Beaucoup de choses se sont passées depuis la première transplantation de tissus. Non seulement des organes complets sont désormais greffés, mais les patients sont aussi de plus en plus nombreux à être greffés. La transplantation a également été placée sur des bases juridiques.
En Suisse, le don et la transplantation d’organes, de tissus et de cellules ne sont réglementés au niveau national que depuis 2007 – par la loi sur la transplantation et l’ordonnance sur la transplantation [1,2]. Mais quels sont les aspects juridiques détaillés concernant le don et l’attribution d’organes de donneurs décédés, quels sont les critères utilisés et quelles adaptations ont été apportées au fil du temps ?
Le principe fondamental de la législation en matière d’attribution d’organes est formulé à l’article 17 de la loi sur la transplantation : Personne ne peut être discriminé lors de l’attribution d’un organe. Depuis 2007, celle-ci est effectuée par le Centre national d’attribution de Swisstransplant selon les critères de l’urgence médicale, du bénéfice médical, de l’égalité des chances et du temps d’attente. L’aménagement de ces critères varie selon les institutions et est fixé en détail par le législateur dans deux autres niveaux d’ordonnance, l’ordonnance sur l’attribution des organes et l’ordonnance sur l’attribution des organes du Département fédéral de l’intérieur (DFI) [3,4].
Du côté des donateurs, le consentement explicite étendu est actuellement en vigueur. Le principe de base est formulé dans l’article 8 de la loi sur la transplantation : les organes ne peuvent être prélevés sur une personne décédée que si celle-ci a consenti au prélèvement avant son décès (et que le décès a été constaté). En l’absence d’un consentement ou d’un refus documenté, il convient de demander aux proches parents s’ils ont connaissance d’une déclaration de don. Cette demande ne peut être faite qu’après la décision d’arrêter les mesures de maintien en vie. Si aucune déclaration de ce type n’est connue de la personne décédée, les organes ne peuvent être prélevés que si les proches parents consentent au prélèvement. Ceux-ci doivent prendre leur décision en tenant compte de la volonté présumée de la personne décédée. Si aucun proche parent n’existe ou n’est joignable, le prélèvement n’est pas autorisé. La volonté de la personne décédée prévaut toujours sur celle de ses proches [1].
Cependant, un consentement ou un refus documenté (généralement sous la forme d’une carte de donneur d’organes ou d’un testament de vie) est rarement trouvé dans la pratique. Selon des données non publiées de Swisstransplant, ce n’était le cas que pour 19% des personnes envisagées pour un don en 2017. Cela signifie que dans plus de 80% des entretiens avec les proches, la volonté de la personne décédée n’est soit pas documentée, soit totalement inconnue. Swisstransplant suppose que le taux d’acceptation des entretiens avec les proches est très bas en Suisse, entre autres pour cette raison. Les 40% relevés en 2017 correspondent à peine à la moitié du taux d’approbation que les personnes interrogées déclarent pour elles-mêmes dans les sondages [5]. Swisstransplant a donc développé un registre électronique dans lequel chacun peut documenter sa volonté concernant le don d’organes et de tissus. Le registre national des donneurs d’organes est en ligne depuis le 1er octobre 2018 et tous les hôpitaux peuvent vérifier auprès de Swisstransplant, en cas de donneur potentiel, si une inscription existe. avril 2019, environ 55 000 personnes se sont déjà inscrites.
En outre, Swisstransplant soutient une initiative populaire qui vise à introduire la solution dite de l’opposition élargie (ou “consentement présumé”) à la place de l’actuel régime de consentement explicite élargi. Dans le cas du consentement présumé, les organes d’une personne décédée peuvent être prélevés si celle-ci ne s’y est pas opposée de son vivant et si les proches n’ont pas non plus connaissance du fait que le défunt n’aurait pas souhaité faire un don. Les proches sont donc également impliqués dans la solution d’opposition – mais contrairement à aujourd’hui, ils ne devraient plus décider du don d’organes à leur place. Swisstransplant est convaincue que cela soulagerait à la fois les proches et les professionnels de la santé dans une situation difficile et augmenterait le taux de consentement lors des entretiens avec les proches. Ce que beaucoup ignorent : Jusqu’à l’entrée en vigueur de la législation nationale, 17 cantons sur 26 connaissaient déjà la solution de contradiction étendue [6]. L’initiative “Promouvoir le don d’organes – sauver des vies” a été formellement déposée au printemps 2019.
