’énergie, établir des priorités, déléguer, planifier les activités aux moments où l’énergie est la plus élevée, par exemple via un journal d’activité, etc.) améliorent la fatigue de manière significative.
Thérapie non médicamenteuse : elle comprend l’information et le conseil, la thérapie par le sport et l’exercice, ainsi que des mesures de thérapie psychosociale telles que la psychoéducation, la thérapie de relaxation ou la méditation. Les mesures psychosociales ont plutôt un effet modéré sur la fatigue et sont plus efficaces lorsqu’elles sont associées à l’exercice physique. Le sport et l’exercice sont des options simples et très efficaces. D’après les études, l’entraînement améliore significativement la fatigue [9]. De plus, des études récentes ont montré que l’entraînement musculaire est surtout efficace contre la fatigue physique, mais qu’il a des effets plus faibles, voire nuls, sur les composantes cognitive et émotionnelle de la fatigue [10,11]. Il est donc recommandé de combiner l’entraînement d’endurance et de musculation avec des mesures psychoéducatives (meilleures preuves).
Traitement médicamenteux : il s’agit de traiter les causes telles que l’anémie ou les troubles métaboliques, ou encore de traiter les symptômes (psychostimulants ? antidépresseurs ?). Les psychostimulants sont l’ultima ratio. Le méthylphénidate peut être utilisé chez les patients souffrant de fatigue sévère et pour lesquels les autres traitements n’ont pas donné de résultats satisfaisants, mais il n’est pas autorisé dans l’indication “fatigue”. Il existe parfois des preuves d’efficacité dans ce domaine, mais dans l’ensemble, les résultats sont hétérogènes [12]. Le modafinil n’est pas recommandé en cas de fatigue en raison de ses effets secondaires.
Les mesures de médecine complémentaire : Il existe plusieurs possibilités dans ce domaine. Après la fin du traitement, l’acupuncture présente un avantage en termes de fatigue. Alors que la carnitine n’a pas d’effets prouvés et n’est donc pas recommandée, et que le guarana ne peut être utilisé qu’au cas par cas dans le but d’obtenir un effet à court terme, le ginseng américain (2000 mg/j) a significativement amélioré la fatigue associée aux tumeurs dans une étude randomisée en double aveugle [13]. Les mesures dites “Mind Body” telles que le yoga, le qi gong ou la méditation de pleine conscience peuvent également aider à lutter contre la fatigue.
Source : 1ère Journée suisse de la psychosomatique, 12 septembre 2015, Zurich-Oerlikon
Littérature :
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InFo NEUROLOGIE & PSYCHIATRIE 2016 ; 14(1) : 45-47