Le dopage est toujours d’actualité à l’ère des superlatifs sportifs. La mise en œuvre nécessite souvent des connaissances approfondies en biologie, parfois même en médecine. La question se pose de savoir dans quelle mesure les médecins sont impliqués dans le processus de dopage et dans quel cadre juridique ils agissent à cet égard.
Il est probable que l’on puisse trouver quelque chose de honteux dans toute activité humaine, dans le sport c’est sans grande discussion le dopage, et la médecine n’y est pas étrangère. Mais “elle” n’aime pas en parler ! Il est surprenant, dans une certaine mesure, que les publications spécialisées perdent rarement une ligne sur ce sujet. Toutefois, une analyse plus approfondie permettra peut-être de comprendre ce phénomène : La presse spécialisée plaide pour une pharmacothérapie rationnelle, ce qui est une priorité lointaine pour le dopage. Il y a probablement d’autres raisons à cette attitude de rejet : à l’exception de quelques cas, certes fortement médiatisés (le médecin de Ben Johnson à Séoul en 1988, ou le gynécologue espagnol Fuentes), les médecins sont (étonnamment) extrêmement rarement impliqués dans des scandales de dopage, du moins par rapport au nombre de cas de dopage positifs dans le monde. On pourrait croire que la médecine n’est pas officiellement impliquée. Et ce, bien qu’en matière de dopage, on parle souvent de spécialistes dans l’ombre des sportifs qui, pour être efficaces, doivent avoir des connaissances en biologie. Ce dernier point explique une suspicion fréquemment exprimée publiquement à l’égard du corps médical. Pour des raisons faciles à imaginer, personne ne sait exactement combien de fois les médecins jouent un rôle actif dans les crimes liés au dopage. Il va sans dire que les professionnels de la santé ne sont pas la seule source de distribution de médicaments. Une rapide navigation sur Internet montre à quel point il est facile de se procurer des produits dopants. Il serait toutefois naïf de croire que le corps médical ne joue aucun rôle. A notre connaissance, aucun médecin suisse n’a été condamné à ce jour pour des pratiques de dopage. L’analyse des cas traités par la Chambre disciplinaire pour les cas de dopage de Swiss Olympic montre cependant qu’une responsabilité non négligeable est parfois imputable à des membres du corps médical. C’est donc une raison de se demander ce qu’un médecin – impliqué dans un problème de dopage – risquerait.
Pour ces raisons et d’autres, il ne semble donc pas inutile que le médecin soit informé de certaines bases liées au dopage. Notamment pour se protéger, mais aussi peut-être pour jouer un rôle important dans la lutte contre le dopage grâce à ses connaissances sur le sujet.
Définition du dopage
Même si l’on en parle beaucoup, il est peut-être utile de rappeler ce qu’est exactement le dopage. Les efforts pour trouver une définition universelle du dopage sont restés vains au fil des années. On se contente donc aujourd’hui d’explications juridiques (tableau 1).
Un principe actif ou une méthode est interdit(e) au sens ci-dessus s’il/elle figure comme tel(le) dans la “Liste des principes actifs et méthodes interdits” de l’Agence mondiale antidopage (AMA) au moment de la violation. Cette liste ne fait pas partie des statuts.
Comme on le voit, le médecin peut théoriquement être impliqué à différents endroits.
La liste des produits dopants
Pour les médecins, la liste des produits dopants joue un rôle central. Elle détermine les préparations pharmaceutiques et les mesures médicales à utiliser avec modération, voire avec une grande prudence, chez les sportifs (voir paragraphe sur l’autorisation exceptionnelle à des fins thérapeutiques).
Cette liste est établie et adaptée chaque année depuis 2004 par l’Agence mondiale antidopage (AMA). Outre les médicaments dont l’usage n’est pas considéré comme courant dans la médecine de tous les jours, il existe également des préparations tout à fait conventionnelles qui sont régulièrement utilisées dans la pratique de la médecine générale et spécialisée. Vous trouverez facilement cette liste sur www.antidoping.ch.
Autorisations exceptionnelles à des fins thérapeutiques
Si un athlète a absolument besoin d’un médicament de la liste, il existe alors un régime d’autorisation exceptionnelle (ATZ) qui permet son utilisation. Une ATZ n’est accordée que si elle répond à certains critères. Une ATZ peut être soumise ultérieurement en cas de traitement d’urgence. Avec l’aide de son médecin, l’athlète doit fournir un formulaire contenant toutes les informations nécessaires pour justifier l’utilisation d’un produit interdit. Ce formulaire est examiné par un groupe d’experts pour les athlètes nationaux dans le pays (en Suisse, une commission d’Antidoping Suisse). Ce n’est qu’après avoir reçu une confirmation positive que l’athlète peut commencer la thérapie prévue. Une clause d’urgence est prévue. Cette pratique constitue clairement le point de contact le plus fréquent avec la problématique du dopage pour le médecin praticien.
