Les recommandations de traitement et les lignes directrices offrent la possibilité d’acquérir rapidement des connaissances actuelles et pertinentes pour la pratique, rendent la prise de décision plus transparente pour le médecin et le patient et fournissent une orientation pour le traitement en ce qui concerne les aspects éthiques, juridiques et médicaux. Mais ils ne peuvent en aucun cas se substituer à la formation continue, ni même à une relation médecin-patient solide.
Le professeur Paul Hoff, Zurich, a abordé les aspects généraux des lignes directrices en médecine et plus particulièrement en psychiatrie dans son exposé présenté cette année au Swiss Forum for Mood and Anxiety Disorders de la Société suisse pour l’anxiété et la dépression (SSAD), Zurich. Les lignes directrices sont un élément clé de la médecine fondée sur les preuves (EBM) et un sujet actuellement très largement débattu dans l’ensemble du monde médical, parfois même de manière controversée. Dans le contexte de l’EBM, les preuves sont le résultat de l’évaluation systématique des résultats publiés des études scientifiques. “Cela signifie que l’EBM est une forme rationnellement vérifiée et vérifiable des connaissances scientifiques actuelles et non l’opinion personnelle d’une éminence”, a expliqué le professeur Hoff. On oublie souvent que l’EBM est un processus continu et non un résultat définitif. L’une des bases de données les plus connues contenant des informations fondées sur des preuves est la Cochrane Library. Toute personne intéressée peut y trouver des données robustes sur le traitement d’une maladie spécifique.
Directive – Ligne directrice – Recommandation de traitement ?
Directive, ligne directrice et recommandation de traitement se distinguent par leur caractère obligatoire – en partie juridique – et donc par la marge de décision du médecin qui les applique. La version la plus restrictive est la directive, qui doit être considérée comme une prescription, par exemple dans le domaine administratif, et doit donc être prise en compte. En revanche, les lignes directrices sont des recommandations et ne diffèrent en principe des recommandations de traitement que par le langage. “Bien que les directives publiées par l’Académie Suisse des Sciences Médicales (ASSM) ne soient pas juridiquement contraignantes et n’aient pas force de loi, elles entrent peu à peu dans le domaine de ce que les juristes appellent la “soft law”. La soft law n’est pas une loi qui doit obligatoirement être prise en compte et qui est donc opposable, mais la soft law peut poser des problèmes si elle n’est pas prise en compte et que quelque chose se passe. Nous entrons donc dans un domaine juridique avec la discussion sur les lignes directrices”, a déclaré le professeur Hoff.
En médecine, les lignes directrices offrent généralement la possibilité d’acquérir rapidement et donc d’appliquer des connaissances actuelles et pertinentes pour la pratique. D’autre part, de nombreux collègues craignent que les lignes directrices ne fassent perdre l’empreinte individuelle du processus de traitement et que l’identité du médecin, avec sa liberté de traitement et sa marge de manœuvre habituellement assez importante, ne se transforme de plus en plus négativement en réglementation et en technocratie.
Lignes directrices en psychiatrie
En ce qui concerne l’utilisation de lignes directrices spécifiquement en psychiatrie, l’éventail des arguments pour et contre est également très large (tableau 1). Les avantages des lignes directrices résident notamment dans une meilleure transparence du processus décisionnel pour le médecin et le patient. Le professeur Hoff en a donné un exemple : “C’est précisément en psychiatrie aiguë, où nous sommes souvent confrontés à des situations particulièrement délicates, comme par exemple le FU (placement à des fins d’assistance [depuis le 1.1.13 en remplacement du FFE ; ndlr]) de patients psychotiques agités, excités, etc. que la référence à une ligne directrice et à un consensus d’experts peut être très utile lors de l’entretien avec le patient”. Les lignes directrices favorisent le transfert de la recherche vers la pratique, sont utiles pour informer le patient et justifier un traitement (obligation éthique) et peuvent en outre constituer une garantie juridique. Enfin, les lignes directrices se prêtent très bien à la formation, au perfectionnement et à la formation continue.
D’autre part, en ce qui concerne les lignes directrices, il faut être conscient que la transformation de la publication scientifique en données probantes évaluées, c’est-à-dire en ligne directrice, est un processus très complexe, à plusieurs niveaux et souvent confus. De plus, il ne s’agit pas seulement de faits, mais aussi de faits évalués. Selon le professeur Hoff, plusieurs auteurs indiquent également que la morbidité psychiatrique sous-jacente peut être sous-estimée dans les directives opérationnelles. “Lorsqu’il s’agit de déterminer si un patient qui ne répond justement pas aux critères de diagnostic, mais qui va mal, est malade et doit être traité ou non, l’expérience est souvent plus utile que les lignes directrices et vous devrez peut-être quand même traiter le patient”.
Un autre point important est le fait qu’il n’existe pas de données sur de nombreux traitements, notamment sur la polymédication, souvent utilisée dans la pratique clinique quotidienne. “Cela ne signifie pas pour autant que ces traitements ne sont pas efficaces. ‘Pas de données’ ne signifie pas ‘pas d’effet’ !”, a souligné le professeur Hoff. Les lignes directrices et les manuels de diagnostic opérationnels ne peuvent pratiquement pas tenir compte des valeurs individuelles des patients, mais ces dernières jouent un rôle important dans la pratique clinique quotidienne et doivent être prises en considération. Enfin, il faut toujours garder à l’esprit que les méta-analyses qui servent de base aux lignes directrices ont leurs limites méthodologiques : Il n’est jamais possible de recenser tous les travaux, les critères de sélection des différentes études sont souvent très différents, les résultats négatifs ne sont souvent pas publiés du tout et ne peuvent donc pas non plus être pris en compte dans une méta-analyse. De plus, les résultats des études ne sont souvent que partiellement généralisables. Il est également important de faire la distinction entre l ‘efficacité et l’effectivité. L’efficacité démontrée par l’étude (efficacy) ne doit pas nécessairement être identique à l’efficacité pratique dans la pratique et la clinique (effectiveness).
Conclusion
- Les lignes directrices sont des éléments modifiables du processus d’examen et de traitement, fortement marqués par la méthodologie. Ce sont des outils utiles, mais pas des lois, des dogmes ou des visions du monde.
- Le rôle des lignes directrices est – de manière très pragmatique – de réduire la probabilité d’erreurs.
- Les lignes directrices peuvent être mal comprises, voire utilisées à mauvais escient. Ils peuvent limiter quantitativement la marge de décision du médecin et du patient, mais pas qualitativement.
- Le fait que les directives médicales soient vécues comme un plaisir ou une frustration dépend fortement de la perception que le professionnel de santé qui les applique a de lui-même.
- Les lignes directrices sont des outils utiles, mais elles ne remplacent pas la formation continue ni même une relation médecin-patient solide.
Source : 4e Forum suisse des troubles de l’humeur et de l’anxiété (SFMAD), Zurich, 18 avril 2013