Dans le cadre de soins palliatifs généraux plutôt axés sur le somatique, les maladies mentales ne sont souvent perçues que comme des “effets secondaires” et passent ainsi inaperçues. Les interventions psychopharmacologiques ou les processus psychothérapeutiques ne peuvent toutefois être utilisés que si les symptômes psychologiques sont reconnus comme tels. La notion de soins palliatifs doit donc être détachée de sa seule référence à l’accompagnement en fin de vie et comprise dans un sens plus large, en particulier pour les personnes souffrant de maladies mentales chroniques. Dans cette perspective, il existe des phases palliatives qui ne doivent pas nécessairement se transformer en phase terminale comme dans les soins palliatifs axés sur les maladies somatiques. Les professionnels travaillant dans des unités spécialisées dans les soins palliatifs sont préparés à la fois aux aspects somatiques et psychiatriques. Pour éviter d’accroître encore la complexité du système de soins, il peut être utile d’intégrer l’attitude palliative à tous les maillons de la chaîne de soins déjà en place aujourd’hui.
La santé mentale est une dimension essentielle de la qualité de vie, qui joue également un rôle central en fin de vie. Contrairement aux maladies somatiques, le pronostic d’un trouble mental est difficile à établir en raison de son évolution hétérogène et individuelle, notamment au stade préterminal, qui est en outre masqué par des complications somatiques. En fin de vie, les interventions thérapeutiques pour les malades mentaux restent donc principalement orientées vers le cas individuel, l’accent étant généralement mis sur le soulagement des troubles somatiques.
L’objectif des soins palliatifs est d’atteindre une qualité de vie maximale pour les personnes en fin de vie. Les soins palliatifs comprennent la prise en charge et le traitement des personnes atteintes de maladies incurables, potentiellement mortelles et/ou chroniques évolutives. Elle prévient les souffrances et les complications et comprend des traitements médicaux, des interventions de soins et un soutien psychologique, social et spirituel en fin de vie. Les soins palliatifs se concentrent donc sur la période pendant laquelle le traitement curatif n’est plus considéré comme possible [1,2]. L’OMS (2002) recommande en outre que les soins palliatifs interviennent le plus tôt possible dans l’évolution d’une maladie terminale, en complément des mesures curatives et de réadaptation (fig. 1).
En conséquence, les soins palliatifs doivent être intégrés de manière précoce et anticipée et s’adresser également aux personnes atteintes de maladies chroniques dont l’évolution est complexe et imprévisible [3]. Cette conception des soins palliatifs, telle que définie dans la stratégie nationale de la Confédération et des cantons, englobe donc en principe les personnes atteintes de maladies psychiques.
Cependant, l’application des soins palliatifs à la psychiatrie ou, inversement, l’application d’interventions psychiatriques aux soins palliatifs ne va pas encore de soi aujourd’hui.
Les soins palliatifs en psychiatrie – un contexte difficile
En psychiatrie, on traite souvent des personnes très gravement malades, mais rarement des personnes en fin de vie. En effet, contrairement aux maladies physiques, les maladies mentales ne conduisent guère à la mort (sauf par suicide ou en cas d’anorexie avancée). De plus, depuis l’époque du national-socialisme en Allemagne, où des centaines de milliers de malades mentaux ont été victimes des programmes d’euthanasie, le terme “soins palliatifs” n’est pas volontiers utilisé dans le domaine de la psychiatrie. Même les experts ne sont souvent pas d’accord sur le fait de savoir si le terme peut ou doit être appliqué [4]. Il en résulte une situation paradoxale : en psychiatrie, les principes des soins palliatifs, tels que l’interprofessionnalité de l’équipe soignante, l’implication de personnes proches ou la multidimensionnalité de l’approche, etc. Les soins palliatifs ne sont toutefois pas utilisés dans la plupart des cas (car ils sont associés à la mort et à l’accompagnement des personnes atteintes de maladies somatiques).
Les malades mentaux dans les soins palliatifs – entre deux chaises
Les patients souffrant de troubles mentaux sont certes fréquents dans les soins palliatifs, environ 60% de tous les patients souffrant de maladies de ce type [5]. Cependant, dans le cadre de soins palliatifs plutôt somatiques, les maladies mentales en fin de vie ne sont souvent perçues que comme des “symptômes associés” et ne sont donc pas reconnues ou traitées. Cela a des conséquences dramatiques pour les personnes concernées, car leur souffrance, par exemple la dépression dans le contexte d’une maladie oncologique, ne prend pas seulement une dimension supplémentaire, mais s’accompagne en outre d’un risque accru de progression de la maladie somatique primaire (par exemple la tumeur) et, par conséquent, d’une mortalité accrue. Cela s’applique aussi bien aux personnes atteintes de maladies mentales chroniques (par exemple schizophrénie, troubles bipolaires de la personnalité ou anorexie) qui reçoivent des soins palliatifs en raison d’une maladie somatique, qu’aux personnes qui ne développent des symptômes psychiques qu’au cours d’une maladie somatique (terminale). Chez ces derniers, on observe souvent surtout des dépressions, de l’anxiété, des troubles du sommeil, de l’agitation ou des états confusionnels aigus. Ainsi, ni les hôpitaux psychiatriques ne sont orientés vers le traitement et notamment la médication (par exemple la morphine) des maladies somatiques graves, ni les établissements de soins généraux vers la prise en charge des malades mentaux. Dans l’ensemble, on constate actuellement en Suisse une pénurie d’institutions équipées pour répondre aux besoins spécifiques des personnes atteintes de maladies psychiques et somatiques graves. En fonction de la maladie qui est au premier plan, on peut supposer que les autres sont sous-alimentées. En fin de vie, ce sont surtout les malades mentaux qui échappent à la plupart des offres de soins en ce qui concerne les “soins palliatifs psychiatriques” appropriés (fig. 2).
