Les médecins ont un rôle central à jouer dans le sevrage tabagique. Les fumeurs doivent être identifiés en consultation afin d’être orientés vers un traitement approprié. Dans ce contexte, la combinaison d’un entretien de conseil et d’un soutien médicamenteux promet la plus grande probabilité de succès.
Le constat de départ est clair : fumer est dangereux pour la santé ! Les fumeurs ne sont pas les seuls concernés, leur entourage l’est également. Il est également prouvé que l’arrêt du tabac est bénéfique pour nos patients bien au-delà de l’aspect santé. De nombreux fumeurs aimeraient arrêter de fumer. Dans le cadre d’une publication récente des Centers for Disease Control, les données de fumeurs de 28 pays ont été examinées. La prévalence du tabagisme était en moyenne d’environ 23%, et environ 43% des fumeurs avaient tenté d’arrêter de fumer au cours des douze derniers mois [1]. Il est décevant de constater que seuls 2 à 3 % des tentatives spontanées d’arrêt du tabac sont couronnées de succès [2]. En revanche, il est encourageant de constater que le conseil médical d’arrêter de fumer peut doubler ce résultat (risque relatif, RR : 1,66 [intervalle de confiance à 95%, IC 1,42-1,94]) [3].
Notre rôle central en tant que médecins est d’identifier les fumeurs lors des consultations afin de leur fournir des conseils ou des soins appropriés. En particulier si l’on considère qu’environ 80% des fumeurs consultent un médecin dans l’année.
Devenir non-fumeur représente souvent un grand défi pour nos patients et pour nous-mêmes : Il faut surmonter des obstacles plus ou moins importants sur le chemin. Cet article a pour but de donner aux médecins praticiens un aperçu du déroulement et des approches thérapeutiques d’un sevrage tabagique et de proposer des solutions aux éventuelles difficultés rencontrées.
Guidelines Déroulement du conseil pour arrêter de fumer
Il existe différentes directives sur la manière d’aborder le conseil en matière d’arrêt du tabac dans le cadre des soins primaires. Il existe un consensus sur la nécessité d’informer les fumeurs sur l’importance d’arrêter de fumer et de leur proposer des mesures de soutien telles que des médicaments et des conseils pour changer de comportement. La figure 1 résume la “stratégie des 5 A” pour arrêter de fumer, telle qu’elle a été recommandée dans les directives de prévention cardiovasculaire de la Société européenne de cardiologie en 2012 et 2016.
Les étapes “Ask – Advice – Assess” sont également appelées “intervention brève”. Ils ne nécessitent pas un investissement en temps important, mais constituent la base d’un traitement ultérieur. Concrètement, il comprend les étapes suivantes :
- Ask : Identifier les fumeurs.
- Advice : Informer individuellement les fumeurs sur les aspects sanitaires de leur consommation de tabac.
- Assess : évaluer la motivation à arrêter de fumer.
Le dernier consensus d’experts de l’American College of Cardiology va encore plus loin et recommande d’offrir directement des options de traitement (coaching comportemental et médication) ou d’en faire la promotion. prescrire si le patient est d’accord [4].
L’entretien de conseil
L’objectif de la consultation est d’aider les patients à changer de comportement pour passer du statut de fumeur à celui de non-fumeur. Pour cela, la technique de “l’entretien motivationnel” s’avère être un moyen efficace [5]. Ce style de conseil est basé sur l’encouragement et le soutien, plutôt que sur la démonstration et la persuasion. On cherche ainsi à créer une atmosphère interpersonnelle positive qui prépare le terrain pour des changements de comportement.
Cela implique, dans les grandes lignes, de faire preuve d’empathie et de soutien envers le patient, d’être paritaire avec lui et d’accepter son point de vue. Contrairement aux idées reçues, les discours dissuasifs ou anxiogènes ont généralement peu d’effet et ont plutôt tendance à nuire à la relation médecin-patient. Il ne faut pas non plus combattre la résistance par des contre-arguments, mais plutôt la considérer comme un signal que le patient nous annonce ses limites. Il est alors utile d’aider le patient à préciser ses ambivalences afin de le faire progresser dans sa prise de décision. Le rôle du médecin traitant est de comprendre le point de vue du patient, sans pour autant toujours l’approuver. Il est conseillé de mettre en avant les avantages individuels de l’arrêt du tabac et d’éviter les reproches ou les commentaires jugeant le comportement. La motivation pour le changement se trouve dans le patient et doit être attirée et renforcée. Des exemples d’entretiens sur la gestion de la résistance sont disponibles dans le tableau 1.
L’entrée en matière de l’entretien de conseil détermine souvent si nous pouvons avoir une conversation ouverte. L’ouverture de l’entretien joue donc un rôle important (voir les questions d’ouverture dans le tableau 1).
