Dans l’interview qu’il a accordée à l’InFo NEUROLOGIE & PSYCHIATRIE, le Dr Andreas R. Gantenbein, médecin-chef du service de neurologie de la RehaClinic Bad Zurzach, donne des informations sur les causes possibles et les facteurs déclencheurs de la migraine et discute des principaux symptômes qui permettent d’établir un diagnostic différentiel et donc de distinguer les migraines des accidents vasculaires cérébraux et des crises d’épilepsie. Il aborde en outre les céphalées en grappe, qui nécessitent un traitement médicamenteux différent de celui de la migraine.
Dr Gantenbein, la prévalence de la migraine a augmenté ces dernières années dans les pays industrialisés. Selon les dernières découvertes, les prédispositions génétiques ou les facteurs liés au mode de vie sont-ils déterminants dans le développement de la maladie ?
Dr Gantenbein :
Il s’agit probablement d’une interaction entre les deux domaines. Nous savons aujourd’hui que certains gènes sont responsables de la migraine. Nous le voyons parfois à la fréquence élevée de la maladie dans certaines familles. Les facteurs environnementaux et le style de vie en termes d’alimentation, d’exercice ou de nourriture jouent également un rôle décisif.
Les déclencheurs varient en fonction du sexe, de l’âge et de la situation. Quels sont les facteurs déclencheurs contre lesquels les patients doivent être mis en garde individuellement ?
Il existe de nombreux facteurs déclencheurs présumés, certains sont bien établis, d’autres moins. De très nombreuses personnes atteintes de cette maladie évoquent le stress lorsqu’on leur demande ce qui l’a déclenchée. Toutefois, le stress n’est pas toujours négatif, il peut aussi être positif, il ne faut donc pas porter de jugement global sur ce point. En outre, de nombreux patients ne souffrent de migraines que lorsque la période de stress est terminée et qu’ils pourraient en fait se détendre.
Chez certaines femmes, les crises de migraine sont plus fréquentes pendant ou avant les règles. Dans ce cas, des mesures de stabilisation, comme la prise constante de la pilule sans interruption pendant trois mois, permettent parfois déjà d’améliorer les migraines. En principe, si les maux de tête changent lorsque l’on prend une pilule nouvellement prescrite, il faut certainement reconsidérer son choix et éventuellement procéder à des examens complémentaires. La pilule combinée est en outre contre-indiquée chez les femmes souffrant de migraines avec aura.
L’alimentation est également un facteur : il ne s’agit pas nécessairement de ce que l’on mange, mais du fait que l’on mange, et ce à intervalles réguliers. Les migraines sont souvent précédées d’un “craving alimentaire”, c’est-à-dire d’une envie accrue de manger. Plus tard, ils associent la migraine à l’aliment spécifique, par exemple le chocolat, qu’ils ont mangé à l’époque. Ce faisant, ils oublient que l’envie de manger elle-même était déjà un symptôme partiel de la migraine et qu’à un autre moment, lorsqu’ils mangent du chocolat, ils n’ont pas de migraine.
Je trouve qu’une nouvelle approche intéressante consiste à essayer de plus en plus d’apprendre aux patients à gérer les déclencheurs plutôt que de les éviter strictement. Cela passe par exemple par des approches comportementales. L’objectif est d’obtenir une sorte de désensibilisation en s’exposant de manière répétée et ciblée aux déclencheurs. Toutefois, les études scientifiques dans ce domaine font encore défaut.
Ce que l’on recommande aux migraineux, c’est un mode de vie équilibré, régulier et “ennuyeux” : se lever, prendre ses repas et se coucher toujours à la même heure. Pour cela, buvez suffisamment et faites de l’exercice. Or, dans certaines situations, par exemple au milieu de la vie professionnelle, il n’est pas toujours facile de respecter cette règle.
L’utilisation excessive d’analgésiques (plus de dix fois par mois) peut à son tour entraîner des maux de tête plus fréquents. Cela induit un cercle vicieux : céphalée, médicament, céphalée. Comment le patient peut-il en sortir ?
