Pour pouvoir traiter le prurit de manière adéquate, il convient de connaître la cause des démangeaisons. La classification clinique du prurit de l’International Forum for the Study of Itch (IFSI) distingue trois groupes cliniques de prurit chronique. Le traitement symptomatique du prurit suit un plan progressif qui comprend dans un premier temps un traitement de base relipidant et hydratant associé à des antihistaminiques H1. Dans un deuxième temps, on applique un traitement symptomatique axé sur la cause et dans un troisième temps, outre la photothérapie, on applique des traitements médicamenteux à base d’anticonvulsivants, d’antidépresseurs et d’agents anti-inflammatoires.
Le prurit (démangeaisons) est considéré comme le symptôme le plus courant de la peau : dans une population générale, près d’une personne interrogée sur six présentait des démangeaisons chroniques. Mais le prurit n’est pas seulement fréquent, il a également de nombreuses causes : Les démangeaisons peuvent être liées à des maladies de la peau, à une multitude de maladies internes, à la grossesse ou à la prise de médicaments [1].
La multiplicité des causes explique qu’il n’existe pas de traitement unique et universel pour traiter le prurit. La règle est que pour traiter correctement les démangeaisons, il faut en connaître la cause . Si cette cause est traitée, les démangeaisons disparaissent généralement aussi. Cependant, très souvent, les patients souffrent d’un prurit chronique dont la cause n’est pas connue, même après une longue enquête, et qui doit être traité de manière symptomatique. La manière de procéder en cas de démangeaisons, et plus particulièrement de prurit chronique, ainsi que les traitements recommandés sont décrits en détail sur dans le guide allemand AWMF sur le prurit chronique [2], qui paraît cette année et auquel l’auteur de cet article a participé.
Classification clinique du prurit
Comme un traitement efficace du prurit ne peut se faire qu’en connaissant l’étiologie, un prurit existant doit être correctement identifié, défini et classé avant tout traitement.
Une première distinction est celle entre un prurit aigu et un prurit chronique. Celle-ci est définie par la durée des démangeaisons : Une démangeaison qui dure moins de 6 semaines est appelée prurit aigu. Si les démangeaisons persistent plus de 6 semaines, on parle de prurit chronique. Ce dernier peut avoir des étiologies très diverses qui, contrairement au prurit aigu, ne sont souvent pas évidentes et nécessitent un examen plus approfondi. En 2007, l’International Forum for the study of itch (IFSI) a proposé une classification du prurit chronique qui est aujourd’hui largement acceptée au niveau international [3]. La classification IFSI permet – à la manière d’un algorithme, en partant de l’aspect clinique du patient – une subdivision en trois groupes cliniques. Pour chaque patient souffrant de prurit, la première étape consiste à déterminer si les démangeaisons ont commencé sur une peau normale ou sur une peau primairement modifiée. Cela permet de les répartir dans les groupes suivants :
- Prurit sur peau primairement altérée = Prurit on primarily diseased (inflamed) skin : lors de l’apparition du prurit, il y avait des altérations de la peau qui ont provoqué les démangeaisons. Les démangeaisons se situent au niveau des zones où la peau est enflammée. La cause des démangeaisons est une maladie de la peau qui démange et qui doit (encore) être diagnostiquée.
- Prurit sur peau primitivement non altérée = Prurit on primarily normal (non-inflamed) skin : lors de l’apparition du prurit, il n’y avait pas d’altération de la peau, le prurit a commencé sur une peau normale. Toutes les modifications cutanées éventuellement visibles sont de nature secondaire et ne sont apparues qu’après le grattage. Les causes des démangeaisons sont des maladies internes [1] (par exemple une insuffisance rénale terminale, une maladie hépatique cholestatique, des maladies lymphoprolifératives comme la maladie de Hodgkin, la polycythémie, etc.) ou des médicaments. Sur une peau qui n’est pas primairement modifiée, un prurit peut également survenir pendant la grossesse. Enfin, il faut penser aux maladies cutanées qui peuvent se manifester sans lésions cutanées initiales (par ex. prurit de vieillesse dans le cadre d’une xérose cutanée, formes minimales de dermatite atopique, zona ou maladie bulleuse auto-immune sans formation de cloques…). En laboratoire, un examen de dépistage est nécessaire pour ne pas passer à côté d’une maladie interne déclenchante. L’anamnèse médicamenteuse précise doit rechercher les médicaments dont la nouvelle prise peut être liée à l’apparition des démangeaisons. Les paramètres de l’atopie (par exemple un score d’atopie) doivent toujours être enregistrés.