Les tentatives d’arrêt du tabac se soldent souvent par une rechute, malgré un grand effort de volonté, et constituent donc une entreprise frustrante pour nombre de nos patients. L’encouragement de la motivation et de la confiance est donc un élément important du conseil (tableau 1). Le fait d’expliquer de manière ciblée qu’un succès durable est généralement précédé de plusieurs tentatives permet souvent de lutter contre la frustration. Il peut également être utile d’expliquer les effets de la nicotine et le potentiel de dépendance qui en découle, et d’aborder les éventuels symptômes de sevrage. Cela favorise en outre la volonté de suivre un traitement médicamenteux complémentaire.
Des contrôles de suivi réguliers pour soutenir le sevrage devraient faire partie de tout traitement. Le contenu doit être élaboré en vue d’élaborer des stratégies d’adaptation pour maintenir l’abstinence et prévenir la rechute. Les situations potentiellement à risque doivent être discutées afin de pouvoir les anticiper et de développer des stratégies comportementales pour ces situations (éviter les déclencheurs, attendre, se distraire, résister, etc.) Il convient également de vérifier l’efficacité des médicaments et de l’adapter si nécessaire. Pour les rendez-vous de suivi, le schéma suivant est recommandé : 1, 2, 4, 8 semaines ; 3, 6, 12 mois.
Les discours sont d’argent – le coaching et les médicaments sont d’or
Un bon entretien de conseil est un pilier élémentaire de la gestion des patients dans le contexte d’un sevrage tabagique. Comme nous l’avons mentionné au début, la combinaison d’un entretien de conseil et d’un soutien médicamenteux est supérieure à l’approche du conseil seul, mais aussi à l’approche médicamenteuse seule, en ce qui concerne l’efficacité du sevrage tabagique. C’est pourquoi la consultation et le traitement médicamenteux doivent être proposés en combinaison, dans la mesure du possible.
Trois groupes de médicaments sont disponibles comme aide pharmacologique à l’arrêt du tabac, à savoir les substituts nicotiniques (NEP), la varénicline et le bupropion. Les trois groupes de médicaments sont plus efficaces que le placebo pour atteindre l’absence de tabagisme au bout de six mois [4]. Le choix du produit dépend de l’intensité de la dépendance, qui peut être déterminée par le test de Fagerström (tab. 2/tab. 3), ainsi que de la préférence de l’utilisateur. Dans le cas de la NEP en particulier, il est important de choisir un dosage suffisamment élevé et d’appliquer le traitement pendant une durée suffisante.
Les substituts nicotiniques : Les NEP sont disponibles sous différentes formes pharmaceutiques. On distingue les produits à courte durée d’action, par exemple les dépôts à mâcher ou les inhalateurs, et les formes galéniques à longue durée d’action de type patch à dépôt. Le traitement combiné, composé d’un traitement de base à longue durée d’action (patch à libération prolongée) complété par un traitement à la demande à courte durée d’action, atteint la plus grande efficacité [6]. L’absence de contre-indications absolues constitue un avantage considérable de la NEP.
Varénicline : ce médicament exerce son double effet sur le récepteur de la nicotine dans le cerveau. L’agoniste partiel provoque une stimulation partielle du récepteur, ce qui entraîne une réduction des symptômes de sevrage. Parallèlement, un effet antagoniste se produit également, qui se traduit par l’absence d’effet en cas de consommation simultanée de nicotine. Le patient peut continuer à fumer pendant les deux premières semaines du traitement et de nombreux patients ont une vie de fumeur modifiée et moins positive pendant cette période. Les effets secondaires les plus fréquents sont des troubles gastro-intestinaux tels que des nausées. Il est possible d’y remédier en augmentant lentement la dose ou en prenant le médicament avec un petit repas. La varénicline ne doit pas être utilisée pendant la grossesse et l’allaitement. En termes d’efficacité, la varénicline est équivalente à un traitement combiné adéquat de NEP à courte et longue durée d’action et supérieure au bupropion ou à une monothérapie de substitution à la nicotine [6].
Bupropion : cet antidépresseur atypique peut également être utilisé pour aider à l’arrêt du tabac. Son action passe par une inhibition centrale de la recapture de la dopamine et de la noradrénaline. Par rapport aux deux classes de substances mentionnées ci-dessus, il faut tenir compte du profil d’effets secondaires moins favorable, d’un potentiel d’interaction accru avec les co-médicaments, mais aussi d’une efficacité réduite [6].
Le tableau 2 donne un aperçu pratique de l’utilisation des médicaments. Pour plus d’informations sur le champ d’application, nous vous renvoyons aux recommandations suisses pour la désaccoutumance au tabac [7,8] ainsi qu’à la compilation “Conseils médicaux pour arrêter de fumer” [9].