Le cadre légal
Il existe aujourd’hui sur la scène du dopage un ensemble complexe de règles internationales et nationales dans lequel le médecin doit lui aussi évoluer pour pouvoir remplir correctement sa mission de conseiller et d’encadrement des patients sportifs (fig. 1).
Au niveau international, le Code antidopage de l’Agence mondiale antidopage (AMA) s’applique de manière uniforme. Ce document sert de base à toutes les autres règles sportives mais aussi non sportives. Elle ne considère pas seulement les athlètes comme des auteurs de dopage, mais aussi tous les “complices” potentiels. Les médecins sont mentionnés nommément. Dans la dernière édition du Code (2015), les athlètes sont même encouragés à déclarer des complices ou d’autres personnes impliquées afin de bénéficier du privilège de la réduction de peine, une incitation non négligeable pour l’athlète qui s’est fait remarquer. Il faut également savoir que l’AMA tient une liste publique des personnes suspendues pour violation de la loi antidopage !
Droit suisse
Chez nous, en Suisse, ce sont la loi sur l’encouragement du sport (LESp) et la loi sur les professions médicales (LPMéd) qui sont déterminantes en droit public et, dans le domaine du droit privé, le statut de Swiss Olympic en matière de dopage 2015 et les statuts de la FMH, en particulier le code de déontologie. La deuxième section du cinquième chapitre de ce Code traite en détail du dopage. Des mesures pénales sont mentionnées, comme une peine d’emprisonnement ou une amende, les deux pouvant être cumulées. Dans la section correspondante sur l’encouragement du sport et de l’activité physique, on trouve même une liste de substances et de méthodes illicites, qui n’est étonnamment pas tout à fait identique à la liste mieux connue et plus souvent utilisée dans le monde du sport – Suisse comprise ! Bien que la LPMéd ne mentionne pas le dopage, on peut supposer que la loi pourrait s’appliquer en cas de violation des bonnes pratiques médicales, qui sont régies par cette loi.
Tout médecin en exercice doit être membre de la Fédération des médecins suisses (FMH) sous une forme ou une autre, il est donc également soumis à ses règles, dont le code de déontologie obsolète qui traite du dopage. Toutefois, pour que celle-ci entre en vigueur dans un cas de dopage, il faut qu’il y ait eu dénonciation (p. ex. autre membre de la FMH, athlète lésé). En cas de violation du code de déontologie ainsi mise en évidence, de lourdes sanctions peuvent être prononcées, telles que des amendes élevées, des suspensions et même l’interdiction d’exercer.
Dans la pratique, la “loi” la plus utilisée est le statut de Swiss Olympic en matière de dopage. Votre chambre disciplinaire pour les cas de dopage décide des sanctions à prendre en cas de violation de la réglementation sur le dopage. Elle n’est toutefois autorisée à condamner que les membres des fédérations affiliées à Swiss Olympic. Comme les médecins exercent généralement leurs activités associatives sur une base volontaire (sans contrat), il est difficile de les sanctionner. En cas de faute avérée, il faut toutefois s’attendre à une suspension de la part de la fédération nationale et éventuellement internationale ainsi que du comité olympique national et international. Enfin, la Société suisse de médecine du sport (SSMS), à laquelle appartiennent la plupart des médecins du sport, peut exclure les membres fautifs, ce qui, le cas échéant, est lié à la perte de l’attestation de formation complémentaire en médecine du sport.
Conclusion
Il doit être clair, à partir de ces informations, qu’un médecin qui se met à la disposition d’une fédération ou d’un club sportif engage sa responsabilité pénale, civile, professionnelle et sportive, avec les différentes procédures et sanctions correspondantes.
La lutte contre le dopage s’est clairement intensifiée, du moins officiellement, que ce soit au niveau sportif ou politique. Pour atteindre cet objectif, un ensemble complexe de règles a été “tissé”, que nous avons essayé de présenter brièvement du point de vue du médecin – “victime” potentielle -, surtout pour l’informer, afin qu’il puisse se protéger. En effet, ces connaissances spécifiques sont peu connues et peu enseignées. Une bonne information est de loin la meilleure prévention contre des difficultés désagréables, voire intrusives, surtout si la transgression de la loi est involontaire.
Source : Jenoure P : Risques encourus en Suisse par un médecin impliqué dans une affaire de dopage. Swiss Sports & Exercise Medicine 2016 ; 64(4) : 37-40.
Littérature :
- Agence mondiale antidopage : Code mondial antidopage. 2015 ; www.wada-ama.org/en/what-we-do/the-code
PRATIQUE DU MÉDECIN DE FAMILLE 2017 ; 12(7) : 4-5