Organisation du don et de la transplantation d’organes
Les six centres de transplantation suisses sont situés dans les cinq hôpitaux universitaires de Bâle, Berne, Genève, Lausanne et Zurich, ainsi qu’à l’hôpital cantonal de Saint-Gall. Chaque centre se concentre sur la transplantation d’organes spécifiques. Les hôpitaux doivent obtenir une autorisation de l’Office fédéral de la santé publique (OFSP) pour chaque programme de transplantation (Fig. 1).
Le processus de don est également réglementé au niveau national depuis 2007 et est aujourd’hui organisé sur trois niveaux. Au niveau national, Swisstransplant est chargé par la Conférence suisse des directeurs cantonaux de la santé (CDS) de coordonner les tâches des cantons définies dans la loi sur la transplantation à l’échelle de la Suisse, d’établir des normes nationales et d’exploiter les synergies. Sur mandat de l’OFSP et des cantons, Swisstransplant soutient en outre les hôpitaux dans le cadre de la détection, de l’annonce et des examens médicaux de donneurs d’organes potentiels [7].
Au niveau régional, il existe aujourd’hui cinq réseaux dits de don d’organes (figure 2). Ceux-ci aident les hôpitaux au sein de leur réseau à identifier les donneurs potentiels, à leur fournir des soins médicaux et à prendre en charge les familles et les proches. Une autre tâche importante des réseaux de don d’organes est la formation initiale et continue du personnel spécialisé dans les hôpitaux [7].
Attribution d’organes
Pour qu’un patient puisse se voir attribuer un organe, il doit être inscrit sur la liste d’attente nationale pour l’organe en question. Les conditions d’admission et de maintien sur la liste d’attente (indication médicale, absence de contre-indication permanente, absence d’autres raisons médicales susceptibles de compromettre le succès de la transplantation) sont définies à l’article 3 du règlement d’attribution. De plus, le consentement écrit du patient doit être obtenu [3].
Le centre national d’attribution de Swisstransplant gère la liste d’attente. Les hôpitaux et les centres de transplantation annoncent à Swisstransplant toute personne décédée pour laquelle les conditions d’un don d’organes sont remplies, y compris toutes les données nécessaires à l’attribution. Swisstransplant détermine les receveurs potentiels de chaque organe sur la base des données des donneurs, des données des patients inscrits sur la liste d’attente et des critères d’attribution et établit un classement parmi ceux-ci. Les critères nécessaires à l’établissement du classement sont stockés sous forme d’algorithmes dans un logiciel de base de données spécialement conçu à cet effet. Le système dit Swiss Organ Allocation System (SOAS) soutient la fondation et permet une attribution rapide et conforme à la loi de tous les organes dans toute la Suisse. Swisstransplant attribue l’organe au patient le plus prioritaire et le centre de transplantation responsable doit ensuite évaluer l’offre d’organes dans un délai de 60 minutes. Si le centre de transplantation ne peut pas effectuer la transplantation ou s’il refuse l’organe du donneur, Swisstransplant attribue l’organe au patient dont la priorité est la plus élevée [3].
L’ordonnance d’attribution du DFI détaille les critères et les priorités d’attribution : Pour chaque organe, l’urgence médicale est définie, ainsi que l’ordre d’utilité médicale et d’autres critères permettant de déterminer cet ordre. Ces derniers sont utilisés lorsque plusieurs bénéficiaires répondent au statut d’urgence médicale ou lorsque le même bénéfice médical a été calculé pour plusieurs patients (tableau 1).
