Des représentants renommés du secteur suisse de la santé ont discuté de la centration sur le patient, des soins inappropriés et de la place des guidelines entre orientation et utilité pratique. L’expérience montre que les solutions numériques peuvent soutenir efficacement la communication médecin-patient.
Christoph A. Meier, directeur médical de l’Hôpital universitaire de Bâle, a présenté le modèle de soins de santé qui met l’accent sur les valeurs évaluées et pondérées par le patient, comme par exemple les différents aspects de la qualité de vie.
Le modèle “Value-based Healthcare (VBHC) & Patient-reported Outcomes (PROMs)” est basé sur les fondements théoriques établis par l’économiste de Harvard Michael E. Porter il y a douze ans [1]. L’un de ses principaux messages est qu’en médecine, c’est généralement le volume des prestations qui est payé, et non leur valeur pour le patient. Porter affirme qu’en réalité, l’outcome devrait être mesuré selon l’évaluation du patient. D’où la question d’une approche appropriée, sur laquelle se penche l’International Consortium for Health Outcomes Measurement (ICHOM) depuis 2012 [2]. Le consortium a développé des métriques pour 23 maladies qui permettent de mesurer le résultat des patients de manière à permettre une comparabilité fiable (“benchmarking”). Les 23 ensembles standard actuels couvrent 54% de la charge mondiale de morbidité et sont en cours de développement en collaboration avec l’OCDE [3].
Meier a pris l’exemple du cancer du sein pour l’expliquer plus en détail : Les métriques typiques liées à la maladie sont la récidive, les complications périopératoires, les infections, la mortalité, etc. En outre, ces métriques incluent également des facteurs importants qui déterminent la qualité de vie, tels que la dépression, la fatigue, la douleur, l’image corporelle, la neuropathie, le dysfonctionnement sexuel, et ces facteurs sont régulièrement enregistrés pendant une période pouvant aller jusqu’à dix ans. [4] “C’est là que vous voyez si vous faites de la bonne médecine ou non”, a déclaré Meier.
Les médecins n’ont guère le temps de poser des questions comme celles de l’exemple de questionnaire (encadré “Extrait du questionnaire patient sur le cancer du sein”), a reconnu le Dr Meier. A l’Hôpital universitaire de Bâle, les patients peuvent remplir ces questions directement dans la salle d’attente à l’aide d’une tablette. Le médecin voit immédiatement l’analyse sous forme de graphique. Cela permet au patient de formuler ses besoins et au médecin de se focaliser. Dans les prochains mois, l’USB mettra en œuvre les métriques ICHOM sur d’autres maladies telles que l’accident vasculaire cérébral, l’anxiété et la dépression, le cancer de la prostate. Mais l’approche de la “Value Based Healthcare” ne peut être mise en œuvre que si ce système est rémunéré en conséquence, a déclaré M. Meier, qui a poursuivi : “Ce n’est pas un hasard si cette idée de base vient de Michael Porter en tant qu’économiste : les prestations médicales pourraient par exemple être payées avec un montant de base et être rémunérées en plus en fonction de la métrique de l’outcome. C’est ainsi que l’on pourrait initier dans notre système de santé un passage du “volume” à la “valeur”””.
Utilité et limites des guidelines
Christoph Bosshard, vice-président de la FMH, a parlé de l’importance des guidelines pour un traitement centré sur le patient : les guidelines transposent les connaissances basées sur les preuves issues de la recherche médicale dans les recommandations de traitement médical. “Les guidelines constituent des éléments importants dans la médecine d’aujourd’hui. Elles assurent le transfert des connaissances et garantissent que des maladies identiques peuvent être traitées de la même manière. Les patients doivent ainsi bénéficier des mêmes chances de traitement. En outre, elles soutiennent également les décisions politiques telles que le financement des prestations de soins”, a déclaré Bosshard. Le développement de systèmes d’aide à la décision clinique serait également un bénéfice connu des guidelines. Voilà pour le cadre des prestations (voir l’ encadré “Point de vue de la FMH sur les guidelines de traitement”).
Pour faire face à l’incertitude liée à la multiplicité des guidelines, la FMH a lancé l’année dernière une plateforme “Guidelines Suisse” [5]. Les sociétés savantes et les organisations sont désormais invitées à documenter leurs guidelines recommandées. Les métadonnées comprennent le niveau de preuve, le champ d’application, etc.