Ce problème n’est pas si rare : On estime que 100 000 à 200 000 Suisses en souffrent. Lorsque les migraines deviennent plus fréquentes en raison de facteurs liés au mode de vie, et que la personne concernée sait qu’un médicament particulier est efficace, elle l’utilise de manière répétée. Un seuil critique est atteint en cas de prise plus de dix jours par mois. Les maux de tête peuvent alors être soudainement constants et ne plus disparaître. Bien que les crises ne soient pas aussi intenses et que les symptômes puissent ne pas correspondre à ceux d’une migraine typique, une douleur constante et diffuse similaire aux maux de tête de type tension s’installe. Il s’agit alors de céphalées par surconsommation de médicaments (MCS).
Tout d’abord, en tant que médecin, il faut reconnaître la TMS, ensuite, si possible, optimiser la prophylaxie, mais surtout, informer. L’éducation à elle seule peut déjà aider le patient. Dans certains cas, une pause médicamenteuse des médicaments aigus est nécessaire. En règle générale, on peut ainsi s’attendre à une amélioration au bout de trois à quatre semaines, si la surconsommation de médicaments a effectivement été le facteur de chronicité. Si cela ne fonctionne pas ou si quelqu’un présente un nombre particulièrement élevé de comorbidités, il se peut que la personne doive être hospitalisée avec un sevrage et une rééducation où elle apprendra à renoncer à l’utilisation de médicaments aigus.
Le tableau clinique de la migraine est très varié. Quelles sont les principales formes principales qui peuvent être distinguées dans le diagnostic et quel est le risque de passer à côté d’un diagnostic différentiel ?
Il existe deux grandes subdivisions : Migraine avec aura et migraine sans aura. Dans la première forme, les maux de tête sont typiquement précédés d’un dysfonctionnement neurologique, généralement visuel, car le cortex visuel est le plus grand. Cependant, des troubles sensitifs, moteurs ou du langage peuvent également apparaître. La distinction avec une attaque ou une crise d’épilepsie, comme c’est souvent le cas avec les tumeurs, peut être faite sur la base d’une symptomatologie typique : Dans la migraine, l’onde de décharge, appelée “cortical spreading depression”, se déplace très lentement – à raison de quelques millimètres par minute sur la surface du cerveau. En conséquence, les phénomènes auriques se propagent lentement dans le champ visuel. En revanche, si les phénomènes apparaissent brutalement, il faut plutôt penser à une hémorragie, une attaque cérébrale ou une crise d’épilepsie. L’un des principaux symptômes associés à la migraine est en outre l’hypersensibilité aux stimuli sensoriels – lumière, bruit, odeurs, mouvement.
La plus grande partie du diagnostic passe donc par l’anamnèse, où les journaux de céphalées, par exemple, sont d’une grande aide. Si les symptômes typiques apparaissent périodiquement, mais que tout va bien entre-temps, cela indique une migraine. En cas de particularités ou d’anomalies dans l’état neurologique, si les symptômes augmentent ou changent, s’ils sont ressentis différemment ou s’ils sont très soudains, cela justifie certainement des investigations supplémentaires.
La migraine reste incurable. Y a-t-il eu des avancées thérapeutiques médicamenteuses décisives dans le traitement au cours des dernières années ?
Depuis une bonne vingtaine d’années, nous avons les triptans, qui ont apporté une amélioration décisive dans le traitement aigu. Par rapport à d’autres substances, ils sont certainement les plus efficaces, pour autant que l’on puisse les tolérer. Ils sont contre-indiqués en cas d’accident vasculaire cérébral ou d’infarctus du myocarde antérieur, car ils rétrécissent les vaisseaux. On cherche donc actuellement des alternatives pour le traitement aigu qui n’impliquent pas cette contre-indication. Plusieurs études sont en cours sur les antagonistes des récepteurs CGRP.