Pour les adultes dépendants du tabac qui sont motivés pour arrêter de fumer et qui bénéficient pour cela du soutien d’un professionnel de santé, la caisse d’assurance maladie prend en charge un traitement de 12 semaines de varénicline et un traitement de 7 semaines de bupropion, à condition qu’il y ait soit une maladie liée au tabac, soit une forte dépendance à la nicotine (test de Fagerström ≥6). En cas de rechute, la caisse d’assurance maladie ne rembourse pas de nouveaux frais de médicaments avant 18 mois.
Si la motivation fait défaut : s’il n’y a pas de volonté d’arrêter de fumer, nous pouvons distribuer des brochures d’information et demander l’accord pour aborder à nouveau le sujet à une date ultérieure. Une intervention brève est également considérée comme un succès si elle permet de développer une prise de conscience du problème ou d’envisager un changement de comportement dans un avenir proche.
Pour les patients qui ne veulent pas encore arrêter de fumer, mais qui sont prêts à réduire leur consommation de cigarettes, nous pouvons néanmoins commencer un traitement médicamenteux à titre d’essai. Une étude sur l’effet de la varénicline sur le sevrage tabagique chez des patients prêts à réduire leur consommation de cigarettes a montré ce qui suit : L’utilisation de la varénicline pendant 24 semaines a permis d’augmenter significativement le taux d’arrêt du tabac par rapport au placebo après un an (27,0% dans le groupe varénicline contre 9,9% dans le groupe placebo ; différence de risque, RD : 17,1%). [95%-KI 13,3–20,9%]; RR : 2,7 [95%-KI, 2,1-3,5]) [10]. Une méta-analyse avait déjà montré des résultats similaires pour l’utilisation de NEP en 2008 [11]. Ainsi, même chez les fumeurs qui ne sont pas très motivés pour arrêter de fumer, un traitement médicamenteux probatoire peut être utile. Cette approche plus proactive de l’utilisation des médicaments est également recommandée actuellement par l’American College of Cardiology [4].
En outre, les fumeurs doivent être sensibilisés à la création d’un environnement sans tabac pour leurs proches et en particulier pour leurs enfants (mots-clés : logement sans fumée, voiture sans fumée).
Tous les patients n’atteignent pas, loin s’en faut, l’objectif d’un sevrage tabagique durable. Dans la mesure du possible, nous devrions profiter d’une rechute pour continuer à motiver les patients à arrêter de fumer (tab. 1). Les rechutes peuvent aider à identifier les situations à risque et à élaborer des stratégies pour faire face à une situation similaire la prochaine fois.
Il arrive souvent que les patients parviennent à réduire considérablement leur consommation de cigarettes, mais qu’ils restent ensuite bloqués sur un petit nombre de cigarettes. Dans cette situation, la médication peut être étendue, par exemple par une thérapie combinée. On peut notamment compléter la varénicline par de la NEP (patch, voies d’administration à court terme) ou le bupropion par de la NEP [4].
En dernier recours, après plusieurs tentatives frustrantes de sevrage tabagique ou en l’absence totale de motivation pour arrêter de fumer, l’utilisation d’une cigarette électrique peut s’avérer judicieuse dans le sens d’une “réduction des risques”. Il faut toutefois veiller à effectuer une transition complète pour obtenir réellement une réduction des dommages. L’année dernière, plusieurs études ont montré que même la consommation d’un petit nombre de cigarettes conventionnelles par jour entraîne un risque substantiel pour la santé. Selon un travail de Hackshaw et al. le risque cardiovasculaire lié à la consommation d’une seule cigarette par jour reste deux fois moins élevé que celui lié à la consommation de 20 cigarettes par jour [12]. Il en ressort que la simple réduction du tabagisme conventionnel présente moins de bénéfices que prévu, notamment en ce qui concerne les complications cardiovasculaires. Un autre travail a montré que même chez les fumeurs occasionnels qui consomment moins d’une cigarette par jour, une surmortalité peut être démontrée par rapport aux non-fumeurs [13].
Messages Take-Home
- Il existe de nombreuses preuves concernant les dangers potentiels du tabagisme pour la santé, mais aussi concernant les avantages pour la santé d’un arrêt du tabac.
- Nous, médecins, avons un rôle central à jouer en identifiant les fumeurs en tant que tels lors de nos consultations, afin de les orienter vers un traitement approprié.
- Dans la mesure du possible, il est préférable d’associer un conseil et un soutien médicamenteux, car cette combinaison est plus efficace qu’un traitement seul pour arrêter de fumer.
Littérature :
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- Cornuz J, Jacot Sadowski I, Humair JP : Conseils médicaux pour l’arrêt du tabac. La documentation pour la pratique. 3ème édition 2015.
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