Révision et adaptation constantes des critères d’attribution
Le respect des principes d’attribution des organes est contrôlé périodiquement, notamment pour savoir s’ils répondent à l’exigence d’une attribution équitable. Si nécessaire, des adaptations peuvent être proposées à l’OFSP. Une évaluation régulière des critères d’attribution est très importante, car elle permet de refléter en temps réel les évolutions médicales et les progrès techniques dans la législation et de les appliquer dans la pratique. L’évaluation des critères d’attribution est effectuée par le Comité Médical (CM), un comité médical de Swisstransplant dans lequel sont représentés tous les centres de transplantation, le laboratoire national de référence pour les caractéristiques tissulaires et le Centre national d’attribution. Pour ce faire, le CM met en place des groupes de travail permanents composés d’experts médicaux pour des organes spécifiques ou d’autres domaines de spécialisation, qui conseillent le CM.
Au 1er juin 2015, par exemple, à la demande du groupe de travail Foie de Swisstransplant (STAL), les critères d’attribution du foie ont été adaptés de manière à permettre une transplantation de foie split, en particulier pour les enfants. Pour les foies adultes, il est possible que le lobe gauche soit utilisé pour un enfant (<25kg) et le lobe droit, plus grand, pour un receveur adulte. Les deux lobes du foie ont la capacité de continuer à se développer chez le receveur. Les conditions préalables au splitting du foie sont une qualité suffisamment bonne, c’est-à-dire une stéatose minimale, de bonnes valeurs hépatiques, en particulier en ce qui concerne la réaction de l’indicateur cinétique, et l’absence de maladies sous-jacentes. Avec le règlement adapté, les foies de donneurs âgés de 18 à 49 ans doivent être attribués en priorité aux patients dont le poids est inférieur ou égal à 25 kg, à moins que des patients ne soient inscrits sur la liste d’attente pour des raisons d’urgence médicale. Cet ajustement était essentiel pour améliorer la situation des enfants sur la liste d’attente sans pour autant discriminer les bénéficiaires adultes [8].
Le 15 novembre 2017, la loi sur la transplantation a été partiellement révisée et des adaptations ont été apportées à tous les règlements. Un changement important, en vigueur depuis lors, concerne les organes des donneurs qui ont été précédemment traités avec succès contre l’hépatite C avec des “agents antiviraux à action directe” (AAD) et qui ne présentent plus de virémie détectable. Sur la base d’une demande de Swisstransplant, ces organes peuvent désormais être transplantés à des receveurs qui ne sont pas infectés par le virus de l’hépatite C (VHC). Pour cela, il faut d’une part un test d’acide nucléique du VHC non réactif (HCV-NAT-) chez le donneur (le résultat du test pour les anticorps contre l’hépatite C n’étant plus pertinent) et d’autre part un consentement signé du receveur (informed consent). Il en va de même pour les organes de donneurs dont la guérison spontanée a été démontrée [9].
Dans les situations de sauvetage, la transplantation d’organes de personnes VHC NAT+ à des receveurs chez lesquels le virus n’a pas été détecté est également autorisée depuis le 15 novembre 2017. Dans ce cas, le risque de transmission du VHC est évidemment très élevé. On estime toutefois que l’hépatite C est aujourd’hui une maladie qui se soigne bien grâce aux nouvelles possibilités de traitement par les AAD et que, dans ce contexte, la transmission du VHC peut être acceptée dans des situations qui sauvent des vies [9]. Le tableau 2 donne un bref aperçu des autres changements au 15 novembre 2017.
Égalité des chances grâce à des conditions uniformes
Avec l’entrée en vigueur de la législation nationale en 2007, le paysage du don et de la transplantation d’organes en Suisse a beaucoup évolué dans le bon sens. Pour la première fois, des conditions cadres uniformes ont été créées pour tous les centres de transplantation et les mêmes critères d’attribution s’appliquent depuis lors à tous les patients sur la liste d’attente. Le principe fondamental de l’égalité des chances pour tous les patients a été renforcé et inscrit dans la loi au niveau national.
En dix ans, depuis l’entrée en vigueur de la législation nationale, le niveau inférieur de l’ordonnance, dans lequel les règles d’attribution sont détaillées pour chaque institution, a déjà été adapté sept fois. Cela montre que la fonction de surveillance est assurée par les groupes de travail de Swisstransplant et que, dans le domaine de la transplantation d’organes, les bases juridiques sont adaptées relativement rapidement aux nouvelles connaissances et aux progrès de la médecine.