- Prurit chronique avec lésions de grattage = Prurit with chronic secondary scratch lesions : le prurit persiste depuis des années. Les résultats montrent une prédominance de lésions de grattage secondaires. Il n’est pas possible de les classer dans le premier ou le deuxième groupe. Le tableau clinique est celui d’un lichen simplex chronique ou d’un prurigo simplex/nodularis [4].
Traitement du prurit en cas de cause connue
En cas de prurit sur une peau primairement inflammatoire , le traitement de la maladie de peau sous-jacente constitue généralement aussi le traitement du prurit.
Dans la dermatite atopique , le traitement topique fait appel aux stéroïdes et, en 2e ligne, aux inhibiteurs de la calcineurine, accompagnés d’antihistaminiques non sédatifs de 2e génération par voie systémique (cétirizine, loratadine…). Dans un deuxième temps, il est possible de recourir à la photothérapie. Dans les cas graves, un traitement systémique sera nécessaire, la ciclosporine étant le traitement de première intention.
Dans le cas du psoriasis, on commencera également par essayer un traitement topique et une photothérapie. Par voie systémique, outre le méthotrexate et la ciclosporine, on utilise bien entendu des produits biologiques (inhibiteurs du TNF-alpha, inhibiteurs de l’IL12/23 et de l’IL-17).
En cas d’urticaire, les antihistaminiques constituent d’emblée le premier choix. Il existe des lignes directrices spécifiques pour le traitement des principales dermatoses inflammatoires prurigineuses [5,6,7].
En cas de prurit sur une peau primaire non inflammatoire, il convient de traiter une maladie interne si la cause a été trouvée. Si des médicaments sont considérés comme responsables des démangeaisons, ils doivent être supprimés. En fait, l’élimination de la cause des démangeaisons entraîne souvent une amélioration rapide du prurit. Ainsi, un prurit disparaît rapidement après le traitement d’une maladie de Hodgkin, de même qu’après l’arrêt d’un médicament si celui-ci était responsable des démangeaisons. Cependant, il est fréquent qu’une maladie interne, même si elle a été identifiée comme étant à l’origine des démangeaisons, ne puisse pas être simplement traitée. Dans cette situation, il est toujours recommandé de prendre d’abord des mesures symptomatiques (voir paragraphe suivant) et, selon le tableau clinique, de recourir dans un deuxième temps à certaines thérapeutiques qui ont fait leurs preuves dans des études ou des casuistiques pour traiter le prurit dans ce tableau clinique.
En cas de prurit néphrogénique, la nouvelle directive de l’AWMF considère la gabapentine comme le premier choix, avant l’utilisation de la prégabaline et de la photothérapie UVB (tableau 4). Le charbon actif, recommandé en première position dans la dernière ligne directrice, reste une alternative et est toujours facile à utiliser.
En cas de prurit cholestatique, la colestyramine est considérée comme un médicament de premier choix (tableau 5). Dans un deuxième temps, la rifampicine est recommandée, suivie de l’antagoniste des opiacés naltrexone, puis de la sertraline. L’acide ursodésoxycholique n’est plus utilisé que pour le prurit de la grossesse sur une peau primaire non modifiée. On notera que pour les préparations à base d’acide ursodésoxycholique disponibles en Suisse, la grossesse est considérée comme une contre-indication dans les informations professionnelles !
Dans les néoplasies hématologiques , soit la mirtazépine, la paroxétine ou la fluoxétine sont recommandées (tableau 6). La gabapentine est mentionnée avant la mirtazépine dans les lymphomes cutanés.
Le prurit neuropathique peut être traité soit par voie topique avec de la capsaïcine, soit par voie systémique avec de la gabapentine ou de la prégabaline.