Les effets prophylactiques ont généralement été découverts par hasard, avec des médicaments qui n’ont pas été développés pour la migraine. De telles études sont également en cours. Dans ce domaine, le topiramate a récemment fourni de bonnes données et a donc obtenu l’autorisation de mise sur le marché pour le traitement prophylactique de la migraine.
Si les migraines, mais aussi et surtout les céphalées en grappe, ne peuvent plus être traitées par des médicaments, il existe désormais des approches qui testent des méthodes neuromoductrices : chirurgicales ou transcutanées.
Dans quelle mesure faut-il traiter les comorbidités telles que la dépression qui surviennent dans le cadre de la maladie ?
Il faut absolument les traiter. J’observe souvent le triangle infernal des troubles du sommeil, des troubles affectifs et de la douleur. Chez de nombreux patients, ces trois points sont liés, c’est-à-dire que si l’un est atteint, les deux autres le sont également. Mais souvent, les autres s’améliorent aussi si l’on agit thérapeutiquement sur un point.
Mais même si quelqu’un a une tension artérielle élevée ou dort mal, il faut en tenir compte et co-traiter, utiliser les “effets secondaires”.
La migraine infantile est une forme particulière : quels sont les principes à prendre en compte dans la pratique lorsque l’on a affaire à de très jeunes patients ?
Je ne suis pas neuropédiatre, mais je sais que chez les enfants, on travaille le moins possible avec des médicaments, mais plutôt avec le sommeil. Le sommeil est un très bon médicament qui fonctionnerait également pour de nombreux adultes s’ils pouvaient prendre le temps de le faire.
Sinon, on essaie d’en trouver les raisons, par exemple une déficience visuelle peut entraîner un surmenage et des maux de tête.
Les céphalées en grappe dépassent même les migraines en termes d’intensité. En sait-on plus sur l’étiologie de ces attaques extrêmement douloureuses ?
Il est probable que des systèmes similaires à ceux de la migraine soient impliqués dans son apparition. Fondamentalement, il s’agit également d’un dysfonctionnement du traitement central de la douleur. Toutefois, les détails ne sont pas encore connus. Les crises de cluster se produisent souvent en groupe tout au long de l’année, de manière saisonnière et à des moments précis, y compris la nuit. L'”horloge interne” joue probablement un rôle dans ce cas.
En raison d’un traitement erroné de la douleur, celle-ci apparaît alors particulièrement forte, souvent dans l’œil.
Quelles sont les mesures thérapeutiques utiles en cas d’urgence et quelles sont les mesures prophylactiques ?
Dans ce cas, on mise surtout sur des médicaments qui agissent le plus rapidement possible. Comme une telle crise dure en moyenne de 45 minutes à une heure, il est impossible pour la personne concernée d’attendre une heure pour que l’analgésique fasse effet. Les triptans, sous forme de spray nasal ou d’injection, peuvent aider, ils pénètrent rapidement dans le système.
En outre, chez de nombreux patients, l’oxygène à haute dose est également un traitement établi, moins pour supprimer la crise que pour la réduire et la retarder, la plupart du temps, il faut quand même des triptans. Dans la forme épisodique, dont souffrent environ 90% des personnes atteintes, on observe souvent une accumulation de crises une fois par an pendant quelques semaines, qui peut alors éventuellement être traitée par de la cortisone ou une injection dans la région du nerf occipital.
Dans la forme prolongée, mais aussi dans la forme chronique, le meilleur médicament est le vérapamil à une dose suffisamment élevée. Le topiramate ou le valproate peuvent également être utilisés. Dans tous les cas, le traitement médicamenteux doit être planifié avec l’aide d’un spécialiste.
La pire chose qui puisse arriver à un patient souffrant de cluster est un diagnostic erroné de migraine et un traitement en conséquence (bêtabloquants, antidépresseurs).
Entretien : Andreas Grossmann
InFo Neurologie & Psychiatrie 2014 ; 12(1) : 33-35