Mais la législation nationale a également donné beaucoup plus de poids à l’ensemble du don d’organes. Lors de l’élaboration de la loi, on a fait preuve de clairvoyance en reconnaissant qu’il fallait non seulement réglementer l’attribution d’organes, mais aussi agir simultanément sur la disponibilité d’organes pour les transplantations. Cela a permis de mettre en place la structure de réseau actuelle à l’échelle nationale, d’établir une formation spécialisée nationale pour le personnel médical et de créer les conditions nécessaires à l’uniformisation et à l’optimisation des processus de travail et des contrôles de qualité. Cela concerne par exemple l’identification et l’annonce de donneurs d’organes potentiels, le traitement médical des donneurs ou l’assistance aux proches. Même si la standardisation des processus de travail et des documents dans un système traditionnellement organisé de manière fédéraliste représente une tâche herculéenne qui continuera à occuper Swisstransplant à l’avenir, la législation nationale a clairement conduit à une professionnalisation, chiffres à l’appui, également du côté des dons d’organes. De 2008 à 2017, le nombre annuel de donneurs d’organes est passé de 91 à 145 (+59%). La réintroduction du don après décès suite à un arrêt cardio-respiratoire prolongé en 2011, qui représentait déjà 27% de tous les donneurs en 2017, a également contribué à cette évolution [14].
Littérature :
- L’Assemblée fédérale de la Confédération suisse : Loi fédérale sur la transplantation d’organes, de tissus et de cellules, 810.21, 1er juillet 2007.
- Le Conseil fédéral suisse : Ordonnance sur la transplantation d’organes, de tissus et de cellules d’origine humaine, 810.211, 1. juillet 2007.
- Le Conseil fédéral suisse : Ordonnance sur l’attribution d’organes destinés à une transplantation, 810.212.4, 1er juillet 2007.
- Le Département fédéral de l’intérieur. Ordonnance du DFI sur l’attribution d’organes destinés à une transplantation, 810.212.41, 1. juillet 2007.
- Weiss J, et al : Attitudes envers le don d’organes et relation avec le souhait de faire un don posthume. Swiss Med Wkly 2017 ; 147 : w14401.
- Weiss J, Immer FF : Le don d’organes en Suisse – consentement explicite ou supposé ? Schweiz Ärzteztg 2018 ; 99(5) : 137-139.
- Swisstransplant : Rapport annuel 2017. Fondation nationale pour le don et la transplantation d’organes, Berne, 2018.
- Immer FF : Aspects juridiques de l’attribution d’organes – ombres et lumières. Schweiz Ärzteztg 2015 ; 96(48) : 1780-1782.
- Office fédéral de la santé publique OFSP : Rapport explicatif sur la modification de l’ordonnance sur la transplantation du 18.10.2017. Projets législatifs en médecine de transplantation/révision de l’ordonnance sur la transplantation.
- Office fédéral de la santé publique OFSP : Révision de la loi sur la transplantation. Projets législatifs dans le domaine de la médecine de transplantation. Cité le 5 novembre 2018.
- Académie Suisse des Sciences Médicales (ASSM) : Diagnostic de la mort en vue de la transplantation d’organes et préparation au prélèvement d’organes 2017.
- Office fédéral de la santé publique OFSP : Rapport explicatif sur la modification de l’ordonnance sur l’attribution d’organes du 18.10.2017. Projets législatifs en médecine de transplantation/révision de l’ordonnance sur l’attribution d’organes.
- Office fédéral de la santé publique OFSP : Rapport explicatif sur la modification de l’ordonnance sur l’attribution des organes DFI du 19.10.2017. Projets législatifs en médecine de transplantation/révision de l’ordonnance sur l’attribution d’organes DFI.
- Weiss J, et al : Deceased organ donation activity and efficiency in Switzerland between 2008 and 2017 : achievements and future challenges. BMC Health Serv Res 2018 ; 18(1).
PRATIQUE DU MÉDECIN DE FAMILLE 2019 ; 14(7) : 12-16