La multimorbidité constitue toutefois un défi dans la pratique médicale, pour laquelle les guidelines ne sont guère orientées, car leurs études randomisées et contrôlées sous-jacentes ont la particularité d’exclure les patients multimorbides. Ainsi, les guidelines ne sont pas valables pour cette situation. “Les guidelines sont centrées sur la maladie et non sur le patient, mais il est clair qu’au quotidien, il ne faut pas traiter les maladies, mais les patients”, a averti Bosshard.
Bosshard a recommandé que les effets des traitements conformes aux guidelines soient mis à disposition dans des registres (par exemple Patient Centered Outcome Registry PCOR) [6]. En outre, la recherche sur la multimorbidité chez les patients âgés doit être encouragée. Des études sur l’indépendance, l’efficacité, l’applicabilité et le rapport coût-efficacité des guidelines sont nécessaires.
La multimorbidité dans le dilemme quotidien
Edouard Battegay FACP, directeur de la clinique et polyclinique de médecine interne de l’hôpital universitaire de Zurich (USZ).
Une étude écossaise de 2012 a montré que la multimorbidité est la constellation de maladies la plus courante [7] : 50% de la population se croit en bonne santé, 23% est multimorbide et 19% monomorbide. La corrélation entre l’âge et la multimorbidité est claire. Un enfant sur 50 est également multimorbide. Selon Battegay, à l’USZ, 90% des personnes hospitalisées en urgence en médecine interne sont parfois gravement multimorbides [8].
Il existe 10 000 codifications CIM10. Cela signifie que pour trois diagnostics, il existe 1,8 trillion de combinaisons possibles. Ce n’est pas aussi compliqué dans la réalité, car les maladies se produisent avec une certaine fréquence et en combinaison avec des clusters typiques [9]. “Les conditions sociales jouent également un rôle dans la présence de certaines maladies”, a déclaré Battegay après cet exercice de calcul.
Certaines pathologies “entrent en collision” les unes avec les autres. Souvent, le traitement d’une maladie exclut celui d’une autre, par exemple une dilution du sang nécessaire en cas de maladie cardiaque accompagnée d’une hémorragie cérébrale. Il n’existe cependant pratiquement pas de directives sur ces “Disease-Disease-Interactions” (DDI). Les guidelines publiées en vigueur peuvent même être néfastes, comme l’a déjà expliqué le Dr Bossard, car elles ne couvrent pas les risques potentiels liés à la multimorbidité.
“Disease-Disease Interactions” peuvent générer une complexité inextricable [10]. Il n’est pas encore facile de résoudre ce problème. Le travail d’équipe interdisciplinaire est une question d’organisation, dans laquelle les généralistes en médecine interne coordonnent les spécialistes. La science, l’enseignement, les hôpitaux et le système de santé partent du principe de la monomorbidité et présentent une optimisation des processus et des structures organisationnelles correspondantes. Une nouvelle réflexion et de nouvelles approches de recherche sont nécessaires, telle était également la conclusion.
Littérature :
- Porter ME, Teisberg EO : Redefining health care : creating value-based competition on results. Harvard Business Press, Boston 2006.
- Kelley TA : International consortium for health outcomes measurement (ICHOM). Trials 2015 ; 16(3) : O4.
- ICHOM.org : Nos ensembles standard. www.ichom.org/
- medical-conditions, consulté le 13.3.2018
- Ong WL, Schouwenburg MG et al. : A standard set of value-based patient-centered outcomes for breast cancer : the International Consortium for Health Outcomes Measurement (ICHOM) Initiative. JAMA Oncology 2017 ; 3(5) : 677-685.
- FMH : Plate-forme en ligne “Guidelines Suisse” : www.guidelines.fmh.ch
- Académie suisse pour la qualité en médecine SAQM : cahier des charges “Patient Centered Outcome Registry (PCOR)” : https://www.fmh.ch/files/pdf18/PCOR_Leistungsbeschreibung.pdf
- Barnett K et al : Epidemiology of multimorbidity and implications for health care, research, and medical education : a cross-sectional study. The Lancet 2012 ; 380(9836) : 37-43.
- Kaplan et al. : Prevalence of multimorbidity in medical inpatients. Swiss Med Wkly 2012 ; 142 : w13533.
- Marengoni et al : Patterns of chronic multimorbidity in the elderly population. J AmGeriatr Soc 2009 ; 57 : 225-230.
- Gassmann D et al : L’indice de sévérité de la multimorbidité (MISI). Medicine 2017 ; 96 : 8(e6144).
PRATIQUE DU MÉDECIN DE FAMILLE 2018 ; 13(5) : 40-41