En cas de prurit avec lésions chroniques de grattage, la recommandation actuelle pour le traitement topique est d’envisager en premier lieu les stéroïdes (surtout occlusifs) et le pimécrolimus, et en deuxième choix la capsaïcine et le tacrolimus. Par voie systémique, la photothérapie (généralement UVB 311nm, mais aussi PUVA) est considérée comme le premier choix. Les médicaments peuvent être la gabapentine ou la prégabaline, et les autres options médicamenteuses sont la ciclosporine, le méthotrexate ou la naltrexone. Bien entendu, d’autres modalités de traitement établies en Suisse, comme les stéroïdes intralésionnels (Kenacort) ou la cryothérapie, peuvent très bien être utilisées en cas de prurigo. Cependant, ne dispose pas de suffisamment de preuves documentées dans les études et les rapports de cas.
Traitement du prurit de cause inconnue
En cas de prurit chronique sur une peau primaire non inflammatoire, dont la cause n’est pas (encore) claire, le traitement sera d’abord symptomatique. Il est recommandé de procéder par étapes pour le traitement symptomatique (tab. 3) :
Dans un premier temps, il convient avant tout de formuler des recommandations qui peuvent également être transmises à tout patient souffrant de démangeaisons, indépendamment de la maladie interne sous-jacente :
- Ainsi, les patients souffrant de prurit doivent éviter tout ce qui provoque un assèchement de la peau (en particulier l’excès de lavage et de bain) et tout ce qui irrite la peau (vêtements, topiques irritants). Il convient également de réduire le stress négatif.
- Il est recommandé d’utiliser des shampooings doux et, comme traitement de base, des crèmes et des lotions relipidantes (en tenant compte de l’état de la peau de chacun). L’urée, le polidocanol, le camphre et le menthol sont souvent utilisés comme additifs dans les topiques pour soulager les démangeaisons.
Outre le traitement de base relipidant et hydratant, le traitement antiprurigineux consiste en outre, dans un premier temps, en l’administration d’un antihistaminique H1. Pour ce faire, la nouvelle ligne directrice ne recommande plus que des antihistaminiques non sédatifs, mais ceux-ci peuvent être administrés jusqu’à 4 fois la dose standard en cas d’absence de réponse, comme en allergologie. Les anciens antihistaminiques sédatifs, comme l’hydroxyzine, ne sont plus explicitement recommandés.
C’est remarquable, car ces derniers sont très répandus et populaires en Suisse pour le traitement du prurit et – selon l’expérience et l’avis de l’auteur de cet article – ils sont souvent plus efficaces que les antihistaminiques de 2e génération chez les patients souffrant de prurit. Il est intéressant de noter que ce point est évalué très différemment dans les lignes directrices européennes sur le prurit. L’hydroxyzine y est citée comme l’antihistaminique de premier choix pour le traitement du prurit par une majorité de dermatologues [8]. Cependant, le groupe d’experts actuel de la directive allemande a fait valoir qu’il n’y avait pas vraiment de bonnes preuves de l’efficacité des antihistaminiques sédatifs, mais qu’en revanche, dans les études, l’effet sédatif était souvent cité comme un effet secondaire négatif.
La deuxième étape du traitement symptomatique comprend toutes les thérapies adaptées à une cause possible du prurit.
Si la cause du prurit n’est pas claire malgré toutes les investigations ou si le prurit reste réfractaire, il existe d’autres options thérapeutiques au troisième niveau, à condition que les traitements proposés n’aient pas déjà été appliqués (tableau 7) :
Sur le plan médicamenteux, la gabapentine peut toujours être utilisée en premier lieu. L’étape suivante consiste à recommander des antidépresseurs (paroxétine ou mirtazapine). La photothérapie avec des UVB à 311 nm est l’option suivante. Enfin, la naltrexone peut également être essayée.
Recommandations sélectionnées pour le traitement du prurit dans le nouveau guide AWMF
Le nouveau guide de l’AWMF sur le prurit chronique contient des recommandations sur pratiquement tous les traitements utilisés pour le prurit, recommandations fortes, moyennes ou faibles émises par un groupe d’experts dans le cadre d’un processus de consensus. Les recommandations sont basées sur les résultats de traitement documentés dans les études. Il convient de mentionner ici quelques thérapies pertinentes :
Additifs dans le traitement de base : pour le traitement topique, on trouve ici le menthol, le camphre, la lidocaïne et le polidocanol. Leur utilisation peut être envisagée.