La qualité des soins – une question de setting
La qualité de la prise en charge des malades mentaux en fin de vie dépend fortement du cadre dans lequel ils sont soignés. Ainsi, les personnes souffrant de maladies mentales chroniques ne sont généralement traitées dans les hôpitaux psychiatriques que pour une durée limitée, jusqu’à la stabilisation de leur état. En fin de vie, dès qu’une maladie somatique est au premier plan, il y a généralement un transfert soit vers un hôpital de soins aigus, soit, lorsque les traitements curatifs ne sont plus possibles, vers des institutions de soins de longue durée ou des établissements spécialisés dans les soins palliatifs. Il convient toutefois de noter que, même si ces personnes sont dans un état mental stable, leur situation n’est pas comparable à celle des personnes dont la biographie n’est pas marquée par un trouble mental. Des concepts de soins spécialisés sont ici nécessaires, qui comprennent non seulement des compétences spécialisées dans la prise en charge des malades mentaux, mais aussi la connaissance du fait qu’en fin de vie, des facteurs de stress peuvent devenir actifs et entraîner aussi bien une première apparition de troubles mentaux (p. ex. dépression) que la réapparition ou l’aggravation d’une maladie mentale chronique déjà existante (p. ex. états douloureux incontrôlables, perte d’autonomie).
Les unités spécialisées dans les soins palliatifs sont très bien préparées à ces situations de soins particulières en fin de vie et offrent donc des conditions optimales pour la prise en charge des personnes concernées. Les professionnels qui y travaillent sont sensibilisés à la fois aux aspects somatiques et psychiatriques de cette situation de vie, de sorte que les symptômes psychologiques sont généralement bien identifiés et traités de manière adéquate. En revanche, dans les soins palliatifs généraux (maisons de retraite, soins à domicile, hôpitaux de soins aigus), il y a beaucoup plus de risques que les symptômes psychologiques soient considérés comme une conséquence de la maladie physique et donc minimisés [4]. Cependant, les interventions psychopharmacologiques ou les processus psychothérapeutiques ne peuvent être utilisés que si les symptômes psychologiques sont reconnus comme tels. Le diagnostic différentiel entre les symptômes d’une maladie mentale et les effets secondaires d’origine médicamenteuse (p. ex. traitement de la douleur par des opioïdes) est particulièrement important pour la qualité de vie des personnes concernées en fin de vie.
Défis particuliers dans la situation actuelle des soins
L’une des spécificités des maladies mentales chroniques est qu’il est souvent très difficile de prévoir leur évolution. Les maladies peuvent apparaître à un jeune âge, perdre de leur intensité au milieu de l’âge adulte ou réapparaître de manière plus prononcée avec l’âge. De plus, en fonction d’autres facteurs de santé, les personnes concernées réagissent différemment aux interventions thérapeutiques selon l’évolution de la maladie. Dans la perspective des soins palliatifs, il n’y a donc guère de situations réellement palliatives, mais plutôt des phases palliatives qui ne doivent pas nécessairement se transformer en phase terminale comme dans les soins palliatifs axés sur les maladies somatiques. Reconnaître cela tout en comprenant et en appliquant les principes des soins palliatifs comme des éléments importants du traitement est une condition préalable à la meilleure situation de vie possible pour les personnes concernées et leurs proches aidants.