Stéroïdes topiques : ils constituent généralement le traitement de choix des dermatoses inflammatoires. Ils peuvent également être recommandés pour le prurit qui n’est pas apparu dans le cadre d’une maladie inflammatoire de la peau, pour une utilisation à court terme dans les lésions inflammatoires secondaires de grattage. De même, les inhibiteurs topiques de la calcineurine peuvent être utilisés en deuxième intention.
Antihistaminiques systémiques : comme mentionné précédemment, seuls les antihistaminiques non sédatifs sont désormais recommandés, mais leur utilisation peut être envisagée si nécessaire jusqu’à une dose 4 fois supérieure à la dose standard. Il n’y a pas de preuves dans les études à ce sujet. De plus, l’administration se fait en off-label-use. L’utilisation d’antihistaminiques sédatifs n’est plus recommandée, comme nous l’avons déjà mentionné.
Stéroïdes systémiques : ils doivent souvent être utilisés pendant des mois dans certaines dermatoses inflammatoires qui peuvent également provoquer des démangeaisons, comme dans le cas d’une pemphigoïde bulleuse ou d’un syndrome DRESS. Ils peuvent également être utilisés comme traitement dans les cas de prurit chronique les plus graves sans maladie cutanée sous-jacente, mais uniquement dans le cadre d’un traitement à court terme. Le groupe d’experts souhaite délibérément s’abstenir d’une utilisation prolongée en raison des effets secondaires des stéroïdes. Il est toutefois indéniable que, dans des cas exceptionnels, il faut quand même recourir aux stéroïdes systémiques lorsque la souffrance du patient est très importante.
Photothérapie : elle est utile pour les dermatoses inflammatoires prurigineuses, les maladies internes qui provoquent des démangeaisons et les prurigos (ou lésions chroniques de grattage). Pour toutes les formes, le traitement par UVB 311nm, le plus souvent réalisé en Suisse, est bien applicable. Cependant, le groupe de consensus n’a pu aboutir qu’à une recommandation faible concernant l’utilisation de la photothérapie.
Gabapentine et prégabaline : une forte recommandation est faite ici pour l’utilisation dans le prurit néphrogénique et neuropathique, même si l’utilisation (en Allemagne) se fait en off-label. Ces deux médicaments peuvent en outre être recommandés en cas de prurit d’une autre étiologie.
Antidépresseurs : une recommandation de niveau moyen a été émise pour ces médicaments. Les inhibiteurs de la recapture de la sérotonine (en particulier la paroxétine, la sertraline et la fluvoxamine) ont montré une bonne efficacité dans les études et semblent, sur la base de la documentation des études, avoir un meilleur effet dans le traitement du prurit que les antidépresseurs tétra- ou tricycliques, la mirtazapine et la doxépine, qui peuvent toutefois être utilisés dans le traitement du prurit d’étiologies diverses.
antagonistes des récepteurs opioïdes : En Suisse, la naltrexone peut être utilisée par voie orale. Sur la base des données de certaines études, la naltrexone peut être recommandée ou du moins envisagée dans certaines situations. Les effets secondaires, qui surviennent presque toujours, sont toutefois peu engageants pour un traitement. Dans l’expérience de l’auteur, la naltrexone a finalement dû être arrêtée chez chaque patient en raison d’effets secondaires, même si une amélioration du prurit a effectivement été constatée dans certains cas.
Conclusion : Les recommandations sur l’utilisation des traitements systémiques du prurit montrent clairement les limites d’une ligne directrice basée sur des preuves : Le fait de baser les recommandations sur les preuves issues d’études conduit à recommander des traitements dont l’efficacité a certes été démontrée dans certaines études récentes. Cependant, en raison des effets secondaires, ces traitements sont difficilement utilisables dans la pratique clinique quotidienne et ne sont souvent pas acceptables pour les patients. Inversement, les traitements qui ont bien fonctionné pendant des décennies mais pour lesquels on ne trouve pas de données issues d’études récentes ou lorsque les anciennes études ne répondent plus aux exigences des modèles d’étude actuels sont occultés. Il en va donc de même ici : Tout ce qui est bon dans les études n’est pas toujours bon pour le patient dans la pratique clinique quotidienne !
Littérature :
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