En cas de troubles mentaux graves, tout comme en cas de troubles cognitifs (par ex. démence), il est très important d’évaluer la capacité de discernement de la personne concernée en relation avec son droit à l’autodétermination. Chez les malades mentaux en particulier, la capacité de discernement, tout comme l’état psychique global, dépend souvent beaucoup de l’évolution et du type de médication en question et peut varier fortement en peu de temps. Cela signifie que, contrairement aux différentes formes de démence, le diagnostic ou la durée d’une maladie mentale ne permet pas de conclure directement à la capacité de discernement de la personne concernée. L’exemple de la dépression illustre très clairement le défi que cela représente pour la prise en charge et le traitement, y compris en fin de vie : Même si les personnes gravement déprimées se trouvent dans une phase difficile de leur maladie et qu’elles ne peuvent donc pas avoir un regard “objectif” sur leur situation de vie, elles ne sont pas pour autant incapables de discernement de manière générale. Un refus de prendre des médicaments antidépresseurs ou de renoncer à des mesures de prolongation de la vie exprimé dans une telle situation doit donc en principe être accepté dans un premier temps. Néanmoins, dans un tel cas, le respect du droit à l’autodétermination ne doit pas être compris comme une simple acceptation du refus de traitement. Au contraire, l’équilibre entre l’autonomie ou l’autodétermination de la personne concernée (malgré la présence de limitations) et l’obligation de traitement, c’est-à-dire le degré entre la motivation douce et le respect du droit à l’autodétermination, doit toujours être réévalué. Il s’agit d’un processus responsable et complexe qui exige de l’ensemble de l’environnement non seulement des compétences techniques, mais aussi beaucoup de compétences sociales et d’empathie. D’autant plus que dans le contexte psychiatrique, les directives anticipées, par lesquelles on dispose au moins de la volonté présumée du malade en ce qui concerne sa dernière phase de vie, sont encore plutôt rares.
Améliorations nécessaires de la situation des soins
D’un point de vue général, c’est surtout la continuité des soins pour les malades mentaux jusqu’à la fin de leur vie qui s’est améliorée au cours des dernières années. Cela est certainement dû à la Stratégie nationale en matière de soins palliatifs et à la coopération plus étroite entre les soins aigus, les soins de longue durée et les services ambulatoires tout au long de la chaîne de soins. Il n’en reste pas moins que des améliorations sont nécessaires pour rendre les soins palliatifs plus accessibles aux malades mentaux qu’ils ne le sont actuellement. Sottas et al. [6] concluent que “les offres de soins palliatifs pour les malades mentaux ne représentent qu’une partie de la solution. Il s’agit plutôt de travailler davantage selon les lignes directrices des soins palliatifs dans l’ensemble des soins psychiatriques”. Il faut tout d’abord préciser que les soins palliatifs englobent davantage que les soins de fin de vie et s’adressent également aux personnes atteintes de maladies chroniques dont l’évolution est complexe et imprévisible. Il s’agit notamment de reconnaître et de prendre en compte les spécificités des maladies mentales en fin de vie. Pour y parvenir, il est nécessaire de détacher la notion de soins palliatifs – comme le prévoyait également sa définition initiale – de sa seule référence à l’accompagnement en fin de vie et de lui donner un sens plus large, en particulier pour les personnes souffrant de maladies mentales chroniques. Si des maladies mentales (chroniques ou aiguës) existent en fin de vie, il faut d’une part permettre l’accès à des soins palliatifs spécialisés. D’autre part, les possibilités de consultation psychiatrique dans les soins de longue durée doivent être améliorées. Dans ce domaine, il convient également de sensibiliser davantage les institutions de long séjour aux options de traitement psychiatrique et thérapeutique de la vieillesse. Inversement, la psychiatrie gériatrique prend en charge des personnes jusqu’à la fin de leur vie, dont le bien-être nécessite également des soins palliatifs adaptés à leurs besoins.
Dans l’ensemble, la situation des soins pour les personnes atteintes de maladie mentale en fin de vie est complexe. Il n’est pas certain que la mise en place d’autres structures spécifiques de soins palliatifs constitue éventuellement une solution appropriée pour différents groupes cibles. Des structures supplémentaires ou complémentaires augmentent la coopération institutionnelle déjà coûteuse et complexe et nécessitent donc encore plus de coordination. Pour éviter d’accroître encore la complexité du système de soins, l’intégration de l’attitude palliative dans tous les maillons de la chaîne de soins déjà existante peut apporter une contribution importante.
Littérature :
- Office fédéral de la santé publique (OFSP) et Conférence suisse des directrices et directeurs cantonaux de la santé (CDS) : Stratégie nationale en matière de soins palliatifs 2013-2015. Berne 2012.
- Office fédéral de la santé publique (OFSP) et Conférence suisse des directrices et directeurs cantonaux de la santé (CDS) : Directives nationales concernant les soins palliatifs. 2010.
- ASSM 2012 : Soins palliatifs. Directives et recommandations en matière d’éthique médicale. www.samw.ch/de/Ethik/Richtlinien/Aktuell-gueltige-Richtlinien.html. Accès le 2 février 2015.
- Ecoplan, un projet de recherche sur la santé mentale : Soins palliatifs et maladies mentales. Rapport à l’attention de l’Office fédéral de la santé publique. Berne 2014.
- Mühlstein V, Riese F : Maladies psychiques et soins palliatifs. Forum Med Suisse 2013 ; 13(33) : 626-630.
- Sottas B, Brügger S, Jaquier A : Soins palliatifs et maladie mentale du point de vue de l’usager. Sottas formative works 2014.
InFo NEUROLOGIE & PSYCHIATRIE 2015 ; 13(2) : 16-19